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« Les gens qui y arrivent ne sont pas que des gentils »
Dans Comme un lion, Mytri, jeune footballeur, rêve de conquérir la France puis l'Europe avant de rentrer triomphalement dans son village sénégalais. Évidemment, les choses ne se passent pas tout à fait comme attendu. Entretien avec Samuel Collardey, le réalisateur.
Deuxième film du réalisateur Samuel Collardey (après L’Apprenti), Comme un lionconte la trajectoire d’un gamin de la banlieue de Dakar (Mytri) jusqu’à l’équipe fanion du FC Sochaux, non sans passer par un agent sans scrupule qui l’abandonne à son sort au stade Bauer de Saint-Ouen et une bifurcation sociale qui l’emmène vers un foyer dans le Doubs. Raconté comme ça, on pourrait croire que le film empile les clichés, mais il n’en est rien. Le premier à arnaquer Mytri est un Noir, un recruteur camerounais qui oblige sa grand-mère à s’endetter auprès de la caisse du village. Mytri lui-même est parfois une tête à claques qui finit par dérober 120€ à l’entraîneur bourru (Marc Barbé, comme toujours épatant). Le même finit par l’accueillir dans son équipe régionale avant le grand saut chez les Lionceaux. Comme un lion se voit surtout comme un voyage initiatique vers l’âge adulte à travers les obstacles qui se dressent et la relation pas toujours évidente entre un entraîneur et son joueur. Une thématique qui semble hanter Samuel Collardey puisqu’elle était déjà au cœur de L’apprenti. Seule faiblesse du film, le niveau footballistique de Mitri Attal (Mytri) qui, même s’il est souvent doublé, ne donne pas vraiment le change. En revanche, du village sénégalais à la vie sociale de Montbéliard, des douanes de l’aéroport au foyer africain où échoue Mytri en passant par l’environnement d’un petit club de district, Comme un lionréussit à restituer en quelques plans des micro-univers. Une réussite…
Qu’est-ce qui t’as motivé pour réaliser Comme un lion ?
Cela faisait huit mois que je travaillais sur un projet autour d’une certaine jeunesse populaire dans l’armée de terre et j’avais arrêté. Je me suis alors demandé dans quel autre milieu on pouvait trouver ces gamins-là d’origine africaine et maghrébine et dont un tiers est musulmane. Et il y avait le foot. J’ai appelé Jean-Luc Ruty (FC Sochaux) comme on jette une bouteille à la mer. Il a organisé des entretiens avec des gamins du centre de formation dont il n’est pas sorti grand-chose. Avant de partir, la secrétaire m’a parlé de l’histoire d’un Sénégalais qui venait d’arriver. Et il m’a raconté son parcours pendant deux heures, une histoire terrible qui part de Saint-Louis du Sénégal et qui se termine à Sochaux.
Il est toujours à Sochaux ?Ils ne l’ont pas gardé, il joue en CFA dans la région. Il voulait conserver l’anonymat, il n’apparaît donc pas dans Comme un lion. Pour le matériau du film, j’ai également bossé avec Foot-Solidaire, une association tenu par deux Camerounais, qui redirige ces gamins laissés dans la rue vers l’aide sociale à l’enfance. Le scénario est également nourri des histoires d’une douzaine de ces jeunes. C’est un mix.
L’arrière-plan du film concerne le foot, mais ça aurait pu être un autre milieu social…Je n’avais pas envie de faire un film sur le foot. Il y avait quatre choses qui m’intéressaient : l’histoire d’un gamin qui arrive jusqu’au bout de son destin ; les milieux qu’il traversait, du village sénégalais aux foyers à Paris en passant par le passage aux frontières et sa vie à Montbéliard dans le foot pro en formation ; ensuite, cela permettait de faire le portrait d’un bassin industriel en Franche-Comté. Enfin, il y avait la relation fluctuante avec l’entraîneur, un vieil ours, aigri, alcoolo…
Mitri Attal l’acteur n’est pas super crédible dans les scènes de foot…Oui, on me l’a déjà dit. Ça bluffe le grand public, pas les connaisseurs. Il a aussi un corps d’adolescent un peu désarticulé, qui ne l’aide pas. Quand je l’ai choisi, il y avait meilleur que lui dans le village, mais il avait beaucoup plus de facilités à incarner le rôle que les autres. Il fallait faire un choix…
C’est compliqué de filmer du football dans une fiction au cinéma… En fait, l’équipe régionale qui accueille Mytri, ce sont les U-17 de Sochaux. Je ne voulais pas filmer en mode docu, je voulais chorégraphier les scènes de foot. Il fallait que les gamins soient balèzes, qu’il y ait une vraie cohésion entre eux pour filmer les plans de vestiaire, de bus. La vraie difficulté, c’était d’intégrer Mytri à ça, alors qu’il est moins bon qu’eux, et alors qu’il est censé être meilleur. Il a bossé pendant une semaine au centre de formation, on a répété, on lui a trouvé une doublure, on a essayé de voir comment on pouvait filmer à deux caméras.
Le film n’est pas manichéen…Mytri n’incarne pas le pauvre petit Noir entouré de méchants Blancs, je ne voulais pas de ça. Il ne pouvait pas être que gentil. Je suis persuadé que les gens qui arrivent à haut niveau que ce soit en sport, dans les arts ou dans les affaires ne sont pas que gentils. Dans l’histoire, il n’y a pas de gros méchants. Ce ne sont que des gens qui en profitent à chaque étape. Je trouvais intéressant que le premier à l’arnaquer, ce soit un Noir, un peu comme à l’époque de l’esclavage. Le recruteur camerounais envoie trois joueurs avec des visas réglementaires et il en rajoute deux pour se faire un peu plus de maille. L’agent français est obligé de magouiller avec de fausses invitations pour leur faire passer la douane afin de ne pas être inquiété. Il se retrouve avec deux gamins sur les bras et il les abandonne. C’est très cruel, mais ça ne fait pas d’eux de gros méchants…
Propos recueillis par Brieux Férot
Comme un lion, un film de Samuel Collardey avec Marc Barbé, Mytri Attal, Anne Coesens, Jean-François Stévenin. En salles le 9 janvier.
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