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Les enseignements tactiques de la Coupe du monde

Par Markus Kaufmann
Les enseignements tactiques de la Coupe du monde

Elles aiment sans doute conserver leurs secrets. On ne sait pourquoi, mais les Coupes du monde restent mystérieuses jusqu'au bout. Sept petits matchs, au grand maximum. Trop peu pour imprimer des tendances lourdes sur le football mondial. Comment une équipe peut-elle même marquer une époque, en si peu de temps ? Finalement, l'Allemagne n'aura été grandiose que deux fois, contre le Portugal et le Brésil. Comme l'Espagne de 2010, en somme. La portée tactique d'une Coupe du monde est donc difficilement perceptible. Mais d'un autre côté, en quatre petits matchs chacune, les sélections mexicaine et chilienne nous auront marqué pour des années. Tout comme la Colombie. Parce que les vainqueurs n'ont pas toujours raison. Un seul champion, mais sept enseignements tactiques.

La possession de balle, portée disparue ?

La saison des clubs l’avait fait sentir, et tout le monde l’attendait. Atlético, Real, Chelsea : tous avaient montré qu’il ne fallait pas garder le ballon pour gagner. Mais la terrible chute de l’Espagne doit-elle pour autant confirmer la tendance ? Pas forcément. En 2008, déjà, le football vertical de Premier League dormait sur le toit du monde. En 2010, c’était l’Inter de Mourinho. En 2012, le Chelsea de Di Matteo. À chaque fois, la Roja l’avait tout de même remporté. En 2014, c’est l’Allemagne de Löw et ses sept soldats guardiolesques. D’une, dans les grandes lignes, le football défensif – dans le sens noble du terme, celui qui choisit les pièces noires aux échecs – a dominé, avec notamment les exploits du Costa Rica, de l’Uruguay, la Grèce, mais aussi dans une autre mesure les Pays-Bas, l’Argentine ou le Brésil. De deux, l’Italie au grand sourire de Prandelli, transformée et même traumatisée depuis 2008 par les victoires espagnoles, qui se voulait constructive, voire éthique, aura fini naïve. Une victime grave. De trois, si l’Allemagne a gagné avec la possession, elle s’est montrée plus dangereuse sur des phases de jeu direct, et ce tout au long du tournoi. Enfin, et surtout, au contraire de 2010, la meilleure défense n’est plus celle qui garde le mieux le ballon. Si l’Allemagne, l’Argentine et les Pays-Bas n’ont encaissé que 4 buts en 7 matchs, Neuer a été contraint de réaliser bien plus d’arrêts (25) que Romero (19) et Cillessen (18) ! Mais encore une fois, l’Allemagne et son 60% de possession de balle l’ont emporté, et ont surtout convaincu la terre entière. Le football de possession ne peut être déclaré mort : cette Coupe du monde 2014 n’est qu’une halte sur le long chemin du combat entre le football du ballon, et celui de la réaction.

L’évolution des pieds – et de la vista – des gardiens

Et si l’une des conséquences de la possession espagnole de 2010 était, quatre ans plus tard, les déplacements aussi impressionnants qu’utiles de Manuel Neuer en position de libéro ? En 2014, le fait d’avoir un gardien habile des pieds aura aussi bien été une façon de défendre haut, grâce à la lecture du jeu de Neuer, que de bien défendre bas, grâce au jeu au pied de Jasper Cillessen. Arrivé en demi-finale, le Brésil aura pu aussi compter sur le pied gauche éduqué de Júlio César. Comme si cela ne suffisait pas, les pieds d’Iker Casillas ont finalement rendu l’âme, en mondovision, après de longues années de survie au plus haut niveau.

Le drame des numéros 9

Cela fait des années que l’on se doutait que le meilleur buteur du Mondial 2014 allait être colombien. C’était même une évidence : Falcao devait être sacré. Mais non. Surprise. Ou choc : le meilleur buteur de la Coupe du monde du pays de Ronaldo, c’est James Rodríguez. Une merveille, mais un milieu, quand même. En Afrique du Sud, Sneijder, Müller, Forlán et Villa s’étaient partagé le trophée. Un seul attaquant (Forlán ayant joué numéro 10), certes, mais des buteurs naturels suivaient derrière : Higuaín, Klose, Vittek (oui, oui), Luis Suárez et Fabiano, Gyan (tous plus de 3 buts marqués). En 2014, seul Robin van Persie apparaît dans les cinq premiers. Et encore, le gaucher est non seulement un ailier de formation, mais son mental aura complètement disparu à partir des huitièmes, en bon Néerlandais qui respecte ses ancêtres. Aujourd’hui, la loi est dictée par des ailiers reconvertis en numéros 10 ou en attaquants de soutien, qui se montrent dangereux en arrivant lancés, comme des flèches aux trajectoires imprévues : Neymar, Messi, Robben, ou encore Müller, dont le poste restera indescriptible lors de ce Mondial. Le problème ne vient même pas des entraîneurs, qui ont presque tous joué avec un numéro 9 fixe. Même l’Allemagne du faux 9 a fini avec le vrai Miroslav Klose. Oui, les 9 ont dû travailler pour les autres, mais ils l’ont presque toujours fait. Derrière cette excuse, les échecs sont tristement nombreux. Après le forfait de Falcao et la mauvaise condition de Diego Costa, les têtes ont continué à tomber : Van Persie, Higuaín, Fred, Balotelli, Sturridge, Cavani (qui aura joué milieu, en fait). Finalement, seul Luis Suárez, qui est plus qu’un numéro 9 (mais qui jouait bien numéro 9 au Brésil) aura fait honneur au poste d’O Fenomeno, dans son pays.

Le succès à contre-courant de la défense à trois

En Italie, le désastre européen de la Juventus avait fait une victime claire au printemps : la défense à trois. Après l’avoir élevée au rang de mécanisme tactique supérieur, les médias transalpins avaient même fini par déclarer la guerre à ce pauvre système. Mais le Napoli de Benítez, passé à la défense à 4, n’avait pas non plus passé les poules en C1… Dans ce contexte particulier, le Mondial 2014 aura finalement montré tout le spectre des possibilités offertes par l’ajout d’un défenseur central. Donner à la défense l’avantage de la supériorité numérique, d’abord. Ici, le meilleur exemple restera celui de Diego Costa, pris au piège tout seul face aux deux triplettes néerlandaise et chilienne. Répondre à une logique d’effectif, aussi : le profil atypique de certains latéraux (Guardado, Isla) – plus aptes à courir beaucoup qu’à défendre rigoureusement – ou de certains joueurs axiaux comme Márquez ou Medel. Enfin, la défense à trois a permis d’avancer sans créer. Avec deux latéraux positionnés plus haut sur le terrain, pas besoin de passes pirlesques pour gagner du terrain : une bonne circulation de balle doit permettre d’atteindre le camp adverse, que ce soit pour attaquer ou respirer. Et si Scolari avait eu l’audace de changer de système ? Il en avait les armes… Ce Mondial retiendra les Pays-Bas, grâce à la polyvalence extraordinaire de Dirk Kuyt, notamment. Puis, les jolies Sud-Américaines au savoureux mélange de densité défensive et d’amplitude offensive : Mexique, Chili, Costa Rica. Sans oublier l’Uruguay, dans une logique de défense du château fort. Cette fois-ci, Milan n’a rien compris aux tendances : la triplette est loin d’être démodée.

7 matchs, suffisant pour construire un champion du monde ?

Cela fait deux éditions que des projets de jeu remportent la mise après avoir mûri plus ou moins patiemment durant de longues années au fond d’une cave. La Roja, puis la Mannschaft. Mais les vainqueurs ont-ils toujours raison ? À côté d’eux, à une faute bien sentie près (celle de Puyol sur Robben en 2010) ou à une occasion manquée près, le verdict aurait été différent. Peu importe le vainqueur final, l’édition 2014 aura montré que certains entraîneurs parviennent à construire un champion du monde potentiel en une poignée de matchs. Des formations qui étaient arrivées au Brésil sans savoir quel visage elles allaient avoir en repartant. En 2014, les heureuses élues auront été l’Argentine et les Pays-Bas. Deux équipes qui se seront cherchées et trouvées au fil des victoires, mentales, tactiques ou individuelles. Du côté de l’Albiceleste, Demichelis sera devenu incontournable, comme Enzo Pérez ou Lavezzi, alors qu’on ne les attendait pas. En 2010, c’était déjà les Pays-Bas, arrivés avec un Robben à l’infirmerie, et portés en finale par un Sneijder buteur. En 2006, c’était tout simplement les Bleus, grandissant match après match sous l’influence de la majesté de Zidane, le savoir-faire de Makelele, Thuram et Vieira, et la fougue de Ribéry. Il est donc toujours possible d’arriver au Mondial sans repère, et de repartir avec un groupe soudé et une certaine identité de jeu.

Tant pis pour les absents

C’est l’un des faits qui va dans le sens de cette dernière théorie : finalement, les équipes ayant perdu une pièce essentielle de leur puzzle auront réalisé leurs objectifs, voire mieux. Évidemment, la présence de Franck Ribéry du côté français aurait été une arme fantastique contre les Allemands, mais le fait est que l’équipe de France a su faire sans sa meilleure individualité pour construire un collectif stable et efficace. La Colombie a su surpasser la blessure du héros national Falcao, l’Allemagne a gagné sans l’imprévisibilité de Marco Reus, les Pays-Bas sont allés en demies sans le génial Strootman… Enfin, on peut étendre l’idée aux joueurs évincés volontairement : l’Argentine a su se priver de Carlos Tévez. Et le temps aura finalement donné raison à Sabella, si l’on accepte que le profil d’Agüero soit tactiquement similaire à celui de Tévez. Finalement, le Mondial 2014 du Kun aura été similaire à la Copa América 2011 de Tévez : un échec. De quoi faire une place à d’autres profils en 2015, pour mieux entourer Messi ? Avec d’autres créateurs, cette fois-ci ? Et pourquoi pas provoquer un appel (de l’extérieur) du pied de Javier Pastore ?

Les super héros ne suffiront donc jamais ?

En 1986, Diego Maradona n’était pas seul. Pour soutenir ses épaules de petit homme trapu, il avait pu compter sur l’audace de Bilardo, la poésie de Valdano, le cœur de Batista et les dribbles de Burruchaga. En 1990, 1994, 1998 et 2002, Matthaüs, Romário, Zidane ou Ronaldo étaient tous venus bien accompagnés, même si ce dernier aura eu une influence unique sur la compétition. On dirait donc qu’il n’y a pas de super héros assez fort pour faire gagner son pays à lui tout seul. Cette année, ils auront pourtant réussi à porter leurs effectifs en construction vers de belles affiches. C’est l’héroïsme de Suárez qui, qui sait, aurait pu suffire face à la Colombie et le Brésil. C’est l’intensité des débordements de Robben, toujours aussi attendus, mais toujours aussi violents. C’est la petite taille des épaules de Neymar, qui fait mentir le monde entier en claquant des grands buts. C’est Messi, qui se montre sur cinq des huit buts argentins. Mais à chaque fois, il aura manqué quelque chose. La blessure de Neymar, la suspension de Suárez, la bonne défense argentine contre Robben, et les disparitions de Messi en demies et en finale. En 2006, Zidane ne l’avait pas fait. En 2010, Forlán et Sneijder avaient échoué. Finalement, les héros sont peut-être encore plus beaux quand ils meurent à la fin. Et ce ne sont pas forcément des buteurs : Keylor Navas sera tout simplement passé de Levante au Real Madrid, Guillermo Ochoa se sera construit une réputation impérissable en quatre matchs, et le grand shérif de ce Mondial restera à jamais l’implacable Javier Mascherano.

Walid Acherchour, dans la cour d’écran

Par Markus Kaufmann

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