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Les leçons tactiques d’Allemagne-Argentine

Par Markus Kaufmann, à Buenos Aires
Les leçons tactiques d’Allemagne-Argentine

« La finale, c'est du 50-50, mais d'un point de vue passionné, je sais que l'Argentine va gagner aux tirs au but. » À quelques minutes près, à quelques centimètres près, Diego Simeone aurait pu avoir raison. Lui qui connaît si bien les finales, il avait certainement tout vu : les hommes de Sabella allaient résister au travail de l'Allemagne, voire plus. L'Argentine aura fait bien plus que résister : elle aura eu les occasions. Une finale d'hommes, plus de coups que de buts, plus de Mascherano que de Messi, et surtout plus de Schweinsteiger que de Müller. Après toutes ces années, l'Allemagne aura enfin réussi à combiner le jeu et la victoire.

Dans son édition du samedi 12 juillet, le quotidien argentin La Nacion publiait un article intitulé : « Comment est-il possible de gagner contre l’Allemagne ? » Dans le papier, l’Allemagne était présentée comme une équipe puissante, « la plus complète du tournoi » , que l’Argentine ne pouvait battre que d’une manière : en la prenant à la gorge. Il fallait exercer un pressing haut, forcer Boateng à l’erreur, proposer un bloc compact, et donner des solutions aux passes de Messi et aux centres de Lavezzi. Alors ? Alors, Sabella n’a écouté que son cœur pragmatique. Encore une bataille bloquée à 0-0, mais des idées claires, des schémas précis, et une Argentine pas loin de se sacrer avec Demichelis, Romero, Biglia et Rojo dans son onze. Un exploit.

La simplicité argentine semble battre l’élaboration allemande

Chacun à sa manière, les deux équipes auront fait honneur au Maracaña, ce temple du football. Les Allemands avec le jeu élaboré, les passes appuyées, les contrôles précis. Les Argentins avec le cœur, la combativité, le désir de surprise. Alors qu’il semblait certain que le favori allait décider du sort de cette finale, les premières minutes montrent un autre scénario : le sort de cette finale est entre les pieds argentins. En clair, l’Argentine a besoin de rigueur tactique pour résister aux Allemands, et d’exploits individuels pour les battre. En face, l’Allemagne doit jouer son jeu, mais ne pourra rien faire si l’Argentine remplit les deux conditions énoncées. La vitesse de Messi face à Hummels fait peur aux Allemands, tout comme les deux récupérations axiales argentines dans les dix premières minutes. Le pressing argentin se veut patient, Higuaín fait les efforts pour deux – lui et Messi – et les capacités de Pérez et Lavezzi à se projeter vers l’avant et à gagner leurs duels rendent l’exploit possible.

Mais si l’on parle d’exploit, c’est bien parce que cette Allemagne est allée bien plus loin dans la maîtrise de son football. Une équipe qui joue les yeux fermés et des joueurs qui se connaissent. Seulement, ce jeu et cette élaboration ont besoin de temps et de précision, alors que les contre-attaques argentines n’ont besoin que d’une direction. À la demi-heure de jeu, l’Argentine s’est déjà créé trois situations de but, alors que les Allemands ont dû faire un changement et doivent faire avec deux cartons jaunes pesants (Schweinsteiger et Höwedes). Malgré le talent et les années de travail, l’équipe ayant le positionnement le plus clair se montre la plus dangereuse en début de match.

La deuxième demi-heure offre un match nul génial

Alors, parce qu’ils ont d’immenses ressources, les Allemands se mettent à varier. Puisque leurs centres ne prennent pas le meilleur sur Garay, un vrai géant jusqu’au bout, il faudra passer par l’axe. Un long ballon vers Klose, puis quelques possessions volontairement avortées. Dans le dernier quart d’heure de la première mi-temps, plus l’Allemagne joue directement, moins elle perd le ballon dans l’axe, et plus elle est dangereuse. Quand il envoie sa tête sur le poteau, Höwedes semble voir sa vie passer devant ses yeux. Après la France et le Brésil, l’Argentine passe à deux doigts de succomber à un coup de pied arrêté allemand. L’arme des plus forts. Finalement, plus l’Allemagne installe un football de transitions rapides, moins l’Argentine parvient à développer ses contres : la fin du dogme de la possession de balle ?

C’est peut-être le seul moyen de comprendre le changement de Sabella à la mi-temps. Alors que le Pocho Lavezzi avait offert une première mi-temps pleine d’initiatives, d’intelligence et de malice, en adéquation parfaite avec le plan de jeu argentin, le Mister fait entrer Agüero. Les mauvaises langues diront qu’il s’agissait de mettre Messi dans de meilleures conditions. D’autres voudront croire que Sabella avait l’intention de garder le ballon plus longtemps. Seulement, Agüero n’est pas dans la même forme que Lavezzi. Paradoxalement, l’échec de ce changement donne raison à Sabella : non, l’Albiceleste n’aurait pas mieux joué avec Carlos Tévez, dont les mouvements se rapprochent de ceux du Kun. Finalement, aux points, le premier quart d’heure est tout de même gagné par les Bleus : Higuaín est hors jeu d’un poil, Messi est mis sur orbite, mais tire à côté, et Neuer offre un pénalty à un autre bon appel de Pipita. L’arbitre, qui ne voulait pas trop peser sur la rencontre, refuse de voir la faute. 0-0 à l’heure de jeu.

La tension bat Messi, et les autres

C’est le moment où l’on comprend que le match ira à la prolongation. Miroslav Klose revient dans son propre camp pour défendre au sol, Mascherano se voit contraint de réaliser une superbe faute tactique après une perte de balle maladroite. Tout devient très sérieux, très calculé. À ce moment-là, ni l’élaboration allemande ni la spontanéité argentine n’ont suffi. Ce n’est pas un hasard si cette finale de Coupe du monde est la troisième d’affilée à aller jusqu’à la prolongation. D’une part, les équipes sont bien préparées. Que ce soit la France, l’Italie, les Pays-Bas, l’Espagne ou les deux acteurs d’hier soir, aucun ne s’est trompé sur son jeu. D’autre part, la tension bat le talent. Comme Zidane n’avait pas su tuer l’Italie, Robben avait échoué contre l’Espagne, et Messi a perdu contre l’Allemagne.

En 1986, Diego Armando Maradona lui-même avait lamentablement envoyé son premier contrôle en touche. Cinq minutes après le premier but allemand, il avait aussi maladroitement fait avorter une contre-attaque pourtant destinée à faire naître le troisième but décisif argentin. Un vulgaire contrôle raté. Mais à 2-2, après une multitude de rebondissements, c’était son coup d’œil qui avait envoyé Burruchaga dans l’histoire pour signer le 3-2 victorieux. Hier soir, Messi n’aura pas été aidé par Higuaín, Palacio et Agüero, mais il ne les aura pas aidés non plus. Pas assez de touches de balle, trop peu d’initiatives. Pour que Messi brille, peut-être que l’Argentine aurait dû avoir le ballon. En conférence de presse, Löw se dira très fier du cas Messi : « On ne l’a pas laissé courir. » Tout comme Robben s’est vu annulé par la défense argentine en demies, peut-être que le 10 argentin a souffert du marquage allemand en finale. Ou alors, peut-être que le génie du gaucher a perdu contre le contexte extraordinaire dans lequel il aura été plongé. S’il avait su concrétiser sa seule occasion, il aurait été inhumain. Pour sa défense, il faudra rappeler que l’implacable Müller, que l’on voyait jusque-là partout, aura aussi disparu. Mais l’Allemand n’a jamais eu le destin d’être autre chose qu’un humain.

Löw avait plus de cartouches

Comme souvent, les finales appartiennent non pas aux étoiles, mais aux hommes du milieu. Schweinsteiger, en tête, aura pesé jusqu’au bout malgré le courage de Mascherano. Alors que Sabella envoie le pauvre Higuaín au repos, lui qui se sera battu jusqu’au bout, malgré sa maladresse impardonnable de la vingtième minute, le pressing argentin retrouve des couleurs. Mais la possession bleue manque de fluidité. Mascherano et Biglia jouent très bas, les manœuvres manquent de spontanéité, malgré l’application de milieux courageux. D’une part, l’Argentine tire un trait sur les exploits individuels quand Palacio se complique la vie devant Neuer. D’autre part, les mouvements imprévisibles et intelligents de Schürrle font terriblement souffrir les replacements de la défense argentine, et la rigueur tactique devient de plus en plus dure à tenir. En face, dès que l’Allemagne reprend le dessus, elle gagne du terrain. En réaction, Sabella fait entrer Gago pour Pérez. L’Argentine réagit, l’Allemagne dicte le jeu. En 1986, l’Argentine avait pris l’initiative : Matthaüs suivait Maradona, qui était sans cesse suivi par deux, voire trois dobermans. Plus frais, malgré un changement lâché en début de match, Löw conserve assez de cartouches pour faire entrer Götze à la 88e. Alors que la paire Garay-Demichelis avait aimé s’occuper des cas Van Persie et Klose, l’histoire est différente avec le profil rapide du Super Mario d’un soir. Et dire que Reus n’était pas là…

France-Israël : personne ne veut prendre sa place

Par Markus Kaufmann, à Buenos Aires

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