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Les folles aventures de Salisbury City
Il était une fois un petit club anglais de rien du tout, un anonyme qui aurait dû rester anonyme. Mais sa récente mise en vente a changé son morne quotidien en le transformant en une improbable et rocambolesque aventure, au cours de laquelle interviennent un homme d'affaire marocain mythomane, un prince saoudien prétendument joueur de foot et même l'un des membres du groupe à midinettes One Direction. Une histoire de fou(s).
Salisbury, c’est une jolie petite ville de 50 000 habitants basée dans le Comté de Wiltshire. Elle est assez connue des touristes car voisine du fameux site de Stonhenge, ces énigmatiques pierres suspendues dont les plus anciennes remontent à l’époque du Néolithique et qui attirent chaque année près d’un million de visiteurs. Le club de football local attire nettement moins les foules : à peine 1000 spectateurs de moyenne par match au désuet Raymond McEnhill Stadium. Et pour cause, en un peu plus d’un demi-siècle d’existence, Salisbury City FC n’a jamais pu évoluer plus haut que le cinquième échelon du football anglais, la semi-professionnelle Conference Premier. C’était son rang trois saisons de suite entre 2007 et 2010, puis de nouveau la saison dernière, terminée à une honorable douzième place (sur 24), avec pour particularité d’avoir à sa tête le plus jeune entraîneur d’Angleterre, Mikey Harris, 28 ans. En clair, c’était jusqu’au printemps un anonyme bon petit club de campagne comme il en existe tant outre-Manche. Son seul souci : des finances dans le rouge depuis déjà plusieurs années, ce qui a fini par convaincre le président William Harrison-Allan de mettre le club en vente l’hiver dernier. En avril, la situation commence à devenir critique, avec des salaires non payés et des taxes qui commencent à s’accumuler. Mais quelques semaines plus tard, ô miracle, un homme d’affaires venu du Golfe se manifeste. Il s’agit d’un certain Medy Outail Touzar, jeune businessman aux dents longues qui dit avoir l’appui d’investisseurs de Dubaï. Pressé de vendre, William Harrison-Allan ne se méfie pas et conclut l’accord de vente pour une livre symbolique, contre la promesse du nouveau propriétaire de vite régler les traites en retard, puis d’investir pour pérenniser l’avenir du club en D5. En vérité, ce n’est que le début des emmerdes.
Banni de son propre club
Du Medy Outail Touzar, personne ne sait rien ou presque. Il se présente parfois sous le patronyme Otail M. Touzar, A.S.Outail M.Touzar ou tout simplement Mr Otail. Il serait marocain, mais installé aux Émirats arabes unis. Âgé de seulement 31 ans, il souhaitait fortement investir dans le football, en Angleterre ou ailleurs en Europe. Au printemps, un petit entrepreneur de Salisbury, qui se trouve être aussi à la fois entraîneur des gamins du club et grand supporter, prend contact avec lui. Les discussions avancent bien et le deal est finalisé mi-mai avec l’ancien président. Dans la foulée, Touzar annonce une première recrue pour le moins insolite : un certain Khalid Bin Badr Al Saud, 19 ans, qui serait joueur de foot du côté de Londres – rien ne le prouve – et qui surtout serait un prince saoudien. Les deux larrons prennent la pause avec une écharpe du club en main pour officialiser la chose. Mais alors que le mystérieux nouveau propriétaire avait promis de payer les salaires en retard, aucun argent n’arrive sur le compte bancaire du club. Mi-juin, les médias locaux annoncent ce que tous les observateurs pressentaient : le présumé sauveur marocain serait en fait un usurpateur mythomane qui n’a jamais eu l’intention ni les moyens de remettre le club à flot. Les finances étant plus que jamais dans le rouge, la Football Conference (organe national en charge de la D5 et de la D6 anglaise) décide de sanctionner en rétrogradant administrativement Salisbury City en Conference South, la D6. À partir de là, ça vire au grand n’importe quoi. Le club publie un communiqué sur son site Internet, expliquant qu’après consultation avec des experts, il a été décidé du bannissement du nouveau président. Quant à Mark Winter, celui-là même qui avait fait venir Medy Outail Touzar à Salisbury, il décide de se retirer de l’affaire, bien qu’il ait mis personnellement près de 100 000 euros dans la tentative de renflouement du club.
Où il est question du frère de Zanetti
L’entraîneur Mikey Harris décide qu’il en a entendu assez et part voir ailleurs, tout comme une grande partie des joueurs. Mais pour Touzar, ce n’est pas un problème ! Contestant la légalité de son bannissement d’un club qu’il dit avoir légalement acheté, il annonce début juillet la venue d’un technicien suisse renommé et de six nouveaux joueurs, dont un attaquant international émirati. Puis c’est le grand frère de Javier Zanetti, Sergio, entraîneur chez les jeunes à l’Inter, qui est annoncé. Puis, toujours plus loin dans le délire, Touzar prétend à la presse locale être en discussion avec Niall Horan, membre de One Direction, pour partager avec lui la présidence du club… Le fait que Louis Tomlinson, un autre membre de One Direction, soit lui officiellement devenu propriétaire de Doncaster Rovers, club dont il est fan, a certainement dû donner des idées au Marocain mythomane… Évidemment, tout est faux et la blague ne prend pas auprès de la Football Conference, qui a décidé le 4 juillet dernier de sanctionner une nouvelle fois Salisbury en l’empêchant cette fois de participer à la D6. Depuis, un groupe de cinq entrepreneurs locaux (dont Mark Winter) a décidé de reprendre les choses en main et d’essayer de sauver le club. Le journaliste du Sunday Mirror Paul Smith, qui a déjà œuvré par le passé pour d’autres clubs en galère (Leicester, West Ham), a aussi proposé de filer un coup de main. Aux dernières nouvelles, l’ancien joueur de Portsmouth Steve Claridge pourrait arriver en tant qu’entraîneur. Le retour à la normale semble amorcé. Le chemin sera long, à la hauteur du séisme qui a secoué Salisbury la paisible l’espace de quelques semaines un peu folles.
Par Régis Delanoë