- Journée mondiale de la charité
Les footballeurs sont-ils des âmes charitables ?
Alors que Mère Teresa est canonisée par le pape François, toujours pas de traces d'un footballeur au panthéon des saints de l'histoire. Pourtant, les joueurs aussi savent faire preuve de solidarité. Mais on ne veut pas toujours les croire.
« À un moment où l’aide humanitaire est devenue plus que jamais nécessaire et où le monde compte plus de réfugiés et de personnes déplacées qu’à toute autre époque depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les œuvres de bienfaisance jouent un rôle de plus en plus crucial pour la satisfaction des besoins de l’humanité. » Le 5 septembre 2015, c’est par ces mots que Ban Ki-moon ouvre la journée décrétée par l’ONU comme étant celle de la charité, en référence à l’anniversaire du décès de Mère Teresa, le 5 septembre 1997. Un an plus tard, Anjezë Gonxhe Bojaxhiu, son nom au civil, est canonisée par le pape François et les besoins n’ont pas diminué. Au contraire : en janvier, l’organisation mondiale a publié un rapport chiffrant l’aide humanitaire actuellement nécessaire à 24,5 milliards de dollars annuels, contre deux milliards en 2000. Si conflits et catastrophes naturelles sont les causes, le football pourrait être une réponse, selon le rapport onusien. Les experts proposent en effet l’instauration d’une taxe de solidarité sur, entre autres, les billets de matchs. Une sorte de taxe Tobin pour les amateurs de stade, donc. Mais qu’en est-il des acteurs, les joueurs ? Ceux que l’on aime rien moins qu’encenser puis brûler, selon l’humeur, sont-ils plutôt des pinces, ou des grands princes ?
Faire la différence et image de marque
À en croire l’association américaine Do Something, Cristiano Ronaldo serait l’athlète le plus généreux au monde en 2015, devant le catcheur John Cena, Serena Williams, la patineuse Yuna Kim, et Neymar. 60 000 euros par-ci pour l’opération neurologique d’un bébé espagnol, 150 000 euros par-là pour un centre de recherche contre le cancer au Portugal, le gamin de Funchal n’hésite pas à dégainer son gros porte-monnaie. Autre exemple ? La prime de victoire en Ligue des champions, soit 600 000 euros, intégralement reversée à des œuvres en mai dernier. Le Madrilène n’est évidemment pas le seul à signer des chèques à caractère caritatif. De Thierry Henry à Didier Drogba, en passant par Mario Balotelli refilant mille euros à un SDF, grands et moins grands joueurs ont un cœur derrière le maillot. Et, quand ils s’engagent, ils le font souvent à la mesure de leurs capacités, réalisant alors de vraies différences pour les récepteurs. Et pourtant, les sourcils se lèvent, les regards se font inquisiteurs : pourquoi ne pas donner plus encore ? Et puis, l’action est-elle sincère ? Un acte désintéressé, de la charité pure, vraiment ?
Qu’ils donnent de leur argent, de leur temps ou de leur image, la question des tenants et des aboutissants viendra inévitablement aux oreilles des joueurs, et ce pour plusieurs raisons. D’une part, il existe des mécanismes d’incitation aux dons dans la plupart des pays d’Europe (en France, le droit à la déduction des impôts sur le revenu est de 66% du montant du don dans la limite de 20% du revenu imposable) dont l’utilisation, dès lors que les sommes grimpent, peut être suspectée d’optimisation fiscale via d’habile conseillers financiers. D’autre part, les plus grands joueurs sont désormais des marques à part entière, dont l’image se travaille et se monétise. Alors, lorsque les conseillers financiers et communication se rencontrent, le doute gagne, quelle que soit la sincérité dirigeant les premiers pas de la démarche. En février 2015, Zlatan Ibrahimović dévoile ainsi un corps temporairement tatoué des noms de cinquante victimes de crises alimentaires. Le but, promouvoir l’action du Programme alimentaire mondial. Un coup de pub réussi… dont on ne sait finalement pas qui du PAM, du Z ou du PSG en profite le plus.
De Valbuena à Abidal
Les footballeurs paraissent condamnés à l’incrédulité dès lors qu’il s’agit de solidarité. Peut-être parce qu’ils pratiquent le plus individuel des sports collectifs. Peut-être aussi parce qu’on leur demande d’afficher leurs bonnes actions, contrairement à ce que réclament les bonnes mœurs, les joueurs ayant dépassé le strict cadre du sportif pour être érigés en exemples à suivre. Forcément, c’est louche. À juste titre, quand le Spiegel révèle que 180 000 euros auraient été offerts à Lewandowski pour participer au match Léo Messi et ses amis contre le reste du monde, en 2015. Ou quand Mathieu Valbuena joue au foot avec un minot de Marseille dans Tous Ensemble, l’émission solidaire de TF1 qui a fait long feu en 2014. Mais lorsque Xavi donne son bateau à l’ONG Proactiva Open Arms, qui accompagne les migrants dans leurs traversées maritimes, ou lorsque la vente de la chaussure de Götze qui a donné la Coupe du monde à l’Allemagne en 2014 rapporte deux millions d’euros à l’association allemande Un cœur pour les enfants, il s’agit bien d’un acte « de bonté, de générosité fait envers autrui » , soit la définition de la charité. Et quand Totti publie Toutes les blagues sur Totti (réunies par moi), dont les bénéfices sont reversés à des œuvres caritatives, on touche carrément au génie.
Et puis il y a les investissements sur le long terme, souvent en rapport avec une histoire personnelle. En France, l’exemple le plus connu est peut-être celui du né apatride Rio Mavuba et de ses Orphelins de Makala. Ou d’Éric Abidal. En 2011, quelques semaines après son opération d’une tumeur au foie, le défenseur français raconte : « J’ai pris la décision de vendre mes voitures. Je suis content de ça. Mais je pense faire d’autres choses. J’ai envie de m’investir dans une association pour lutter contre le cancer. Je vais me plonger dedans. L’argent des voitures pourrait servir à ça. » Quatre ans plus tard, la branche parisienne de la fondation Éric Abidal voit le jour, après Barcelone et avant la Grèce, où il a joué. Ce faisant, Abidal, comme Mavuba, fait preuve de solidarité. Et peu importe, finalement, ses motivations profondes. En revanche, attention à ne pas se faire découper lors d’un match de charité. Surtout au Variétés Club de France.
Par Eric Carpentier