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Les Gwada Boys à la conquête de la métropole

Par Adrien Hémard, entre Pointe-à-Pitre et Orly
9 minutes
Les Gwada Boys à la conquête de la métropole

Pour ses premiers matchs depuis la fin de la Gold Cup en juillet, la sélection de Guadeloupe affronte le Cap-Vert et la Martinique. Mais chose rare, les Gwada Boys reçoivent en métropole, à Orléans puis Évry. Un long voyage destiné à relancer la bonne dynamique de la sélection guadeloupéenne, freinée par huit mois sans le moindre match à cause de la Covid, et à asseoir un peu plus la place d’une sélection reconnue par la CONCACAF, mais pas par tous les clubs.

L’aéroport de Pointe-à-Pitre fourmille. En ce vendredi soir de la mi-mars, les nombreux touristes de la haute saison s’entassent dans des Boeing direction l’Europe. Les vacances sont terminées. Mais au milieu de toutes ces mines bronzées, détendues par leur séjour antillais, mais dépitées à l’idée de quitter les cocotiers, une bande d’hommes en chemise blanche s’agite. Plusieurs portent même déjà des pulls, malgré la trentaine de degrés qui étouffent la fin d’après-midi : « On peut dire qu’on porte l’uniforme oui, on est tous prêts à découvrir le froid en tout cas », se marre Morgan Saint-Maximin. Car le milieu de la Solidarité scolaire et ses coéquipiers doivent embarquer dans le vol Corsair SS927 à destination d’Orly. Après huit mois sans jouer, la sélection de Guadeloupe s’apprête à retrouver les terrains. Et pour l’occasion, direction la métropole : une première.

Huit mois de trêve forcée

Dans l’avion, les Gwada Boys sont éparpillés aux quatre coins de la cabine. Objectif : passer le vol le plus calme possible, histoire de bien encaisser le décalage horaire à cinq jours de défier le Cap-Vert à Orléans, où ils posent leurs valises dès la sortie de l’avion. À condition de les récupérer, déjà. Abordés par les locaux à Pointe-à-Pitre – notamment le sélectionneur Angloma -, les joueurs n’ont pas ces problèmes autour du tapis d’Orly. Les sacs récupérés, ils prennent enfin la direction de leur camp de base pour la semaine. « On a hâte de rencontrer les nouveaux camarades », s’impatiente Morgan Saint-Maximin, en référence aux joueurs professionnels qui évoluent sur le continent et qui renforcent la sélection.

Parmi eux, Yohann Thuram, un habitué de la sélection. Le gardien d’Amiens a en effet grandi en Guadeloupe, où il a commencé sa formation avant de s’envoler pour le continent : « C’est toujours un pur plaisir de retrouver les mecs, une bouffée d’oxygène. Il y a pas mal de nouveaux, des locaux et professionnels. On fait en sorte qu’en dehors et sur le terrain, on parle le même langage. » Une tâche d’autant plus compliquée que la pandémie a délié le vestiaire de force, puisque la sélection n’a pu se réunir depuis la fin de la Gold Cup en juillet dernier. « On est resté en contact via notre groupe WhatsApp. On s’est vu avec quelques joueurs sur les terrains de Ligue 2, c’est un plaisir de se retrouver en tant que partenaires », sourit Thuram.

Quand on entend sélection de la Guadeloupe, les gens pensent le sable, les plages, etc., mais je vous assure qu’il y a beaucoup de joueurs de grande qualité.

Dans ce contexte, le sélectionneur Jocelyn Angloma a lui aussi dû s’adapter. Le champion d’Europe 1993, qui a repris la sélection en main depuis 2017, s’est concentré sur les jeunes Guadeloupéens qui évoluent encore sur l’île, dans le championnat local de R1. « On a pu organiser quelques entraînements avec eux, sans les pros du continent. On en a fait trois en février. Mais sur le plan physique, les joueurs vont très bien, et dans la tête aussi », assure l’ancien Marseillais. Ce qu’il doit en partie au maintien de l’élite locale (R1), dans laquelle évoluent les locaux au prix d’innombrables tests PCR. « Quand on a contacté tout le monde pour la reprise, on n’a eu aucun mal à les convaincre. On aura une équipe solide pour affronter le Cap-Vert ce soir », se réjouit Angloma, tout content de pouvoir surfer sur la dynamique enclenchée par la participation à la dernière Gold Cup.

Surfer sur la vague de la Gold Cup

En juillet 2021, les Gwada Boys ont participé pour la quatrième fois de leur histoire à la grande messe du football nord-américain, après 2007, 2009 et 2011. Le début d’une renaissance amorcée à la prise de fonction de Jocelyn Angloma. « J’étais en Guadeloupe, je passais mon BEF, j’ai rejoint la Ligue guadeloupéenne de football, et la proposition est arrivée », rejoue l’ancien latéral, également à la tête du pôle espoir local depuis 2018. « Je peux avoir un vrai suivi des joueurs. » Ce qui explique sa réussite ? « Non, tranche-t-il. Ce sont les entraînements et l’envie de venir des joueurs qui font la différence. J’ai aussi un staff plus fourni avec médecin, kiné, ostéopathe. L’ambiance instaurée est également importante, de même que la qualité des joueurs qui viennent de la métropole, qui apportent un vrai plus. »

Tous les clubs ne nous laissent pas facilement retourner en Guadeloupe, mais aujourd’hui, ça change. Quand j’étais au Havre, c’était un bras de fer compliqué à chaque fois.

Entre les amateurs locaux et les pros de Guadeloupe, il faut toutefois trouver la formule pour garder une cohésion au sein d’un groupe divers. « On a un discours clair avec les joueurs : je prends 23 joueurs en Guadeloupe pour les entraînements, mais on a besoin d’avoir des professionnels avec nous pour les encadrer sur les matchs. Ils comprennent, même si c’est parfois difficile, j’ai un pincement au cœur, mais je dois faire des choix », explique Angloma. Et à écouter les cadres du vestiaire, à l’image de Yohann Thuram, de plus en plus de métropolitains veulent rejoindre les Gwada Boys : « On en a beaucoup parlé à mon retour de la Gold Cup avec les collègues, que des bons retours. Quand on entend sélection de la Guadeloupe, les gens pensent le sable, les plages, etc., mais je vous assure qu’il y a beaucoup de joueurs de grande qualité. » De quoi faire dégoupiller le téléphone du sélectionneur Angloma : « On a une base de données pour suivre les joueurs, mais souvent je reçois énormément de messages des agents, de la famille. (Rires.) »

Le problème, c’est alors de pouvoir se libérer des clubs pour rejoindre la sélection. Car si la Guadeloupe est reconnue par la CONCACAF, elle ne l’est pas par la FIFA (contrairement à la Nouvelle-Calédonie ou Tahiti), et les clubs n’ont donc aucune obligation de libérer leurs joueurs pour qu’ils traversent l’Atlantique et jouent avec les Gwada Boys. « Quand on est sélectionné pour représenter la nation, il n’y a pas de questions à se poser, assure Thuram, tout en nuançant. Tous les clubs ne nous laissent pas facilement retourner en Guadeloupe, mais aujourd’hui, ça change. Il n’y a plus de « rapport de force » depuis l’épopée en Gold Cup en 2021, ils ont compris. Ça nous réconforte de nous sentir entendus par les clubs. Ils ont compris qu’on voyage et qu’on joue dans de bonnes conditions. Mais quand j’étais au Havre, c’était un bras de fer compliqué à chaque fois, par exemple. »

C’est spécial, beaucoup de Guadeloupéens vivent ici, c’est une super opportunité pour rassembler le peuple antillais.

« C’est au bon vouloir des clubs, souffle le sélectionneur. À nous d’avoir des arguments, on fait comprendre qu’on est sérieux, avec un suivi médical, des données des entraînements, etc. L’affiliation FIFA, c’est un objectif et un rêve. On a des discussions, sans être focalisé là dessus non plus. » Pour les locaux, la différence est tout autre, puisque eux ne doivent pas se libérer de leurs clubs, mais de leurs patrons, puisqu’ils sont tous amateurs : « Là, on a posé une semaine de congés pour venir jouer en France, mais souvent les patrons adhèrent. Je n’ai aucun problème avec le mien en tout cas », glisse Saint-Maximin. Quitter la Guadeloupe n’est de toute façon jamais simple pour un footballeur, et encore moins pour les jeunes qui rêvent du professionnalisme, comme ce fut le cas de Yohann Thuram à 13 ans, au moment de s’envoler pour l’AS Monaco : « Quand on part pour le centre de formation, c’est très tôt, sans savoir si on va signer pro. Arrivés ici, on est livrés à nous-mêmes, on a le mal du pays, les habitudes culinaires, etc. Ce n’est pas facile. Je suis un privilégié, j’en suis conscient. »

« Une super opportunité pour rassembler le peuple antillais »

Une fois tout ce chemin parcouru, la dernière étape reste donc la sélection de Guadeloupe pour ceux qui n’atteignent pas les Bleus comme les aînés Henry, Wiltord, Thuram, Trésor, Lacazette, Gallas ou Angloma. Une sélection redevenue ambitieuse sous les ordres de Jocelyn Angloma. « On veut se qualifier pour la prochaine Gold Cup, dans un an, et intégrer le groupe A de la Ligue des nations CONCACAF », expose Yohann Thuram. Le chemin pour la Gold Cup 2023 passe cette semaine par les deux matchs premiers matchs officiels des Gwada Boys sur le sol de la métropole : contre le Cap-Vert ce mercredi à Orléans, puis contre la Martinique pour un derby tropical à Évry. « C’est spécial, beaucoup de Guadeloupéens vivent ici, c’est une super opportunité pour rassembler le peuple antillais », salive déjà le gardien amiénois.

C’est la première fois qu’une équipe antillo-guyanaise va rencontrer une sélection africaine en match officiel international. Lorsque l’on connaît notre histoire, cela représente beaucoup pour nous.

Ravi de l’exposition et de la fête annoncée, le président de la Ligue, Jean Dartron, mesure aussi la symbolique derrière ces deux affiches : « Contre le Cap-Vert, huitième-de-finaliste de la CAN, c’est la première fois qu’une équipe antillo-guyanaise va rencontrer une sélection africaine en match officiel international. Lorsque l’on connaît notre histoire, notre lien avec l’Afrique, cela représente beaucoup pour nous. » Quant à la Martinique, rival historique, c’est « beaucoup plus qu’un derby », prévient Thuram, Il n’y a pas de mots pour décrire cette rencontre. On est issus du même cocon, des petites îles qui essayent d’être des nations, qui ne le sont pas encore, mais en progrès. C’est la même culture. C’est une rivalité festive, pas malsaine ou agressive. » Ce qui annonce une ambiance haute en couleur dès 15h samedi à Évry, « une ambiance tropicale comme on dit chez nous », sourit Morgan Saint-Maximin au moment de monter dans l’avion.

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Au fait, il y a les Bleues qui jouent
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Par Adrien Hémard, entre Pointe-à-Pitre et Orly

Tous propos recueillis par AH

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