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Les enfants du Pélican
C'est son succès personnel. En l'espace de dix-huit mois à la tête de Manchester United, Louis van Gaal aura au moins réussi à embrasser les traditions de formation du club. Face à Arsenal, dimanche, le Pélican a été porté par un gamin de 18 ans et a lancé deux autres gosses en fin de rencontre. Histoire de porter à quatorze son nombre d'enfants et de confirmer, un peu plus encore, que l'arrivée de Mourinho à United n'aurait aucune logique.
C’est une soirée comme une autre pour Ron Jamieson. L’homme, approchant la soixantaine, rentre de sa journée de travail, passée à sillonner l’autoroute M60 dans le Sud de Manchester. Ron est chauffeur de poids lourd la semaine et gère, dans son temps libre, la Fletcher Moss Rangers Soccer School, fondée en 1986. Cette année-là, au début du mois de novembre, Sir Alex Ferguson débarquait à Manchester pour reprendre en main le mythe Manchester United. Une institution pourrie de l’intérieur par le drinking club emmené par Robson, Whiteside et McGrath. Ferguson va alors s’atteler à assainir le groupe, lui imposer ses règles et en changer le fonctionnement grâce à de jolis chèques pour s’attacher les services de Steve Bruce et Brian McClair d’abord, Mark Hughes, Paul Ince ou encore Gary Pallister plus tard. Jusqu’à soulever la FA Cup en 1990 face à Crystal Palace, la C2 en 92, puis enfin un titre de champion en 93 et un doublé en 94. Le système Ferguson se met petit à petit en place, et United retrouve ses premières couleurs depuis la fin de l’ère Busby. Jusqu’à l’été 1995 où, après les flirts ratés avec les étoiles Overmars et Baggio, l’Écossais va faire confiance à ses oisillons, les Fergie’s Fledglings : Gary Neville, Phil Neville, David Beckham, Paul Scholes et Nicky Butt. Ryan Giggs, lui, cavale déjà depuis quelque temps chez les grands. Leur première sortie commune, à Villa Park (1-3), se résumera en quelques lignes : « Vous ne pouvez gagner quoi que ce soit avec des enfants. » Rien, si ce n’est onze couronnes nationales, trois League Cup, trois FA Cup et deux étoiles de champion d’Europe sur ton maillot. Manchester United a eu ses Busby Babes et ses Fergie’s Fledglings. Et si le monstre venait d’accoucher d’une nouvelle portée ?
14 jeunes lancés depuis août 2014
Jeudi soir dernier, en sortant de son camion, Ron Jamieson n’a pas cessé de recevoir des appels. Il se précipite alors dans son salon et allume la lucarne posée dans le coin de son salon : battu une semaine plus tôt dans le froid d’Herning face au FC Midtjylland (1-2), Manchester United est en train de renverser le scénario et mène facilement face aux Danois (5-1). Reste qu’Old Trafford a enfanté ce soir-là un nouveau héros. Un gosse de 18 ans, numéro 39 sur le dos, vient d’inscrire un doublé pour sa première apparition chez les pros. Il s’appelle Marcus, Marcus Rashford et était encore il y a quelques années un gamin de Ron Jamieson à la Fletcher Moss Rangers Soccer School avant de rejoindre l’académie des Red Devils à l’été 2014. Jamieson se replonge alors dans ses albums souvenirs et retrouve les gueules de Wes Brown, Ravel Morrison ou encore Danny Welbeck, tous passés entre ses mains. Quelques semaines plus tôt, Ron a déjà vu apparaître sur son écran Cameron Borthwick-Jackson. Son académie roule et s’assure de la pub à l’heure où elle cherche désespérément deux millions de livres pour pouvoir survivre. Ce n’est qu’une première gifle.
Car dimanche dernier, Manchester United recevait Arsenal. Sur le banc de la tribune Sud, des gamins : Riley, McNair, Andreas Pereira, Weir, Januzaj et Fosu-Mensah, entourés du vieux Sergio Romero. La moyenne d’âge du banc rouge affiche 21 ans. Sur la pelouse, Marcus Rashford continue d’écrire sa belle histoire et fait tomber les Gunners grâce à un doublé et une passe décisive pour Ander Herrera (3-1). Louis van Gaal, miné par une infirmerie qui dégueule, a même lancé deux novices dans l’élite en plus du jeune Rashford avec James Weir, 20 ans et capitaine de la réserve de United, et Timothy Fosu-Mensah, dix-huit ans. Le Pélican a explosé, fait son cinéma et même fait décrocher un sourire à Sir Alex Ferguson, posé dans son imper en tribune. Comme un boomerang sur le respect d’une institution, sa formation et ses couleurs. Car si le bilan sportif du technicien hollandais est encore inférieur à celui de son prédécesseur, David Moyes, sa réussite est là. Depuis son arrivée à l’été 2014, Louis van Gaal a lancé chez les pros quatorze jeunes de l’académie de Manchester United. Et ce, dès son premier match face à Swansea en août 2014 où il envoya devant Old Trafford Jesse Lingard, devenu un titulaire important, et Tyler Blackett. En dix-huit mois, United a vu débarquer McNair, Borthwick-Jackson, Pereira, Donald Love, Riley et, donc, le gamin Marcus Rashford, pour ne citer qu’eux. Un gosse qui, il y a quelques années encore, avait été refusé par City du fait de sa petite taille et était dragué avec insistance par les voisins de Liverpool.
La Class of ’16 de Giggs ?
Louis van Gaal est comme ça. Le Batave aime la jeunesse, attache une attention particulière à la formation et a toujours agi dans ce sens. D’Amsterdam, où il remporta la C1 en 1995 avec un but du jeune Kluivert, à Barcelone où il lança Xavi et Iniesta. En arrivant à Manchester United, Van Gaal avait pourtant dégagé l’un des symboles de la formation mancunienne, Danny Welbeck, buteur samedi à Old Trafford avec Arsenal. L’histoire était mal passée, très mal même auprès des suiveurs du club et la folie dépensière du Pélican a également irrité face aux échecs de recrutement répétés. Si bien que la tête du technicien hollandais semble prête à tomber en permanence et qu’elle devrait se décrocher en juin prochain. Alors le roi Louis s’est donné une dernière mission : faire de son adjoint, Ryan Giggs, son successeur. Il le répète à l’envi, les rumeurs envoyant Mourinho à United « sont ridicules » selon lui. En lançant des jeunes, Van Gaal envoie un signe clair à ses dirigeants. Manchester United est une terre de jeunesse, ne peut être le théâtre d’une révolution, et José Mourinho n’a pas sa place sur un banc à Old Trafford. D’autant que cette vision est partagée autour de la table du board.
Selon la presse britannique, Sir Alex Ferguson et Sir Bobby Charlton ne seraient pas chauds à l’idée d’installer le Portugais à la tête de leur bébé. Plus encore, certains signes accréditent la thèse de la piste menant à Ryan Giggs. Notamment, les sommes toujours plus importantes injectées depuis plusieurs mois par la direction dans la formation et la nomination, le 16 février dernier, de Nicky Butt à la tête de l’académie. « L’Académie doit continuer à être le cœur du club. Donner leur chance aux jeunes fait partie de notre philosophie, cela fait partie de l’ADN du club. Je suis ravi que Nicky ait accepté cette place, car il a nos valeurs dans le sang. Sa mission sera de moderniser l’académie » , a alors expliqué Ed Woodward, le vice-président de Manchester United. Revient alors cette scène, datée du 19 décembre 2015, d’une défaite terrible à domicile face à Norwich (1-2). Ryan Giggs était alors descendu, au bord de la pelouse, donner ses consignes, aider les jeunes du club, pousser les anciens dans leurs responsabilités. Il en allait du salut de son club. Il en va aujourd’hui de son avenir.
Par Maxime Brigand