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Les feux de la peur

Par Maxime Renaudet et Mathieu Rollinger
6 minutes
Les feux de la peur

Depuis les graves incidents survenus jeudi soir après la victoire de l'Algérie contre la Côte d'Ivoire, la France est sur les dents et les supporters des Fennecs dans le viseur. La demi-finale de ce dimanche, qui devrait se terminer au même moment que le pays s'apprête à tirer des feux d'artifice, laisse planer une vraie trouille quant à de nouveaux débordements.

Un bruit sourd, sec, puis des cris de joie à des milliers de kilomètres à la ronde. Au moment où, à Suez, le capitaine ivoirien Serey Die envoyait son tir au but sur le poteau et dans le même temps l’Algérie en demi-finale de la CAN, l’air de La Casa Del Mouradia s’élevait dans Barbès, quartier cosmopolite de Paris. Composée par un groupe de supporters de l’USM Alger et reprise lors des manifestations de février dernier contre le président Bouteflika, cette chanson accompagne aussi les Fennecs depuis le début du tournoi égyptien.

Dans un contexte politique encore houleux, l’hymne souligne une ferveur qui dépasse le strict cadre du football. « On a forcément envie de célébrer, de montrer aux gens qu’on est heureux. Il y a aussi le fait que cette année, le contexte politique est compliqué en Algérie, suggère Yannis, étudiant franco-algérien de 22 ans. Il y a eu une révolution, je pense que parmi les Algériens de France, beaucoup auraient aimé être là-bas pour faire les manifestations. » Cette fierté s’est aussi exprimée au New Suez Stadium, par les joueurs de Djamel Belmadi, encore les yeux embués après cette partie stressante, et les supporters présents au stade.

Dérapage incontrôlé

Pourtant, les émotions seront beaucoup plus mêlées quelques heures après la victoire. « Du bonheur qui laisse place à la colère et à la tristesse » , écrivait alors Andy Delort sur Twitter. Invité de dernière minute dans l’épopée algérienne, l’attaquant ne pensait pas que son tir au but transformé aurait des répercussions jusqu’à la Paillade, quartier de Montpellier qu’il connaît par cœur. Jeudi dernier, après la qualification des Fennecs, la France a entendu jusque tard dans la nuit la liesse, la joie et les klaxons de ses ressortissants algériens. Comme une tradition immuable et agréable quand elle se cantonne à l’expression pure d’une fierté partagée. Sauf que sur l’avenue de Heidelberg, à proximité du stade de la Mosson, un drame a cristallisé les exaspérations, à propos d’une fête qui a dérapé.

Rayhan est français d’origine marocaine, mais alors qu’il voulait parader au milieu de ses voisins algériens, ce jeune de 21 ans a perdu le contrôle de sa Clio blanche lancée à grande vitesse. Un coup de folie qui a coûté la vie à une habitante du quartier, blessé légèrement sa fille de 17 ans et plus grièvement son bébé de 15 mois (polytraumatisé, mais en voie de rétablissement d’après les dernières nouvelles). Le conducteur placé en garde à vue n’est pas algérien, et est l’auteur d’un accident malheureux, qualifié d’ « homicide involontaire » et de « manquement délibéré à des obligations de prudence » , mais il n’en fallait pas plus pour qu’un climat délétère tombe sur toute une communauté qui souhaitait initialement uniquement célébrer une belle victoire sportive.

D’autant plus que cet acte a été accompagné d’autres débordements ailleurs en France, de Marseille à Roubaix, avec un bilan de 74 interpellations, selon le ministère de l’Intérieur. À Paris, environ 3000 personnes s’étaient retrouvées sur les Champs-Élysées et, au-delà des fumigènes et du blocage de la circulation, les magasins pillés et les vitrines cassées ont contribué à donner une image de chaos total. Un tableau forcément négatif qui fait craindre des récidives ce dimanche… jour de fête nationale française. Christophe Castaner s’est d’ailleurs empressé d’annoncer que le dispositif de sécurité sera renforcé en ce 14 juillet et que, de fait, la vigilance sera accrue et maximale. « Ceux qui se sont livrés à cela méprisent au fond à la fois les valeurs du sport, les valeurs du football, mais aussi le pays dont ils ont célébré la victoire dans ce match » , a déclaré le ministre de l’Intérieur, lors d’un déplacement à Nîmes.

« Notre image en prend un coup »

Les projecteurs sont désormais braqués sur chaque individu brandissant un drapeau vert et blanc dans les rues françaises. Pourtant, une grande majorité des supporters des Fennecs ont fêté cette victoire calmement. C’est le cas de Youcef qui a déambulé dans les rues de Toulouse : « C’était superbe, quelle ambiance ! Mais attention, on a fêté dans la discrétion et le respect des voisins, des gens qui étaient là, sans déraper. » Même son de cloche du côté de Karim. « Ça fait de la peine, vraiment, les vitrines ça coûte cher. Qui c’est qui paye ? C’est nous, donc c’est stupide, dénonce ce vendeur de 59 ans. Notre image en prend un coup et tout le monde paye. C’est pareil pour les gilets jaunes ou l’extrémisme, après les gens confondent tout. » Récurrente, la comparaison avec les gilets jaunes n’est pas anodine. Elle montre surtout que cette minorité visible n’a pas attendu la victoire de l’Algérie contre la Côte d’Ivoire pour s’afficher lors de manifestations publiques. D’ailleurs, elle ne disparaîtra pas si les Fennecs sortent de la CAN ce dimanche.

Problème, les événements de jeudi ont désolé l’opinion publique et excité la fachosphère, qui a dégainé la machine à fake news et les tweets racistes sans aucune impunité. Une habitude elle aussi récurrente, qui pousse Yannis à se demander « si, avec ce drame à Montpellier, doit-on aussi juger toutes les personnes qui sont descendues dans la rue partout en France ? » « C’est dans ces moments-là qu’on entre dans le jeu de l’extrême droite, sur le ton du« Regardez ce que ces gens font dans notre pays » » , continue-t-il. De son côté, Youcef garde « l’espoir que les gens sont assez intelligents pour ne pas catégoriser les Algériens comme des gens violents » . Lui, en tout cas, descendra ce dimanche dans les rues en cas de victoire, avec la ferme intention d’éviter une nouvelle mascarade. « Si un mec à côté de moi abuse, je vais le rappeler à l’ordre, lui dire de se calmer, assure-t-il. On représente plus qu’une simple équipe de foot, on représente le pays, on n’est pas des sauvages. On voudrait que l’ambiance soit la même que l’an dernier pour la Coupe du monde 2018, tout simplement. » Tout en sachant que la liesse tricolore de l’année dernière, lors de la victoire en Coupe du monde, n’avait pas été sans conséquences, puisque là aussi de nombreux heurts avaient eu lieu dans toute la France, faisant deux morts et entraînant plus de 290 gardes à vue. Si la bêtise avait un unique drapeau, ça se saurait.

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Propos des supporters algériens recueillis par Jérémie Baron, Maxime Renaudet et Arthur Stroebele.

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