- Il faut que cela cesse
- Épisode 14
Les joueurs qui célèbrent avec les mains derrière les oreilles
Ce sont des gestes ou des attitudes qui énervent. Qui sont insupportables. Qui rendent dingue tout supporter au stade ou devant sa télé. Et franchement, comme dirait Edouard Balladur, « je vous demande de vous arrêter » . Focus aujourd'hui sur ces joueurs qui célèbrent leur but en mettant leurs mains derrière les oreilles.
D’où cela vient ?
De la nuit des temps. Peut-être même avant. Car s’il y a bien une chose qui fait défaut à l’homme, c’est la capacité à accorder son pardon à celui qui l’a offensé. Les religions ont beau insister sur cet acte noble, peu d’êtres humains en sont réellement capables, et nombreux sont ceux à réclamer vengeance sur l’autel de l’affront. Alors, forcément, les footballeurs n’échappent pas à la règle. Vexés d’avoir été sifflés, critiqués, moqués, chahutés, que ce soit par leurs propres spectateurs ou ceux d’en face, ils sont un paquet à ne pas pouvoir refréner leurs ardeurs de vendetta lorsque l’occasion se présente. Le moment propice est évidemment le but. Et c’est à l’instant même où le ballon franchit la ligne adverse que le joueur, aveuglé par la colère, assoiffé de vengeance, positionne ses mains derrières ses deux oreilles. Une réponse cinglante envoyée à toutes les critiques : « Et alors, je ne vous entends plus là ? » Un moment fort pour lui, presque libérateur. Enfin, en apparence seulement. En réalité, le geste est surtout gênant. Extrêmement gênant, même.
Pourquoi c’est insupportable
D’où vient cette gêne ? De son manque d’originalité, déjà. En faisant ce petit acte de rébellion, le joueur en question ne fait en réalité que reproduire un geste vu maintes et maintes fois sur un terrain de foot. Et à l’image du mec qui célèbre la naissance de son enfant à venir en mimant le bercement, bah ça devient indigeste. Tu veux réellement provoquer les supporters ? Innove. Donne-leur une réponse à laquelle ils ne s’attendent pas. Tu veux clouer des becs ? Surprends-les. Comment ? En regardant un Leo Messi brandir son maillot au Bernabéu, par exemple. Une célébration unique. Et d’ores et déjà légendaire. Les mains derrière les oreilles sont à la vengeance ce que les comédies de Dany Boon sont à l’humour : prévisibles. Terriblement prévisibles. Et forcément ennuyeuses. Terriblement ennuyeuses.
Qui l’incarne le mieux aujourd’hui ?
Putain, ils sont nombreux. Mais comment ne pas penser à Olivier Giroud. La scène se passe le 2 juin dernier. En pleine forme, l’attaquant d’Arsenal claque un triplé face au Paraguay avec les Bleus. Grande classe, rien à dire, d’autant qu’aucun joueur de l’EdF n’avait accompli pareille performance depuis dix-sept ans. Le match parfait. Enfin, presque. Car sur son troisième but, le Gunner s’est arrêté devant la tribune, son regard a toisé les supporters présents et, horreur, ses mains se sont glissées derrière ses oreilles. Certes, le mec était alors irrité par le scepticisme chronique concernant sa présence chez les Bleus, mais quand même, faire ce geste pour un AMICAL, face au Paraguay, difficile de faire pire. À trop vouloir fermer les bouches débordantes de venin, Giroud a caressé le ridicule. C’est dommage, car sans ça, ces dernières auraient beaucoup plus de mal à s’ouvrir derrière. Quand on vous dit que ce geste est un véritable poison.
Comment faire pour que ça s’arrête ?
En agissant comme Riccardo Pinzani. Qui est Pinzani ? Un de ces héros ordinaires. En mai dernier, l’arbitre d’Udinese-Sampdoria n’a pas hésité à exclure Luis Muriel coupable d’avoir célébré son but égalisateur de la sorte face à son ancienne équipe. Certes, la décision paraît légèrement disproportionnée, et alors ? Un moment, il faut frapper fort. C’est triste, mais c’est ainsi. D’autant que ce geste fort, s’il était suivi de tous, pourrait sûrement permettre d’éradiquer cette célébration extrêmement encombrante pour tout le monde. Et lorsque nous y serons parvenus, alors le monde entier devra s’agenouiller devant Pinzani. Des statues à son effigie seront érigées aux quatre coins de la planète. Des écoles seront baptisées à son nom. Des gymnases aussi. Des enfants porteront son patronyme en guise de prénom. Bref, la planète entière sera reconnaissante envers l’immense, le légendaire, le seul, l’unique, le grand, Riccardo Pinzani.
Pourquoi cela peut précipiter la fin du monde
Car le cercle vicieux de la vengeance est infernal. Et entre un petit geste anodin comme celui-ci sur un terrain de foot et un conflit nucléaire à l’échelle mondiale, il n’y a qu’un pas. Alors, le buteur doit prendre sur lui est parvenir à pardonner les sifflets, les insultes, les crachats, les moqueries et les brimades. Pourquoi ? Pour vivre dans un monde meilleur, tout simplement. Et pour montrer sa force, car comme le disait ce bon vieux Gandhi : « Le faible ne peut jamais pardonner. Le pardon, c’est l’apanage du fort. » Et du footballeur, espérons-le.
La parole est à la défense :
Kaba Diawara (ancien attaquant qui a bourlingué un peu partout) :
« J’ai l’impression que c’est plus une célébration de mon époque. D’ailleurs, je crois que c’est Riquelme qui avait lancé ça, si je ne dis pas de bêtise. Quand tu es sifflé, tu peux ressentir un ras le bol, et ce geste, c’est une manière de dire : « Allez-y, moi je continue de donner le maximum, de marquer. » En gros, tu leur dis : « Et maintenant, vous ne dites plus rien ? » Honnêtement, c’est une célébration que je valide, car tu ne peux pas faire grand-chose d’autre à part mettre ton doigt sur la bouche, éventuellement. C’est ton seul moment pour répondre aux sifflets, en fait. Car il ne faut pas croire, sur le terrain, les sifflets, tu les entends. Tu as beau dire : « Ouais, je fais abstraction. » Que dalle ! Quand ça siffle, ça te prend la tête, faut pas se mentir. Sur le terrain, tu donnes le maximum et, parfois, tu as l’impression que les supporters ne le comprennent pas. Mais il faut bien avoir conscience que tu es le premier déçu de ne pas bien jouer. Après, avec l’expérience, on apprend à ne pas trop répondre, car derrière, les supporters vont encore plus t’attendre au match d’après. Mais bon, sur le coup, tu pars un peu en vrille, tu lâches un peu tout. »
Ricardo Faty (milieu de terrain de Bursaspor) :
« Personnellement, à Bursaspor, j’ai un de mes coéquipiers, Cristobal Jorquera, qui fait cette célébration à chaque fois qu’il marque. En fait, moi je trouve cela assez stylé quand tu marques à l’extérieur. Quand tu es là, que tu essuies quelques sifflets, c’est quand même une bonne sensation de faire taire tout le stade. Cette célébration, vraiment, je la trouve pas mal. Après tout dépend du body language que tu y mets. Si tu te plantes devant la tribune adverse avec un regard de killer, forcément, ça va être mal interprété. Et puis il faut aussi faire attention avec ce genre de célébrations, car l’arbitre peut y voir du chambrage et te mettre un carton jaune. »
Adrien Regattin (milieu de terrain, Osmanlıspor) :
« Ah bah, c’est la célébration classique des joueurs qui ont été critiqués par le public. En faisant ça, ils disent : « Alors, je ne vous entends plus ? » Ou un truc du genre : « Allez-y, criez mon nom maintenant ! » (rires) Parfois, le joueur peut aussi faire ce geste pour haranguer les supporters, pour qu’ils chantent plus fort, même si, bon, la plupart du temps, ça reste la première explication. Quand tu fais ça, c’est quand même difficile de dire que ce n’est pas de la provoc… Personnellement, je ne suis pas très fan, et c’est sûr que je ne le ferai pas, mais je reste compréhensif avec ceux qui le font. Quand le joueur est pris à partie par le public, qu’il n’est pas épargné, c’est une réaction assez humaine finalement… »
Coefficient d’irritabilité
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Par Gaspard Manet