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Les frères Borbiconi : « On a été européens avant l’âge »
S'il y a bien deux joueurs qui symbolisent les liens ténus que peuvent entretenir la France et le Luxembourg, ce sont les frères Borbiconi. Une enfance collée à la frontière lorraine, une reconversion professionnelle entre les deux pays et au milieu, un melting pot européen pour les anciens joueurs de Nancy et Metz. Interviews de transfrontaliers entre chambrages, niveau de la sélection luxembourgeoise et anecdotes sur le derby lorrain.
Tout le monde ne le sait pas, mais, désormais, vous multipliez les allers-retours entre la France et le Luxembourg pour le travail. Vous pouvez nous en dire plus ?Stéphane : Oui, on a une agence immobilière, S&C Borbiconi, à la frontière parce qu’on est originaires d’Ottange, un village qui touche le Luxembourg. On a deux bureaux : un côté français, un côté luxembourgeois.Christophe : Durant notre carrière, on avait déjà investi dans l’immobilier, rénové des biens. Dans ces biens immobiliers, on avait une ancienne Caisse d’épargne et on s’est dit qu’on allait installer nos bureaux là. Pour nous, c’était logique d’avoir les pieds d’un côté et de l’autre de la frontière.
C’était comment de grandir dans cette ville quasi frontalière du Luxembourg ? Est-ce que ça a vraiment quelque chose de particulier ?Christophe : Ce qui est bien, c’est qu’on a été européens avant l’âge. Quand on était petits, on allait au cinéma côté luxembourgeois, on allait courir dans le parc de Rumelange côté luxembourgeois. Maintenant, on a beaucoup d’amis là-bas. On a aussi de la famille en Belgique, qui est à trente kilomètres. L’Allemagne est à quarante kilomètres. On est vraiment imprégnés. Pour nous, il n’y a pas de frontière. Et puis, le Luxembourg est un pays très européen : on côtoie des Anglais, des Allemands, des Irlandais, des Italiens, des Portugais. Il y a un vrai melting pot européen qui nous apparaît comme une évidence.
Ce « melting pot européen » , ça vous a aidé dans vos carrières respectives ?Christophe : On a très tôt connu d’autres populations, et au football, les populations sont souvent, disons, bigarrées. Comme on était sur plusieurs pays, nationalités, on connaissait déjà ses différences de culture, de façons de faire en arrivant dans le football professionnel. Et puis, on parlait plusieurs langues du fait de la proximité du pays.Stéphane : Quand on était ados, on parlait déjà anglais et italien – on est d’origine italienne, je crois que ça ne vous a pas échappé – et ma carrière m’a permis d’améliorer ça. J’ai fini par parler turc, russe au fil des saisons. Et puis, on est à vingt kilomètres d’une capitale européenne qui est également une place financière. C’est une chance d’avoir un pays comme le Luxembourg à côté parce que la Lorraine, c’est un désert industriel et post-sidérurgique. Sans le Luxembourg, il y aurait 90 000 frontaliers français qui n’auraient pas de travail.
C’est la raison pour laquelle vous n’êtes jamais vraiment partis d’Ottange ?Stéphane : De par nos carrières, on a été contraints de partir. Mon frère a joué à Nîmes, à Sedan, à Beauvais, à Alès. Moi, j’ai joué à Martigues, etc. Au-delà de l’important aspect familial – tous les Borbiconi sont dans la région –, il y avait de vraies perspectives professionnelles grâce à la locomotive luxembourgeoise. C’est sûr que si on s’était retrouvés dans la Creuse, on n’aurait peut-être pas fait le même choix ! (Rires)
Vous qui êtes transfrontaliers, qu’avez-vous pensé du débat télévisé pour les présidentielles, notamment sur les questions européennes ?Stéphane : On est au cœur de l’Europe, donc on a besoin d’une Europe, c’est sûr, mais peut-être une Europe un peu différente. Pas une Europe des contraintes et des normes, mais qui va de l’avant – même si ça ne veut pas dire grand-chose. On a beaucoup à apprendre de la part de nos voisins belges, allemands, etc. Après, je comprends le mec qui se fait concurrencer par les pays d’Europe de l’Est – parce que les normes sociales ne sont pas les mêmes – et ne peut pas suivre.Christophe : Beaucoup de gens nous disent : « Vous êtes au Luxembourg ! » Bah oui, le Luxembourg, c’est à 500 mètres de notre agence française. C’est plus logique d’aller au Luxembourg, ça n’est pas comme si on était à Bordeaux et qu’on faisait des affaires avec le Luxembourg. C’est naturel.
Puisque vous connaissez aussi bien la France que le Luxembourg, quel est le plus gros cliché du Luxembourgeois pour un Français ?Stéphane : Ça n’est pas facile parce qu’un cliché, c’est toujours un petit peu négatif…Christophe : Je n’en prends pas la responsabilité ! (rires)
L’inverse, alors ?Christophe : Je ne veux pas me brouiller avec les Français non plus ! (Rires) On a toujours cette idée que le Luxembourg est un pays riche, à l’aise financièrement. Les Français, c’est un peu différent. Ils nous appelent les « Franzos » . On n’est jamais contents, râleurs, alors que les Luxembourgeois sont plutôt travailleurs et carrés. Stéphane : Mais finalement, c’est un cliché plutôt répandu concernant les Français, pas quelque chose de très luxembourgeois.
Christophe, vous avez été formé à l’ASNL, Stéphane au FC Metz. Vous pouvez nous parler un peu de cette rivalité ? Comment vous l’avez vécue, en tant que fans ou footballeurs ?Stéphane : Forcément, on a un regard un peu partisan. Cette saison, c’était violent : on a pris 4-0 à Nancy. J’y étais avec des amis. Avec mon frère, on joue à Thionville. Bah le lendemain, il a fait tout l’échauffement avec un bonnet de Nancy. Je lui ai dit qu’on les attendait pour le match retour. Donc chacun prêche pour sa paroisse, c’est une petite guéguerre de clochers. Mais ça reste gentil ! Quand j’étais ado, j’étais supporter de mon frère – c’est normal –, donc j’allais voir les matchs de Nancy. Je ne suis pas un anti-ASNL.
Pas d’embrouille pendant les repas de famille, alors ?Stéphane : Non, on fait simplement des petits pronostics. Le maintien, pas le maintien…
Du coup, cette année, maintien ou pas maintien?Stéphane : Bah Metz, maintien ! C’est presque dans la poche pour nous. Nancy, c’est un peu plus difficile. Ils se tirent des balles dans le pied. Un jour, ils mettent 2-0, un autre ils se prennent une raclée.Christophe : Moi, je suis très fier parce qu’on est avant tout des Lorrains. Mon frère a joué à Metz, moi à Nancy. Quand mon frère a vraiment commencé à Metz, je me suis mis à suivre son équipe. C’est super bien. En revanche, les jours de derby, chacun a son camp…
Votre meilleur souvenir de derby lorrain?Stéphane : Moi, j’en ai deux. Une victoire à domicile 4-0 et l’autre, une victoire 1-0 à Picot et je marque un but de la tête sur corner. C’était sympa pour moi, mais ce sont surtout les supporters que je croise qui me le rappellent. Il faut savoir que je n’ai jamais perdu contre Nancy.Christophe : Étonnamment, je n’ai jamais joué de derby lorrain. J’ai connu une grave blessure, j’ai été prêté, puis on n’était plus dans la même division. Je sais qu’on a failli jouer un match l’un contre l’autre aussi, quand Stéphane jouait à Martigues et moi à Nîmes… (La conversation coupe) C’est du sabotage messin ! (rires) Sinon, en tant que supporter, le dernier 4-0 a fait son effet.
Vous parliez de vous chambrer l’un et l’autre tout à l’heure. On nous a raconté que c’était une affaire de famille…Stéphane : Oui, ça vient du père, ça ! Enfin, pas que, puisque notre cousin, un peu plus vieux que nous deux, est aussi un footballeur-chambreur. Il a été formé au FC Metz, a passé toute sa carrière au Luxembourg, a joué la Coupe d’Europe contre l’OM de Papin et Boli, contre le Celtic. Lui aussi, c’est un grand chambreur. On ne s’est jamais trop pris la tête.Christophe : Après, c’est spécifique au football. On a compris qu’on était en décalage avec notre nouveau métier, que les gens n’y rigolent pas tout le temps, et notre ancien monde du foot. Face à des banquiers, des financiers, les blagues marchent moins ou, parfois, pas du tout ! (Rires) Ils n’ont pas forcément un humour de vestiaire.
Dans ce cas-là, quelle a été la meilleure farce ou crasse que vous ayez faite ?Stéphane : Vous savez, on a tous les deux joué avec un mec qui s’appelle Franck Ribéry. Mon frère à Alès, moi à Metz. Ce sont des conneries : du sel dans l’eau, on coupait les chaussettes, on enfermait les joueurs dans le sauna. Des petits bêtises comme ça, rien de bien méchant. Je rigolais parce que je voyais qu’il faisait au Bayern Munich les mêmes choses qu’on faisait quand on jouait avec lui.
Christophe, à la fin de votre carrière, vous avez joué au F91 Dudelange. C’était comment cette expérience luxembourgeoise ?Christophe : C’était super parce que les Luxembourgeois ont cette spécificité d’être extrêmement professionnels dans tout ce qu’ils font, même en étant amateur. Un club de première division luxembourgeoise, ça vaut très facilement un club de National ou de Ligue 2 en matière d’organisation. J’y ai passé cinq saisons fantastiques pendant lesquelles on a été champions, puis joué la Ligue des champions ou la Ligue Europa. Ça nous a permis de jouer le Rapid Vienne, d’aller en Bosnie, en Lituanie. Chose que je n’aurais pas pu faire si j’avais joué en National. Certes, le niveau n’était pas intense, mais l’expérience était super et ça fait partie des meilleurs souvenirs de ma carrière.
Avec votre statut de frontaliers, quel regard portez-vous sur le football luxembourgeois, sa sélection, son championnat ?Christophe : Je pense que le niveau du football luxembourgeois s’est considérablement amélioré. Le souci du Luxembourg est structurel : ils ont beau avoir autant d’argent qu’ils veulent, ils ne dépasseront jamais un certain plafond. Et puis, ça reste un milieu amateur. Après, ils peuvent accrocher des équipes, aller gagner en Biélorussie ou je ne sais où.
Vous ne les voyez pas faire un coup d’éclat comme l’Islande à l’Euro 2016, par exemple ?Christophe : Non parce qu’il y a une différence de mentalité. L’Islande, c’est un peu comme le Danemark à l’Euro 1992, ils pouvaient y arriver. Les footballeurs luxembourgeois ne sont pas identifiés comme des foudres de guerre dans la bataille. En tout cas, je ne les vois pas faire armes égales avec la France.
Au sein de la sélection luxembourgeoise, le meilleur joueur est probablement Vincent Thill du FC Metz. Est-ce qu’on peut parler de tradition luxembourgeoise dans les clubs lorrains ?Stéphane : Oui, notamment avec le FC Metz. Il y a eu Nico Braun, qui a été l’un des meilleurs buteurs du FC Metz et de l’équipe du Luxembourg, et qui fait désormais partie de l’équipe des anciens du FC Metz et fait office d’ambassadeur du club au Luxembourg. Il y a aussi eu Jeff Strasser et aujourd’hui, Chris Philipps. Ça perpétue une certaine tradition. Mais c’est normal, quand on est au Luxembourg, le gros club à proximité, c’est le FC Metz à seulement 70 kilomètres. Après, je sais que les Luxembourgeois adorent également suivre Cologne ou Schalke en Allemagne. Le petit Vincent Thill, c’est un très bon pied gauche, une petite pépite. Mais je mettrais un bémol parce que les médias s’enflamment. Il reste très jeune, il est encore un peu frêle physiquement et l’intensité des matchs pros n’est pas la même qu’en U17. Il faut lui laisser le temps.
Est-ce que le France-Luxembourg d’aujourd’hui a une saveur particulière pour vous ou pas du tout ?Stéphane : Pour toutes les raisons qu’on a évoquées plus tôt, oui. Je n’irais pas jusqu’à dire que je me sens luxembourgeois – mon frère est plus luxembourgeois de par sa carrière, disons –, mais ça sera un match particulier. Les deux pays ont une sorte de destin commun. Les Luxembourgeois doivent éviter de prendre une tôle et sortir avec les honneurs. S’ils perdent 2-0 ou 2-1, c’est déjà très bien. Mais attention, ça n’est pas joué pour autant. C’est un peu comme l’histoire du Petit Poucet en Coupe de France, tout peut arriver.Christophe : C’est vrai que c’est très français, cette histoire du Petit Poucet. Donc on aura forcément une petite pensée pour eux. Même si on reste français et donc supporters de l’équipe de France.
Votre pronostic pour le match?Stéphane : 3-0 pour la France !Christophe : 2-1 pour la France !
Par Matthieu Rostac et Simon Capelli-Welter