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Latéral : une espèce en voie de disparition ?

Par Léna Bernard et Tom Binet
Latéral : une espèce en voie de disparition ?

Avec le seul Theo Hernández comme véritable spécialiste dans sa liste, Didier Deschamps a une nouvelle fois bricolé pour compléter son assise défensive. Simple remède passager ou indicateur de l'évolution du poste de latéral ?

« Ça ne date pas d’aujourd’hui qu’il y ait des défenseurs centraux qui se retrouvent au poste de latéral. Dans une défense à quatre, ça arrive régulièrement. » Questionné sur sa propension à faire évoluer des défenseurs axiaux dans le couloir, notamment à droite, Didier Deschamps a posé un constat au moment de l’annonce de sa liste : le poste de latéral a perdu de ce qui fait sa particularité au fil du temps. « C’est le poste spécifique où dès le départ, et depuis un bon moment, ce sont souvent des joueurs plus offensifs qui reculent ou des axiaux qui sont décalés. Il y a moins une spécificité dès le départ sur ces postes-là », complétait DD, sûr de son fait. Il faut dire que depuis le titre de 2018, les expérimentations ont été nombreuses pour le sélectionneur, à droite comme à gauche, à quatre ou à cinq. Ferland Mendy, Benjamin Mendy, Djibril Sidibé, les frères Hernandez, Benjamin Pavard, Lucas Digne, Layvin Kurzawa, Léo Dubois, Ruben Aguilar, Jules Koundé, Kingsley Coman, Jonathan Clauss ou Adrien Truffert, sans oublier les expériences Axel Disasi et bien sûr Eduardo Camavinga. La liste des hommes convoqués dans le but d’occuper, d’une manière ou d’une autre, les couloirs des Bleus, est particulièrement longue. Le résultat d’un certain déficit à ce poste chez les internationaux tricolores. Mais aussi d’importantes évolutions du métier d’arrière latéral ?

Didier Domi : « Quand tu joues dans la rue, tu mets souvent les moins bons en latéral »

Qui a déjà rêvé d’être latéral ? Voilà une question rhétorique que pose Didier Domi, ancien latéral gauche du Paris Saint-Germain : « On n’a pas beaucoup de gens qui veulent jouer latéraux. Au départ, il y a une spécificité, une envie qu’on n’a pas. » Cette absence de vocation se retrouve dans tous les échelons du football, du monde amateur en passant par l’école du football de rue au monde professionnel, ce que confirme notre consultant : « Quand tu joues dans la rue, tu mets souvent les moins bons au poste de latéral. Il n’y a pas grand monde qui veut jouer latéral, il faut créer des vocations. La seule chose à comprendre, c’est qu’il n’y a pas une vraie spécificité du poste de latéral dès les jeunes, ça dépend vraiment du coach et de la philosophie de l’équipe. »

Un problème initial qui se retrouve au cœur de la formation des jeunes joueurs. Beaucoup débutent à un autre poste, milieux de terrain, voire attaquants, puis sont reconvertis latéraux pour répondre à des choix tactiques ou à un problème d’effectif. Laurent Bonnart, latéral marseillais dans les années 2000, est bien placé pour le savoir : « Quand j’étais jeune, je jouais milieu de terrain, puis je suis passé dans un rôle défensif. Je n’avais peut-être pas les qualités techniques suffisantes pour être milieu offensif au haut niveau. Le fait de me reculer d’un cran, avec les qualités défensives que j’avais, c’est peut-être grâce à ça que j’ai fait une carrière aussi longue. » Les joueurs qui ont été repositionnés latéraux sont légion, à l’image de Patrice Evra ou Bixente Lizarazu. Peu de modèles existent, et c’est bien dommage, car il est primordial de susciter des vocations chez les jeunes footballeurs. C’est l’admiration qui crée les vocations et repositionner Eduardo Camavinga en latéral parce que la France manque de spécialistes du poste ne risque pas de révolutionner nos cours de récréation.

Laurent Bonnart : « Être piston, ça ne veut rien dire »

Parfois regardé comme secondaire, le rôle du latéral est pourtant au cœur du jeu et de nombreuses évolutions tactiques ces dernières années. Les concernés se sont ainsi vu pousser des ailes, propulsés de plus en plus loin vers l’avant. Au point d’en perdre leur identité ? « Avant, les latéraux étaient de vrais défenseurs, évalue Didier Domi. Au fil du temps, le latéral est devenu de plus en plus offensif, il participe de plus en plus au jeu. » Des changements que l’ancien joueur du PSG a vécus au plus près sur les terrains d’Europe. « Je crois que j’étais en plein dans l’évolution de mon poste, poursuit celui qui a raccroché les crampons en 2011. Les métiers de latéral et d’ailier ont évolué en même temps, les ailiers ne mangent plus la ligne, ils sont capables de jouer à l’intérieur et d’amener la supériorité au milieu. Le métier de latéral a surtout évolué dans le sens offensif pour moi, c’est lui qui crée des déséquilibres, qui avance avec le ballon. » Au point de voir certains clubs construire autour de leurs hommes de côté : « L’OM a d’ailleurs fait son projet par rapport à ça. Leur force, ce sont les latéraux, le système a été fait comme ça. Tu as vu qui ils ont recruté ? Tavares et Clauss. C’est leur philosophie. »

Et c’est ainsi que fut inventé le fameux piston. La mode des systèmes à trois centraux – loin d’être une nouveauté absolue – aidant, les joueurs de couloir ont vu leurs responsabilités augmenter et les profils tendre de plus en plus vers des joueurs doués balle au pied, capables de multiplier les courses. Sans forcément passer 90 minutes à se préoccuper de chicoter les chevilles du n°7 ou n°11 adverse. « C’est un mot qui a été donné pour avoir une image du joueur de côté, nuance Laurent Bonnart. Pour moi, c’est plus une image qu’un rôle. Être piston, ça ne veut rien dire. Tu es défenseur latéral et si vous jouez à quatre, c’est comme ci, et si vous jouez à cinq, c’est comme ça. » Après avoir goûté lui aussi à cette révolution, Didier Deschamps est revenu à une ligne de quatre plus traditionnelle au Qatar. « De là à dire qu’on a plus de spécialistes… Peut-être qu’on a de bons joueurs, mais qu’au niveau international, le cap est assez haut, surtout qu’on a une équipe de France très compétitive », poursuit Bonnart.

Il ne faut toutefois pas croire que le profil du latéral porté vers l’offensive est né dans les années 2020. « Si tu regardes les deux équipes championnes du monde en 1998 et 2002, tu as tout de l’évolution du métier de latéral, qui n’est plus le gars qui reste derrière pour faire la couverture, image Didier Domi. On a la France qui joue à quatre avec des profils très forts en un contre un sur les côtés, Thuram et Lizarazu. Pour le Brésil, on a deux bombes comme latéraux avec Roberto Carlos et Cafu, donc naturellement, ils vont jouer en 3-4-3. »

Tout est une question d’équilibre

Malgré le désamour qu’il suscite, le poste de latéral est primordial dans le football. Le latéral est la variable d’ajustement de l’équipe, c’est lui qui assure l’équilibre de la composition en restant soit scotché à sa ligne défensive, soit en se projetant vers l’avant pour apporter un surnombre offensif. « On est tellement dans la recherche de l’équilibre et quand ces équipes ont quatre joueurs offensifs comme Griezmann, Giroud, Mbappé et Dembélé, à un moment tu te dis : “Il faut que j’aie une défense un tout petit peu plus solide.” Tout est une question de complémentarité. Si tu as des Foden ou des Bernardo Silva, tu seras content d’avoir un Walker qui prend le couloir. »

Ainsi, requête est faite aux défenseurs de ne pas trop se détacher de leur fonction première, c’est-à-dire défendre. Laurent Bonnart insiste, mais pour lui, l’équilibre est la clé du poste de latéral, c’est ce qui en fait toute son utilité et sa complexité : « La difficulté, c’est de trouver l’équilibre entre défensif et offensif. La priorité quand on est latéral, c’est de faire son job défensivement pour remplir le contrat. On va dire que le côté offensif est un plus qui est extrêmement recherché. » Laurent Bonnart admet aussi qu’il faut parfois s’adapter au calendrier : « À Marseille à l’époque, parfois, tu devais être dans la gestion de l’effort, car tu savais que tu avais un match important juste après, donc la question, c’était de se demander si le match méritait de faire autant d’efforts offensifs ou s’il valait mieux se cantonner à son rôle défensif. » L’ancien du Mans complète : « Il n’y a pas de vérité en soi parce que chaque match dicte sa loi et c’est au joueur de s’adapter aux situations et à l’adversaire. » Et les Pays-Bas, c’est quel type d’adversaire ?

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Par Léna Bernard et Tom Binet

Propos de Didier Domi et de Laurent Bonnart recueillis par LB et TB.

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