- Il faut que cela cesse
- Épisode 8
Les joueurs qui ne boivent qu’une gorgée avant de jeter leur bouteille par terre
Ce sont des gestes ou des attitudes qui énervent. Qui sont insupportables. Qui rendent dingues tout supporter au stade ou devant sa télé. Et franchement, comme dirait Edouard Balladur, « Je vous demande de vous arrêter ». Focus aujourd'hui sur ces nouveaux riches inconscients qui gaspillent l'or bleu.
D’où cela vient ?
Difficile de dire comment cela a commencé. Insidieusement, forcément. Toujours est-il qu’en 2017, tous les footballeurs le font, ou s’en sont rendus coupables au moins une fois. La scène est classique : le préparateur physique ou l’intendant profite d’un arrêt de jeu et distribue des bouteilles. Eau minérale, 50cl, neuve. Il faut dire que pour un footballeur en plein effort, l’hydratation, cela compte : une baisse de 4% d’hydratation, et ce sont 20% des capacités physiques qui s’évaporent. Le problème, c’est quand 9 joueurs sur 10 débouchent, prennent une gorgée, puis jettent le récipient au sol sans même avoir daigné le refermer. Dans le lot, il y en a toujours un pour recracher les quelques centilitres ingérés – genre on se fait un bain de bouche en plein Nancy-Guingamp – et ainsi optimiser le gaspillage en eau. Population privilégiée, les footeux de l’élite française et mondiale considèrent qu’une bouteille d’eau ne se partage pas, ne se referme pas, et surtout ne doit pas être vide au moment d’atterrir sur la pelouse. Par souci d’arrosage des terrains ? Sûrement pas.
Pourquoi c’est insupportable ?
Selon le site collaboratif Numbeo, une bouteille d’eau de 1,5l coûte entre 30 centimes et 1 euro en France. Pas de quoi dramatiser les jets de bouteilles intempestifs des footballeurs pro ? En 2015, l’ONU appelait à des comportements raisonnés et responsables pour économiser l’eau, sous peine de se retrouver avec des déficits hydriques de 30 à 40% d’ici 2030 à l’échelle mondiale. De quoi faire froid dans le dos et rendre les choses bien plus exaspérantes qu’une leçon de morale d’un ami écolo sur les méfaits des douches trop longues. Alors certes, les footballeurs ne sont pas, à l’échelle de l’humanité, les premiers gaspilleurs d’eau en volume. Mais franchement, quand on sait claquer 100 jongles tout en écrivant un SMS, tirer des deux pieds, ou faire des contrôles orientés et des coups du sombrero, on peut bien rajouter un geste technique à sa panoplie : refermer un bouchon, bordel !
Qui l’incarne le mieux aujourd’hui ?
Difficile d’incriminer un individu en particulier, tant la pratique est universelle dans le monde du football, voire du sport de haut niveau. Alors forcément, on peut se tourner vers Danny Drinkwater, le bien-nommé, qui enflamme Twitter en août 2015 parce qu’il est en train de boire – dans une gourde. Pourquoi pas Guy Roux, à l’affiche d’une pub Cristaline, mais a priori capable de se lancer en solo dans une lutte contre le gaspillage de bouteilles. Ou encore Seydou Keita, qui a fait passer un cap au concept de seconde vie des bouteilles à l’été 2014. En match amical Roma-Real Madrid à Dallas, le milieu malien a balancé sa bouteille à la figure du Portugais Pepe, qui l’avait dans le passé qualifié de singe. La bouteille d’eau non terminée recyclée en arme de jet, cela reste du gaspillage d’eau. Mais le pire, c’est peut-être quand les footeux gaspillent l’or bleu sans le vouloir, à l’image de l’Australienne Lisa De Vanna en quart de finale des Jeux olympiques 2016 contre le Brésil. Visiblement retournée par le scénario d’un match terminé aux tirs au but – victoire des Brésiliennes –, la capitaine des Matildas a tenté de boire à sa gourde par le bas. Et donc laissé s’écouler le précieux liquide et ainsi se faire immortaliser en mondovision dans une séquence digne de Mario Balotelli et sa chasuble.
Comment faire pour que cela s’arrête ?
Si le fléau est profondément et largement ancré, il a l’avantage de présenter naturellement plusieurs solutions, à niveaux gradués. On peut d’abord imposer, comme c’est le cas dans certaines compétitions, l’utilisation des gourdes à la place des bouteilles. À défaut de gourdes, des bouteilles d’eau adaptées aux enfants de moins de 10 ans, voire avec tétines pour les joueurs vraiment en difficulté. Viennent ensuite les options les plus radicales, voire martiales : attribuer un quota de bouteilles à chaque équipe avant les matchs, établir ce quota par joueur s’il s’avère qu’un effectif compte un ou deux moutons noirs. Imposer gourdes individuelles et eau du robinet peut s’avérer également une option intéressante, sans oublier le système développé dans les restaurants « buffets à volonté » – où l’on doit payer pour ce que l’on a laissé dans son assiette – : distribuer des amendes proportionnelles à la quantité d’eau gaspillée.
Pourquoi cela peut précipiter la fin du monde ?
Vingt clubs en Ligue 1 française, chacun avec un effectif de 25 jeunes hommes dans la force de l’âge, amenés à disputer un minimum de 40 matchs dans la saison. À l’échelle européenne ou mondiale, en incluant toutes les divisions professionnelles, il n’est pas besoin de faire un dessin pour apprécier la quantité d’eau nécessaire au fonctionnement du football professionnel. Outre l’utilisation non raisonnée de l’eau – qui profite seulement aux producteurs et distributeurs d’eau minérale –, c’est la question du recyclage des déchets plastique qui se pose. Fin 2015, l’ancienne gloire camerounaise Roger Milla a ainsi lancé à Yaoundé une entreprise expérimentant le recyclage du plastique comme liant de substitution au ciment pour la production de pavé. Au-delà des quantités, importantes, mais moindres que ce que l’on peut observer dans l’industrie ou l’agriculture intensive, la consommation en eau du monde du football a un impact symbolique essentiel : si les stars du ballon rond, idoles des prochaines générations, ne font pas l’effort d’éviter le gaspillage, qui le fera ? Avec ces conneries, on finira par porter des « distilles » pour recycler notre sudation comme les personnages du roman de science-fiction Dune, écrit par le visionnaire Frank Herbert.
La parole est à la défense
Maxime Blanc (milieu, Chambly, ex-joueur d’Évian) « Le problème, c’est que pendant les matchs, on est focalisé sur l’enjeu et on ne peut pas garder la bouteille dans la main, donc on la jette.
Les intendants font de leur mieux ensuite pour récupérer les bouteilles, éventuellement en transvasant les restes d’eau de différentes bouteilles dans une seule. C’est vrai qu’on doit gaspiller pas mal d’eau ainsi, et puis nous, on voit comment cela se passe à la télévision, on fait pareil. C’est un cercle vicieux. Après, aux entraînements c’est différent : on a chacun une bouteille individuelle d’un litre ou plus, et on a plus le temps pour boire, refermer les bouchons… C’est différent. Je ne sais pas si cela représente beaucoup financièrement, mais je n’ai jamais eu de reproches du club ou des intendants par rapport à ce gaspillage d’eau. Mais quand on pense aux pays qui manquent d’eau ou de nourriture, c’est vrai que cela fait réfléchir. D’ailleurs, maintenant que vous m’en avez parlé, je vais faire attention à reboucher mes bouteilles pendant les matchs… »
Dimitri Foulquier (arrière latéral, Grenade) « Franchement, ce n’est pas du gaspillage, si ? Moi, je fais toujours attention à remettre le bouchon avant de lancer la bouteille vers le banc.
Et parfois, le problème n’existe même pas si on dispose de bidons. De manière générale, moi je ne bois pas pendant les matchs, donc je ne suis pas en cause. Mais il faut comprendre les joueurs, si on te file une bouteille sans le bouchon et que tu n’as pas le droit de sortir du terrain, tu n’as pas d’autre choix. Après, les pertes sont aussi minimes, ce sont des petites bouteilles qui sont distribuées par les intendants, pas des bouteilles d’un litre ou un litre et demi. En tout cas, je ne me suis jamais fait réprimander par un intendant à cause de ça. »
Coefficient d’irritabilité
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Par Nicolas Jucha