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Les joueurs ont-ils le droit de se plaindre du nombre de matchs ?
Avec le retour des matchs internationaux résonne la petite musique sur l’inflation continue du calendrier. Les joueurs se plaignent de plus en plus ouvertement. Les sélectionneurs comptent les blessés. Mais personne ne cherche de solution, argent oblige.
« Évidemment qu’on joue trop de matchs ! C’est une surprise pour personne. Je me souviens qu’auparavant, la Ligue des champions c’était une fois toutes les deux semaines, c’était le seul moment où les joueurs enchaînaient des semaines à trois matchs, alors qu’aujourd’hui, c’est récurrent. (…) Jouer des saisons à 70 ou 80 matchs, pour un joueur, c’est impossible ! » Cette semaine, Aurélien Tchouaméni a dressé en conférence de presse un constat largement partagé. Les joueurs disputent de plus en plus de rencontres chaque saison. Surtout les internationaux. Les chiffres ne souffrent aucune contestation. Les cas emblématiques de quelques stars suffisent pour s’en convaincre. Mohammed Salah ou Sadio Mané affichent 70 rencontres au compteur en 2021-2022, quand Patrick Vieira en enchaînait seulement 55 en 2005. En 2018, avec la Coupe du monde en Russie, juste après sa finale de Ligue Europa, Antoine Griezmann cumulait 63 matchs. Ultime exemple, l’international sud-coréen Heung-min Son, finaliste de la C1 dans les rangs de Tottenham, avait accumulé 78 apparitions sur un terrain en 2019, dont 72 effectuées avec moins de cinq jours de repos entre deux parties.
La folie des grandeurs des instances
L’explication est simple et basique : il faut rentabiliser le produit (avec la manne des droits télé notamment). Dans ce but, la FIFA et l’UEFA ont multiplié les compétitions (la Ligue des nations par exemple, sans parler des diverses coupes continentales avec leurs tours préliminaires), augmenté le nombre de qualifiés en phase finale des grandes compétitions, etc. De leur côté, les clubs signent des tournées promotionnelles à l’autre bout du monde pendant que les ligues nationales externalisent certaines de leurs finales « de gala », à l’image du Trophée des champions français ou encore de la Supercoupe d’Italie, pour ne citer qu’eux. L’imagination est au pouvoir, avec bientôt un nouveau format de la Coupe du monde des clubs, qui va venir ajouter quelques dates pour certains joueurs déjà lessivés.
Sans parler du rêve fou d’un Mondial tous les deux ans que Gianni Infantino, le docteur Folamour du ballon rond, caresse toujours. Ce dernier projet avait provoqué la colère de David Terrier, vice-président de l’UNFP, qui pointait le principal danger sur France Info : l’atteinte à la santé des joueurs. « Nos experts ont analysé le fait qu’au-delà de 55 matchs, les conséquences physiques et mentales sont énormes, présentait-il. On ne sait pas encore si cela va aboutir à une fin de carrière anticipée, ou est-ce qu’ils vont le payer après. Il y a moins de récupération qu’avant tandis que la recherche de performance va toujours plus loin. » Il faut quand même mentionner ce paradoxe : l’explosion des salaires est en partie liée à cette course folle pour augmenter sans cesse la « production » de l’entreprise foot.
« Si chacun grogne de son côté, on ne nous entendra pas »
Pas grand monde ne va pleurer sur les cadences infernales de personnes dont les revenus annuels dépassent généralement le million d’euros. Pour autant, faut-il accepter que la santé de ces travailleurs soit sacrifiée, y compris sur le long terme. Le système semble se mordre la queue, désormais. Les nombreux forfaits ce vendredi soir lors de Pays-Bas-France, qui amenuisent l’intérêt et donc la valeur du produit, illustrent parfaitement ce constat. Même Didier Deschamps, guère soupçonnable d’être un délégué CGT dans l’âme, alerte publiquement à ce propos : « Les joueurs sont les acteurs. Les calendriers sont toujours surchargés, avec une intensité très élevée, des temps de récupération toujours plus courts. Le nombre de blessures ne va pas en diminuant. Il y a des semaines à trois matchs. S’ils arrivent à avoir un poids pour préserver leur intégrité physique, tant mieux. Koeman l’a dit, il a pas mal de blessés lui aussi. Mais vous savez très bien qui a décidé des nouvelles compétitions… »
Mais comment faire plier les instances du foot, quand tout le monde continue d’avoir les yeux rivés sur les lignes budgétaires et les primes de matchs ? Les premiers concernés en ont-ils seulement l’envie ou même la capacité, au-delà de la simple indignation ? Aurélien Tchouaméni en semble convaincu : « Si on est tous contre, il faut qu’on se rassemble tous pour se faire entendre. Si chacun grogne de son côté, on ne nous entendra pas. » Le milieu de terrain saura-t-il seulement se mettre en grève contre son club, le Real Madrid, dont le président n’a d’ailleurs pas lâché son fantasme de Superligue ?
Par Nicolas Kssis-Martov