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Les Irrésistibles frustrés
Pour certains, une répétition générale avant le Mondial au Qatar, pour d’autres, un baroud d’honneur avant quelques mois de pause. Ce match Danemark-France n’a laissé indifférent aucun supporter des Bleus. Et ils étaient nombreux à avoir fait le voyage jusqu’à Copenhague.
La Nørrebro Bryghus est pleine à craquer. De la cave au grenier, rien que du bleu. Et derrière le comptoir de cette petite brasserie locale située non loin du pont de la Reine Louise, une foultitude de bières artisanales qui raviraient n’importe quel amateur de vélo à pignon fixe et de lunettes à monture épaisse et rectangulaire. « En revanche, je ne sais pas si c’est l’inflation ou la volonté de se faire des sous sur le dos des Français, mais presque dix euros la pinte, ça me semble très cher », peste Chris, un expatrié belge, tout en repartant avec deux verres de session IPA. Ce qui est sûr, c’est que pour obtenir un verre gratuit, il faut montrer patte blanche à la Casa bleue. Contrairement aux avant-matchs organisés à Split et à Vienne en juin dernier, à Copenhague, seuls les adhérents aux clubs de supporters peuvent palper le précieux sésame. Un détail loin de gâcher l’ambiance, du moins si l’on en croit les joyeuses tablées de compatriotes chantant à tue-tête et éclusant bière sur bière avant de se mettre en route pour le stade, chaleureusement escortés par la police danoise. « Allez les gars, c’est la dernière avant ce putain de Qatar, on va mettre le feu ! », lance un supporter à la cantonade.
La demi-heure de marche qui sépare la brasserie de Parken est justement l’occasion de prendre la température. Entre Mondial polémique, appels au boycott de tous bords et de plus en plus insistants, crise interne à la FFF et résultats sportifs en demi-teinte, on pourrait croire qu’il n’est pas particulièrement excitant d’être supporter des Bleus à l’heure actuelle. Ou pas ? « On attend 650 Français en parcage aujourd’hui, les places ont été vendues en 24 heures », se réjouit Maxime, référent-supporter à la 3F, qui précise que 70% sont venus de l’Hexagone, tandis que les 30% restants résident au Danemark et ses environs. C’est notamment le cas de Pierre, expatrié à Copenhague depuis sept ans. « C’est le genre d’occasion qu’on n’a pas envie de manquer », sourit-il sous le crachin qui arrose le cortège occupé à agiter moult drapeaux tricolores sous les yeux des passants amusés. « Mais après ça, je ne crois pas que je regarderai le Mondial au Qatar. Je m’intéresse énormément aux questions écologiques et ça me semble être un non-sens total. Comme le fait que 6500 personnes sont mortes sur les chantiers, on ne peut pas faire comme si ça n’existait pas. » Regrette-t-il que les Bleus ne se soient pas prononcés plus concrètement dans le débat ? « Ce n’est pas leur rôle, estime Pierre. On ne peut pas les prendre en otage en leur demandant de boycotter une Coupe du monde. Si quelqu’un doit aller en ce sens, ce sont les responsables politiques. Je ne suis pas contre le fait qu’ils touchent de gros salaires, mais ça doit justement servir à s’engager quand c’est nécessaire et pas à favoriser des conflits d’intérêts. »
Chacun son choix
Soufyane, lui, l’a clairement mauvaise. Ce déplacement au Danemark est le quinzième de ce membre des Irrésistibles Français (IF) depuis 2014. Et le dernier avant six mois. « J’avais déjà boycotté les éliminatoires et c’est donc logiquement que je boycotterai la compétition, parce que c’est incompatible avec mes valeurs », explique-t-il en listant à son tour les morts sur les chantiers, les stades climatisés et les lois discriminatoires du gouvernement qatari. Avant de préciser qu’il s’exprime en son nom propre : « Les IF ont choisi de ne pas donner de consignes quant au suivi du Mondial, car c’est une association apolitique. Pour ce faire, on aurait dû modifier certains statuts de l’association, mais ce projet n’a pas été voté. Je le regrette, mais comme je suis un démocrate, je me range derrière le choix de la majorité. » D’après Maxime, le référent-supporters, un boycott massif n’est définitivement pas à l’ordre du jour : « On avait un quota de 3500 à 5000 billets qui nous étaient alloués pour la phase de poules et ils ont tous été vendus. De notre côté, le plus difficile a été de trouver un endroit pour organiser une Casa bleue sur place. Étrangement, on a trouvé des lieux dans lesquels il était possible de consommer de la bière, car il faut bien ça pour un avant-match, mais quand on a vu le devis, on parle quand même de 150 000 euros pour trois heures de location, ça nous a un peu refroidis… En tout cas, il y aura du monde, ça c’est sûr. Et parmi ceux qui ne viendront pas, il ne faut pas oublier l’argument financier qui entre en ligne de compte, ça va forcément changer la typologie des fans présents. Même si certains ont calculé que c’était moins cher d’aller au Qatar qu’au Brésil ou en Russie. »
Arthur, lui, ne sera pas du voyage. « Parce que c’est trop cher », lâche-t-il. Y serait-il allé si ses finances le lui permettaient, justement ? « Bien sûr !, répond-il sans hésiter. C’est quand même la Coupe du monde ! Parfois j’ai l’impression que tout le monde se ligue contre le Qatar comme si c’était la Corée du Nord… » Pour chacun, ce Mondial hivernal sera teinté de frustration. Que ce soit à cause du portefeuille ou des valeurs à défendre, impossible d’en profiter pleinement. Pierre consent cependant qu’il pourrait déroger à son boycott si les Bleus arrivaient en finale. « Ça peut paraître paradoxal, comme le fait que les gens se réveillent seulement maintenant, mais quelque part, j’ai envie de dire qu’il vaut mieux tard que jamais. Peut-être qu’après ça, on réfléchira différemment vis-à-vis de toutes les thématiques que soulève cette Coupe du monde. » Soufyane, lui, pense que la période est propice pour permettre au vent du changement de souffler. « Au sein de la FFF, on ne peut plus continuer comme ça. Déjà, on a appris qu’il y avait une omerta à propos d’affaires de harcèlement sexuel, ce n’est pas possible ! Et, désolé du terme, mais notre président est devenu sénile. On ne comprend pas ce qu’il dit, il a des discours complètement à côté de la plaque. Comment peut-on dire que le racisme n’existe pas en France par exemple ? Je pense vraiment que le moment est venu pour lui de partir et de laisser la place, quoi qu’il se passe au Qatar. »
Et sur le terrain ? Malgré une nouvelle désillusion, les 650 supporters tricolores ont offert un soutien sans faille à leur équipe. Au coup de sifflet final, certains regrettent malgré tout d’avoir échappé à la relégation en Ligue B « pour se taper des dép’ dans de nouvelles destinations », sans que l’on sache vraiment s’il s’agit d’une blague ou non. Sur le parvis de Parken, l’heure est aux débriefings, parfois décousus, sûrement la faute aux bières à 65 couronnes servies dans des seaux de 75 centilitres. L’occasion pour des amitiés créées en tribune d’échanger sur les thématiques qui entourent leur amour commun : l’équipe de France. Et, comme un symbole, le niveau de jeu des Bleus semble devenu complètement secondaire. « Le foot est à l’image de la société, conclut Joakim, un supporter franco-danois venu assister à la rencontre en famille. On continue de supporter la France, même si elle ne nous fait pas rêver. » Du moins, sur le terrain.
Par Julien Duez, à Copenhague
Tous propos recueillis par JD.
Photos : JD et Iconsport.