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Les Intouchables de l’équipe de France
On pourrait les appeler les chouchous du coach, ou les porteurs d'eau incompris du grand public. Toujours est-il qu'à chaque annonce des 23 en équipe de France, ils sont plusieurs à faire débat auprès des soixante millions de sélectionneurs que compte le pays. Revue d'effectif.
Les vétérans
C’est un peu l’histoire de celui qui fait l’année de trop. Le plus souvent, l’intouchable a une histoire avec l’équipe de France, globalement heureuse. Et par difficulté à savoir dire stop de son propre chef, l’ancienne gloire devient progressivement un poids pour le sélectionneur. Au Mondial 2010, c’est ainsi que Raymond Domenech voulait laisser Thierry Henry sur le bord de la route, discrétos. Devenu remplaçant en club, plus vraiment indispensable en Bleu, voire tricard à la suite de sa main contre l’Irlande, Titi était contesté en interne et une réunion à Barcelone devait mettre fin à l’histoire, sans heurt. Par respect, Domenech voulait lui annoncer de vive voix son intention de ne plus en faire un titulaire, et donc de ne pas l’inclure dans ses 23 par la même occasion. C’était mal connaître le poids d’une Coupe du monde 1998, d’un championnat d’Europe 2000, d’une finale mondiale en 2006, d’une centaine de sélections et, surtout, de l’envie du joueur de disputer sa quatrième Coupe du monde et septième compétition internationale. Henry négocie sa place comme remplaçant. La suite, c’est un fiasco monumental, une honteuse grève, une entrevue avec le président Sarkozy à l’Élysée et une interview exclusive pour Michel Denisot où Henry explique qu’il n’avait plus aucun poids dans le vestiaire. Tiens donc. Triste fin de parcours, comme celle de Marcel Desailly et Bixente Lizarazu six ans plus tôt à l’Euro portugais. Le premier a 36 ans et un genou qui siffle, il se foire au second match contre la Croatie – dégagement fantôme devant Dado Pršo – et finit le tournoi sur le banc. Le second a presque 35 ans, doit souffler lors du second match contre la Croatie, car il a fini carbonisé contre l’Angleterre, et termine sa carrière internationale totalement dépassé sur le débordement grec qui amène au but fatal d’Angelo Charisteas en quarts. Trois destins internationaux dont les fins auraient été plus belles si elles avaient été un peu plus précoces. Crédit à double tranchant.
Les bons soldats
Après la défaite en Suède, le cas de Moussa Sissoko a fait débat. Comme à l’annonce de sa titularisation. Parce que le milieu de Tottenham sort d’une saison compliquée en club, et, surtout, qu’il tient mal la comparaison avec son concurrent à droite, un certain Ousmane Dembélé qui marche sur l’eau cette saison. Mais voilà, l’ancien Rennais est un pur talent offensif, quand l’ancien Toulousain a ce profil moins clinquant de joueur « polyvalent » . Un joueur censé apporter de l’équilibre dans une zone avancée, ou des certitudes plus nettes dans les bases arrière. C’est, par exemple, pour profiter de ces « garanties » que Jacques Santini épaissit la carrière internationale de Steve Marlet – conclue sur un Euro 2004 où il se blesse à l’œil avec son accréditation – et surtout que Raymond Domenech écourte celle de Ludovic Giuly, vainqueur de la Ligue des champions avec le FC Barcelone. Préférant miser jusqu’à 2010 sur un Sydney Govou moins clinquant, mais capable de répéter les courses défensives sur son flanc droit. 49 sélections pour lui, essentiellement sous les ordres de Domenech. Lequel, en 2008, s’est également privé de Philippe Mexès, alors au sommet de son art en Serie A, pour miser sur Jean-Alain Boumsong. Moins glamour, moins technique, le néo-Lyonnais a malgré tout un avantage majeur : un caractère moins imprévisible et rebelle que la star de l’AS Roma. Résultat, en tribune de presse, les journalistes italiens se moquent de leurs homologues français après l’élimination des Bleus par l’Italie, 2-0. Leur argument phare : le sélectionneur a préféré laisser à la maison l’un des meilleurs centraux du championnat au profit d’un autre tricard à la Juventus. Sans parler de l’absence d’un David Trezeguet, l’anti-thèse de l’intouchable sous le règne de Raymond Domenech, dont le chef-d’œuvre dans l’élaboration de sélections contestables reste le millésime 2006, avec Gaël Givet, Séb Squillaci et l’immense Pascal Chimbonda. Sans aucune explication devant les caméras de TF1, mais avec une finale de Coupe du monde au bout du chemin. Quand même.
Le génie enfermé dans sa bouteille
Au sortir de la Coupe du monde 2010, la France du football est aussi divisée que la société américaine après l’élection de Donald Trump. D’un côté, les indignés, qui veulent voir dégager les « racailles » Anelka, Évra, Ribéry… De l’autre, les opposants à la théorie des pauvres gamins apeurés face aux caïds de banlieues, principalement axée autour de Yoann Gourcuff. Lui, le beau gosse bien élevé qui devait devenir la star des Bleus, mais qui a traversé le Mondial comme un fantôme avec un carton rouge pour révérence. Sauf que le meneur de jeu a un avantage majeur : il est dans les petits papiers du nouveau sélectionneur Laurent Blanc, qui l’a magnifié à Bordeaux. À ceci près que le Breton digère mal son transfert à Lyon et toutes les spéculations sur ce qu’il se serait réellement passé en Afrique du Sud. En clair, il est alors loin de son meilleur niveau, mais continue d’être dans les listes. Avec quelques réussites – buts contre la Roumanie, deux fois contre le Luxembourg – et surtout trop de copies bien ternes. Au moment de la « crise des quotas » dans laquelle Laurent Blanc se retrouve en première ligne, la question du maintien de Gourcuff n’en devient que plus délicate. Trop souvent blessé, le milieu de terrain manque ensuite plusieurs rendez-vous avec les Bleus et est finalement l’un des deux recalés de la liste avant l’Euro. Avec Mapou Yanga-M’Biwa. Ce qui n’est jamais bon signe.
Christophe Dugarry
Si un joueur représente à lui seul la caste des intouchables, c’est bien Christophe Dugarry. Lorsque le futur consultant foot de SFR Sport et RMC décroche son ticket pour la Coupe du monde 98, il est alors clairement un joueur en difficulté, qui s’est perdu à l’AC Milan, puis au FC Barcelone, avant de se relancer in extremis à Marseille à l’hiver 1997. Pourtant, Aimé Jacquet préfère miser sur lui malgré des stats faméliques avec l’OM – un but en treize matchs – plutôt que sur le prodige Nicolas Anelka qui vient de claquer le doublé avec Arsenal. Il n’en faut pas plus pour faire de Duga l’un des mal-aimés des Bleus, un joueur largement décrit comme pistonné par son grand pote Zizou. Dans une séquence du documentaire Les Yeux dans les Bleus, on voit d’ailleurs l’attaquant touché par une séquence des Guignols de l’Info qui font dire à l’avatar de Zidane « mon copain Dugarry » . Coopté ou pas, le joueur formé à Bordeaux devient champion du monde en débloquant le premier match des Bleus contre l’Afrique du Sud, puis champion d’Europe avec un autre but contre les Pays-Bas. Avant de terminer à trente ans – seulement – sur la très mauvaise note du Mondial 2002, où il est tout aussi non influent que le reste de ses coéquipiers. Mérite-t-il ses 55 sélections et son palmarès international ? La seule vérité, quinze ans plus tard, c’est qu’il a fait partie de l’équipe de France la plus forte que l’on ait connue. Et elle ne s’appelait pas Team Duga.
Par Nicolas Jucha