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Les étranges vacances de Monsieur Gyan
La disparition en mer cet été d'un célèbre rappeur ghanéen marque le début d'une drôle d'affaire pour Asamoah Gyan, ami du chanteur. Entre accusations de meurtres, de magie noire ou passage à tabac d'un journaliste. Récit.
Le contre-pied parfait. Une règle d’or du penalty qu’a visiblement oubliée Asamoah Gyan ce fameux 2 juillet 2010, sur cette chance inouïe offerte par Luis Suárez de qualifier pour la première fois un pays africain en demi-finales du Mondial. Et puisque le destin est souvent cruel, le fautif de Johannesburg jouit aujourd’hui d’un statut de dieu vivant en Uruguay et peut se targuer d’être le transfert le plus cher du dernier mercato, tandis que le malheureux Gyan, retombé dans l’anonymat d’Al Ain, se trouve au cœur de la tourmente dans son pays. Ici, plus question de terrain, mais d’affaires extra-sportives plus occultes les unes que les autres.
Barbecues, jet-skis et disparition mystérieuse
En effet, au sortir d’un Mondial brésilien raté, pourri par les problèmes internes dans la sélection ghanéenne – à l’instar de l’hallucinant convoi aérien déployé pour livrer les primes des joueurs en cash – Asamoah Gyan décide de se ressourcer au pays, s’octroyant des vacances luxueuses à Ada, station balnéaire réputée du Sud du Ghana, située à l’estuaire de la Volta sur l’océan Atlantique. Au programme pour les frères Gyan et leur quinze amis : barbecues nocturnes, concerts improvisés et balades à jet-ski. Ainsi, le dimanche 6 juillet, Gyan et ses amis, dont le très célèbre chanteur Theophilus Tagoe dit « Castro » , louent des jet-skis dans la matinée pour une balade sur la Volta. Alors que le footballeur et le reste du groupe rendent leurs engins pour disputer une partie de beach-volley, Castro décide de continuer la balade, accompagné d’une certaine Janet Bandu. Ils ne reviendront jamais. Présumés noyés, les deux corps ne sont pas retrouvés. Et puisque le mystère est mère de la rumeur, celle-ci ne tarde pas à rattraper les frères Gyan. Accusés tour à tour par les médias locaux de kidnapping, de meurtre puis de sacrifice spirituel dans le cadre d’un rituel de magie noire, Baffour et Asamoah se murent dans le silence.
« Je pense qu’ils ont assassiné Castro et Janet »
À partir de là, l’opinion se déchaîne, tous les médias y allant de leurs théories aussi diverses que variées, le père de Bandu affirmant même à la radio Neat FM « penser qu’ils ont assassiné Castro et Janet. Je ne tire pas de conclusions, mais je suspecte quelque chose de ce genre. » Et puisque, comme le disait Chirac, les emmerdes volent toujours en escadrille, les deux frères se retrouvent une fois encore dans l’œil du cyclone lorsque Daniel Kenu, un journaliste du Daily Graphic, porte plainte le 6 septembre dernier contre Baffour Gyan et Samuel Anim Addo, le manager des deux frères. La raison ? Le journaliste aurait été passé à tabac par les deux hommes, après avoir demandé à l’ancien Rennais, lors d’une conférence de presse, le lieu où se trouvait Castro, ou s’il avait été victime d’un sacrifice humain, comme la rumeur le laissait entendre. Si les deux hommes ont depuis été acquittés, suite au retrait de la plainte, « pour des raisons de santé et des problèmes familiaux » , le pays attendait logiquement des explications.
« Il y a des journalistes partout »
Alors, quand avant-hier, le joueur le mieux payé du continent africain annonce sur son site officiel la tenue d’une conférence de presse à l’hôtel Alisa d’Accra, la foule se presse, comme nous le confirme une employée de l’établissement : « Il y a des journalistes partout, je sais qu’ils ont réservé la salle pour deux heures. Pour le reste, impossible de savoir. » Au menu, la lecture par l’avocat de la famille, Kissi Agyabeng, d’un long communiqué, vilipendant l’attitude des médias pour leurs « allégations sauvages et leurs rumeurs… allant de l’absurde – l’imputation d’un crime dans le sens où Gyan aurait assassiné ou kidnappé Castro – au ridicule – insinuant qu’il l’aurait sacrifié spirituellement pour améliorer sa carrière. » Après avoir rappelé « l’immense choc et la douleur liée à la disparition de Castro et Janet, nous ferions n’importe quoi pour les retrouver » , Agyabeng a réaffirmé que ses clients n’avaient « aucune culpabilité légale ou morale, à quelque titre que ce soit » à propos de ce drame. Quant à Daniel Kenu, l’avocat a affirmé que « la réaction à la question aurait dû être mieux maîtrisée » et a présenté ses excuses pour le « déchaînement colérique de Baffour Gyan » avant de proposer une « trêve entre les frères Gyan d’un côté, et les médias de l’autre » . Et Asamoah Gyan dans tout cela ? À 6300 kilomètres de là, aux Émirats arabes unis, le numéro 3 ghanéen, brassard de capitaine au bras, s’occupait de terrasser le modeste club d’Ajman (0-4), inscrivant un but et délivrant deux passes décisives à ses coéquipiers. L’art du contre-pied parfait.
Par Paul Piquard