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Les fortunes diverses des supporters dans les Fan Villages

Par Mathieu Rollinger, à Doha
Les fortunes diverses des supporters dans les Fan Villages

Cinq zones d'hébergement temporaires et « bon marché » ont été installées dans les dernières minutes dans la périphérie de Doha pour éponger au mieux la tension hôtelière pendant ce Mondial. Pour beaucoup de ces supporters, l'expérience se révèle moins tragique que prévue, malgré la chaleur qui tanne ces anciens terrains vagues et quelques contrariétés.

Steven ne sait pas trop comment il a atterri là. En voyage entre Singapour et Bruxelles, ce Belge en transit à Doha pour douze heures a parfaitement calculé son coup : il s’est procuré un billet de match pour aller voir les voisins Néerlandais se farcir les Sénégalais, mais voulait aussi passer une tête dans l’un des cinq Fan Villages proposés par l’organisation. « J’ai vu tellement de choses complètement folles sur les réseaux sociaux, avec des tentes à même le gravier ou des sanitaires distribuant de l’eau croupie, que j’ai voulu voir ce qu’il en était de mes propres yeux », expose-t-il avant de se rediriger vers la station de métro située à cinq minutes de marche. Steven fait alors référence aux tentes du village d’Al-Khor, qui ont attiré l’attention des médias du monde entier. Celui de Free Zone montre une réalité un brin différente.

Au bout d’un parking où ronronne l’armada de navettes chargée d’assurer la jonction entre le métro et le stade Al-Thumama, le village de Free Zone offre aux visiteurs une expérience dystopique à vingt minutes du centre de Doha. Sur cette immense dalle, habituelle arrière-boutique des deux aéroports internationaux de l’agglomération, c’est un drôle de campement qui a vu le jour en quelques jours à peine. L’Express rapportait que, jeudi dernier, le tarmac n’avait même encore été posé, mais que les ouvriers ne semblaient pas plus inquiets que ça : tout sera prêt à temps, leur a-t-on dit. De fait, ce lundi, tout est en place, les 4600 cabines apparaissant comme une oasis dans un désert de béton.

Village people

Hani et Melek, jeune couple tunisien, y ont posé leurs valises samedi. Ou plutôt une voiturette de golf les a déposés directement à leur emplacement 14, bloc 2, de la rangée D. « Le check in s’est fait en quelques minutes, juste avec le passeport », témoigne Hani, ingénieur informatique originaire de Sfax, aujourd’hui installé à Lausanne. Pas de cocktail de bienvenue, mais derrière la porte en PVC, c’est un petit studio d’une douzaine de mètres carrés équipé d’un lit double standard, d’un frigo, d’une salle de douche et de toilettes privatives, du Wi-Fi, ainsi que d’une climatisation réglée sur 16°C. « On la coupe la nuit », précise Melek, médecin dans le civil, comme si elle voulait minimiser son bilan carbone. Les températures ayant tendance à passer sous la barre des 20°C la nuit, la seule source de nuisance nocturne reste donc le passage des long-courriers et des Anglais toujours prêts à faire comprendre qu’ils sont là.

Franchement, tout est nickel. Le seul problème, c’est que la supérette ne vend pas de papier toilette.

À cette heure-ci, les lads du baraquement sont tous dans les travées du stade Khalifa à beugler pour que leurs Three Lions passent la sixième face aux Iraniens. C’est donc le calme qui règne sur cette plaine de gazon artificiel. « Franchement, tout est nickel. On a réservé en mars, et ça nous a coûté 200 euros la nuit. Pour une semaine, il y a tout le confort nécessaire, jurent-ils en chœur. Le seul problème, c’est que la supérette ne vend pas de papier toilette. » Un compromis à faire, sachant que les solutions ne se bousculent pas : Doha a dû pousser les murs pour accueillir le gros million de visiteurs annoncés, et les hôtels proposent aujourd’hui des tarifs entre 400 et 5000 euros la nuit quand ils ne sont pas tout simplement complets.

S’endormir la conscience tranquille ?

Alors qu’ils patientent pour s’affaler dans l’un des énormes poufs posés devant l’écran géant où sont diffusés les matchs, Hani et Melek s’improvisent guides : ici la pharmacie, là les food-trucks proposant pizzas, pâtes, falafel, plus loin un café Starbucks (comptez entre 6 et 15 euros pour un repas). Des terrains de sport et des appareils de musculation ont aussi été montés, bien que désertés lorsque le soleil cogne. Certains y verront une sorte de prison colorée et sans grillage, pas ces Japonais et ce Mexicain qui s’envoient un tennis-ballon dans une cage en plexiglas. « Si vous cherchez un quatrième joueur, ne bougez pas les gars, j’arrive dans cinq minutes le temps d’enfiler un short », leur lance Hani, maillot des Aigles de Carthage sur le dos et chéchia sur la tête. « J’étais aussi en Russie il y a quatre ans et c’est ça que j’aime dans ces événements : tout le monde est ouvert à la discussion. » Se croisent ainsi dans l’allée de drapeaux des Américains, des Sénégalais, des Équatoriens, des Gallois, des Australiens, des gens de tous les continents. Plus loin, des ouvriers indiens s’affairent à refixer le mât d’un drapeau qatari. Il s’agira du seul rafistolage entrevu durant la visite.

Gustavo, portant beau la cinquantaine et une liquette vintage de l’Albiceleste, s’est posé la question avant de réserver son vol Buenos Aires-Doha de 20 heures, avec escale à Madrid. Alors, au moment d’engloutir un chawarma poulet, il s’interroge lui-même : « Est-ce que moi et ma conscience sommes en accord avec l’idée d’organiser un Mondial dans un État qui, en plus de ne pas être un pays de football, bafoue les droits de l’homme ? Non. Ma femme a décidé de rester à la maison, ne se sentant ni en phase avec ça, ni en sécurité. Moi, je me suis dit que je n’y pouvais rien, que c’est aux dirigeants de porter cette responsabilité. Il m’était surtout impensable de manquer la dernière Coupe du monde de Messi. » Il lui restera donc une nuit dans un container en zinc pour y réfléchir. Par chance, elle risque de ne pas être si terrible que ça, si tant est que les Anglais n’aient pas décidé de prolonger l’after trop tardivement.

En arrivant ici, je me suis dit : c’est quoi ce truc ? Il fait 50 degrés, je suis en jean, je ne pensais pas que je devrais faire le Peaky Blinder pendant dix jours.

Caravanes oui, palaces non

Le lendemain, Caravan City propose un autre point de vue sur les gratte-ciel dohanais et sur les conditions d’hébergement des supporters. Pour atteindre ce reg à quelques encablures du luxueux hôtel des Bleus d’Al-Messila, il faut marcher une vingtaine de minutes en plein cagnard dont la moitié à attendre au feu pour traverser d’énormes 2×4 voies. Derrière les arches, Izaz propose aux visiteurs de monter dans son tuk-tuk pour abréger leur aventure au milieu de cette forêt de caravanes, alignées de manière stricte et espacées d’une dizaine de mètres.

À la réception, Karim est en sueur, voulant récupérer ses clés depuis 45 minutes et craignant de rater le début de Tunisie-Danemark. « C’est mon pote qui a réservé, mais en arrivant ici, je me suis dit : c’est quoi ce truc ? Il fait 50 degrés, je suis en jean, je ne pensais pas que je devrais faire le Peaky Blinder pendant dix jours », rigole cet habitant d’Aix-en-Provence, qui a déboursé 200 euros par nuitée, avant de mettre le cap vers les toilettes installées dans un bus aménagé. Au milieu de la vaste allée en goudron fondu, Sabrina cherche désespérément la fraîcheur de l’ombre et la chaleur humaine. « La télé dans ma chambre ne fonctionne pas, je vais essayer de voir le match de l’Argentine à la fan zone, souffle l’Allemande, en s’essuyant le front. J’espère qu’il y aura un peu d’ambiance parce qu’ici, on s’ennuie un peu. »

Sous les yeux d’un chameau à moitié assoupi dans son enclos, Viniz galère à verrouiller sa porte, comme toutes les personnes croisées dans cette situation. « Il faut s’y prendre à 20 fois, mais sinon je n’ai pas grand-chose à reprocher : j’ai un canapé, un lit double, une cabine de douche imitation marbre, un frigo, la climatisation et même un néon violet au plafond, décrit ce ressortissant de Dubaï, venu en spectateur neutre. Je sais que des voisins ont eu des problèmes d’eau, mais ça a été réglé en une heure. » Dans cette ambiance de Far West, Paymen, lui, est sur le départ. « Nous avons trouvé une chambre pas trop chère en ville, indique l’Iranien. Ce n’est pas qu’on était mal logés ici, nous savons que nous sommes là pour du football et pas pour passer notre temps dans nos piaules, mais si on peut gagner un peu en confort, on ne crachera pas dessus. »

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Par Mathieu Rollinger, à Doha

Photos et propos recueillis par MR.

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