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Les kops ne servent-ils qu’à chanter ?
Ils sont derrière leur équipe à domicile, la suivent à l'extérieur, crient, chantent, hurlent et supportent comme personne. Pourtant, une fois le coup de sifflet de final donné, ils poursuivent leur combat, bien qu'il soit de plus en plus compliqué à mener.
« La première fonction de la Curva est d’être derrière l’équipe, derrière ses couleurs. » Malgré les tensions actuelles et la situation sportive (très) compliquée du Milan AC, Giancarlo Capelli, leader historique de la Curva Sud rossonera, n’oublie pas le but premier de tout public : soutenir son équipe et chanter à la gloire de ses couleurs. Toutefois, incarner le supplément d’âme porté par le fameux 12e homme n’est pas la seule raison d’être des groupes de supporters organisés. Quand bien même certains aimeraient les réduire à de dociles moutons fanatiques. Aux quatre coins du monde, les supporters, tifosi, hinchas ou socios militent ainsi pour leurs droits, pour être entendus par leurs dirigeants, ou simplement pour exprimer leur opinion dissonante et leur mécontentement. Avec un large panel de combats à mener : contre des prix exorbitants, des interdictions de déplacement, des tribunes divisées, ou encore des résultats sportifs insuffisants. Mais les groupes de supporters organisés peuvent-ils vraiment se faire entendre face à des interlocuteurs (ligues professionnelles, préfectures, clubs) souvent peu ouverts au dialogue ?
Problème structurel et coups d’épée dans l’eau
Avant de pouvoir détailler les moyens d’action des associations de supporters de France et d’Europe, il convient de dissocier les supporters lambda des kops. « Le kop, c’est un peu comme un syndicat en entreprise. On va brailler quand ça ne va pas. Les autres supporters, eux, n’interviennent pas. Ils vont brailler sur les forums, mais voilà, pas plus. Les associations vont, elles, plus loin » , explique Pao du groupe Génération Grenat, à Metz. Le gros des actions de ces kops, tout le monde les connaît : banderoles, tifos, marches, etc. Seulement, en interne, ces groupes possèdent quelques leviers d’action. Ainsi, lorsque la Ligue fait interdire un déplacement à un ou plusieurs groupes par arrêtés préfectoraux, les kops peuvent agir. Enfin, peuvent… « Le truc, c’est que ça devient tellement facile pour eux qu’on peut plus faire grand-chose. Le temps de faire quelque chose, c’est déjà trop tard. Les arrêtés, ils sortent pas trois mois à l’avance, mais quelques jours avant les rencontres concernées. Du coup, on n’a même plus le temps de monter une action, de faire changer le cours des choses » , déplore Pao, quelques semaines après le derby face à Nancy.
Si les engrenages sont grippés, c’est que les structures actuelles ne permettent pas aux associations de supporters de s’exprimer comme elles le souhaiteraient. Pour pouvoir faire bouger les choses, certains savent de qui, et de quoi, s’inspirer. « C’est complètement différent de l’Allemagne, par exemple, où les groupes font partie des clubs. Ils ont des réunions et prennent des décisions en commun. C’est le principe de la co-gestion comme on l’apprend à la fac ! » , plaisante Pao, qui regrette qu’à Metz, les supporters ne puissent pas prendre pleinement part aux grandes décisions. « On n’a pas le gros apport financier des sponsors, mais on a autre chose. On n’a peut-être pas l’argent, mais on fait l’animation » , explique-t-il. Outre ce problème structurel, Pao pense aussi que les supporters sont parfois leur propre bourreau. « Après, sans jeter la pierre, certains se tirent une balle dans le pied. On va prôner certaines choses et tout foutre en l’air le week-end d’après. On ne peut pas dire que tout va bien pour se foutre sur la gueule une semaine plus tard. On perd toute crédibilité » , regrette-t-il.
Influences sportives et décisions irrévocables
De l’autre côté des Alpes, la place de la Curva Sud du Milan AC parmi les groupes les plus actifs de la Botte ne se discute pas. La Ligue italienne de football n’est pourtant que très rarement ciblée par les revendications de l’historique section de supporters milanisti. Le Milan essuie, lui, en revanche le courroux de ses plus chauds supporters depuis le délitement de ses résultats sportifs. Giancarlo Capelli, surnommé « Il Barone » , abonde : « La Curva est toujours derrière l’équipe, même en ce moment. Mais nous sommes scandalisés du comportement du Milan actuel. Contre le Napoli, après le 4-0, nous avons d’ailleurs enlevé la banderole historique de la Curva Sud, pour en témoigner. » Supporter seulement dans la victoire ? Pas tout à fait : « Nous chantons « On veut 11 Lions, on veut 11 Lions », et on a quoi ? Des cou… Les joueurs doivent honorer le maillot. On veut qu’ils comprennent que, quand ils descendent sur le terrain, ils ont de grandes responsabilités vis-à-vis de nous, tifosi » , explique le Baron qui étaye son point de vue : « Ce n’est pas juste une question de talent. On veut que les joueurs donnent le maximum de ce qu’ils peuvent donner. Alors que l’équipe actuelle semble toujours complètement démotivée. Le Milan a déjà épuisé quatre entraîneurs différents. C’est bien que le problème est ailleurs. »
Ainsi la Curva Sud veut faire entendre son point de vue : « Nous avons demandé à avoir un nouveau directeur sportif. Parce que Galliani n’est plus compétent. Les derniers marchés de transferts du Milan en sont une preuve évidente. Toutes les équipes ont un directeur sportif, sauf le Milan. Ce n’est pas logique. Il faut que les choses changent. On touche le fond, il n’y a plus d’excuses. » Giancarlo Capelli est toutefois convaincu que la Curva peut faire bouger les choses : « Le club a eu nos messages. Le président Berlusconi les a eus. Maintenant, c’est à eux de décider. J’espère qu’ils vont les écouter. Je pense que le club suivra nos conseils. Il va les suivre » , ajoute-t-il, comme pour se rassurer. Les revendications sportives peuvent toutefois paraître bien dérisoires. Un peu plus au sud, les supporters des Curve de la Lazio et de la Roma sont, eux, en guerre froide contre leurs dirigeants. En cause, la division des deux Curve du stadio Olimpico. Mais malgré les diverses actions entreprises et la grève de la Curva giallorossa, la décision de la préfecture de Rome sera difficilement inversée. Symbolique d’actions vouées à l’échec. Il faut se rendre à l’évidence : malgré leur opiniâtreté, le rayon d’action des groupes des supporters est décidément bien limité.
Par Eric Marinelli et Gabriel Cnudde