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Les entraîneurs sont-ils destinés à être les ennemis des sélectionneurs ?
Džeko, Wilshere, Khalifa, au-delà de constituer un joli « trouvez l'intrus », ce trio a cette semaine ravivé les tensions entre entraîneurs de club et sélectionneurs. La pomme de discorde ? La blessure contractée par les joueurs lors de matchs amicaux, jugés « préparatoires » par les uns, « sans intérêt » par les autres. Alors, coachs et sélectionneurs arriveront-ils un jour à faire copain-copain ?
Le territoire de Crimée n’a pas le monopole des frictions. Un peu plus à l’ouest, cette semaine a été marquée par un regain de tensions en mer Méditerranée, entre Marseille et Tunis pour être exact. L’objet de la discorde ? Un certain Saber Khalifa. Victime d’une élongation à la cuisse droite, l’attaquant de l’OM avait manqué le Classico dimanche dernier, et devait au départ être remis pour la réception de Nice, avec la lourde tâche de remplacer André-Pierre Gignac, suspendu. Mais voilà, le sélectionneur tunisien a tout de même convoqué son attaquant, l’estimant rétabli, et lui a même fait disputer une mi-temps, provoquant la furie de la direction phocéenne. Si la peur d’une rechute paraît légitime, cet épisode, couplé aux plaintes d’Edin Džeko, qui estimait que son sélectionneur l’avait fait jouer malgré une blessure, a le mérite de relancer l’éternel débat entre les clubs et les sélections. L’employeur contre la nation, le salaire contre le drapeau. Entre intérêts divergents, coups de bluff et pressions sur les joueurs, les sélectionneurs et entraîneurs réussiront-ils un jour à hisser le drapeau blanc ?
« Fait chier d’avoir des joueurs blessés »
Les téléspectateurs français en savent quelque chose. Avec Arsène Wenger, la France possède un des plus beaux spécimens d’entraîneur réticent à laisser ses joueurs courir 90 minutes en sélection, surtout lors de matchs amicaux sans grand intérêt sportif. Il faut dire que depuis quelques années, son équipe a souvent joué de malchance côté blessures, et l’infirmerie des Gunners ne désemplit jamais. Dernier exemple en date ? Jack Wilshere, sorti sur blessure lors du match amical disputé mercredi entre l’Angleterre et le Danemark (1-0), et absent au moins six semaines. En effet, l’attitude des clubs est souvent conditionnée principalement par la peur de la blessure. Car lorsqu’on n’a pas la chance d’avoir la profondeur de banc d’un Real ou d’un Bayern, la blessure d’un joueur clé peut avoir des conséquences fatales, comme en témoigne Mécha Baždarević, ancien entraîneur de Marvin Martin à Sochaux : « On appelait les coachs avant les matchs pour leur donner des nouvelles, l’état de forme… Et en retour, on attendait un petit compte-rendu. Bon, une ou deux fois, on a eu des joueurs qui revenaient blessés. Le pire, ça a été avec Marvin Martin. On était très très bien en championnat, avec une victoire supplémentaire on rentrait dans le top 5, puis deux joueurs dont Martin, qui était très bon, sont partis en sélection et sont revenus blessés… Ça nous a fait chier d’avoir des joueurs blessés. » Une peur de la blessure confirmée par Georges Leekens, ancien sélectionneur de la Belgique : « Chaque entraîneur a peur qu’un joueur revienne blessé, donc il ne veut pas qu’il joue. Quand c’est un match amical et que quelques joueurs viennent avec des petits bobos, ça arrive qu’on fasse jouer une mi-temps. Mais on ne peut pas faire ça avec onze joueurs hein, il faut faire des choix à un moment donné. »
« Cela m’arrivait de ne pas dire tout à fait la vérité »
Seule solution pour éviter la fâcherie entre club et sélection, établir une communication transparente, mais surtout permanente, entre les deux, comme l’affirme Leekens : « Tu dois avoir une bonne relation avec les joueurs, mais aussi avec les clubs. Ils te donnent des infos sur le plan médical, physique, relationnel… C’est une question de communication. En préparation de la Coupe du monde, les bons contacts sont primordiaux pour tout le monde, il faut donc avoir beaucoup d’infos de la part des staffs médicaux des clubs. La communication doit être permanente. Dans le cas contraire, on peut attraper des problèmes. » Seulement, le club a toujours eu comme argument qu’il était l’employeur du joueur sélectionné, et que ses intérêts économiques devaient logiquement prévaloir sur ceux de la sélection, jusqu’à tenter des coups de bluff, pour empêcher ses joueurs de rejoindre la sélection, comme l’affirme l’ancien entraîneur sochalien : « J’ai souvent fait des pressions pour que les sélectionneurs ne fassent pas trop jouer mes joueurs. Je téléphonais plusieurs fois en disant que tel joueur était fatigué, ou qu’on en avait besoin… Ça m’arrivait de ne pas dire tout à fait la vérité. »
Pour les clubs, les internationaux sont des poules aux œufs d’or modernes. Du coup, ceux-ci mettent tout en œuvre pour récupérer leurs joyaux le plus vite possible, une fois le rassemblement international terminé comme l’affirme Leekens : « Avant, les joueurs avaient moins de pression en club. Actuellement, ce qui arrive plus, c’est que le joueur revienne directement après le match dans un avion privé. Avant, c’était seulement les équipes italiennes qui faisaient ça. » Baždarević confirme : « On demandait que les joueurs reviennent le plus vite possible. » Avec le temps, les clubs semblent prendre le dessus sur les sélections, et leur pouvoir décisionnaire augmente, au regret de l’ancien coach de Grenoble : « C’est le club qui paie. Le côté économique prend malheureusement chaque jour de plus en plus de place. » Une impression confirmée par Leekens, amer : « Ce sont les clubs qui paient les joueurs, mais ils défendent le pays en jouant pour l’équipe nationale. (…) Les clubs doivent comprendre qu’il faut un travail d’ensemble. Ça a beaucoup changé. » Si la guerre entre entraîneurs de club et sélectionneurs ne paraît faire qu’empirer, la nostalgie, au moins, réconcilie les deux mondes.
par Paul Piquard et Émilien Hofman