- Mondial 2022
- Billet d'humeur
Les écrans de fumée
La bataille des « grands écrans » a commencé. Nombre de mairies, parmi les plus importantes encore dirigées par la gauche (Paris, Lille, Strasbourg, Bordeaux...) ont décidé de s’en passer et de ne pas non plus organiser de fan zone. Cette démarche assez opportuniste a permis en retour de resserrer les rangs des inconditionnels du « foot seul ». Preuve, après la polémique du barbecue, de l’immense capacité de notre pays à se perdre en fausses polémiques plutôt que d’aborder le fond.
La décision de Paris de ne pas installer d’écran géant pour la Coupe du monde au Qatar, privant la capitale d’une potentielle communion populaire autour des Bleus, a provoqué en retour une série de remarques vengeresses et de tweets vicieux. Pierre Rabadan, adjoint chargé du sport, avait justifié ce choix sans détour : « Pour nous, il n’a pas été question d’installer des zones de diffusion des matchs pour plusieurs raisons : la première, c’est les conditions de l’organisation de cette Coupe du monde, tant sur l’aspect environnemental que social. La seconde, c’est la temporalité, le fait que ça ait lieu au mois de décembre. » Les trolls ont de leur coté ressorti avec gourmandise toutes les photos attestant de la compromission d’Anne Hidalgo avec l’émirat. Si la ville n’a pas vendu le PSG à QSI, elle engrange tout de même à la marge des retombées financières, sans compter les investissements des pays du Golfe dans la Ville Lumière. Comme toujours, la question de la cohérence est dégainée par les partisans de la ligne dominante, de la FFF aux journalistes accrédités : « Il faut bien y aller maintenant. » Pourquoi « éteindre » l’image et le son pour le Qatar et pas la Russie par exemple ? Les Jeux olympiques de Paris laisseront d’ailleurs eux aussi une empreinte carbone…
Effectivement, ces micro-engagements municipaux – ô combien médiatiques – interrogent un camp politique, en gros la gauche dite de gouvernement (PS ou EELV). L’occasion de lui rappeler que François Hollande avait négocié les ventes de Rafales au Qatar sur fond de flirt diplomatico-sportif lors des grands événements qu’organisait déjà l’émirat (championnat du monde masculin de handball en 2015). Enfin, les villes en question ont eu des années pour se positionner, alerter, mobiliser à ce sujet leurs administrés. Le seul argument valable s’avère finalement le coût, pécunier et écologique, de ces dispositifs en plein air, en cette période de crise économique et énergétique. Quand on baisse la température de l’eau des piscines publiques, l’urgence ne consiste peut-être pas à enjailler les courageux qui braveront le froid pour France-Australie. Nombre de petites communes feront sûrement un calcul identique si elles veulent laisser ouverts leurs gymnases ou éclairer les terrains de l’AS du coin.
Il ne s’agit en rien d’un boycott
Mais finalement, l’indignation et les réactions outragées que suscite cette polémique en disent long sur la situation du débat autour de ce Mondial. D’abord, il ne s’agit en rien d’un boycott. On ne le répétera jamais assez, absolument personne ne boycotte cette Coupe du monde. Tout le monde y va. Pays, fédérations, joueurs et probablement les supporters en masse. Se passer d’écran géant ou de fan zone, à demi vide ou pas, ne relève en rien d’un penchant totalitaire des anti-Mondial. Le choix de certaines villes ne prive en rien les habitants de l’accès au « spectacle » de la FIFA. Cette dernière engrangera son audimat et ses droits télé. Les belles âmes qui y décèlent une odieuse atteinte à l’universalisme du football devraient concentrer leur effort sur la gratuité de la retransmission des matchs. Comme toujours, dénoncer l’hypocrisie de son « opposant » reste la plus belle des diversions, afin d’éviter d’aborder le fond du problème.
L’enjeu n’est donc pas de savoir si Madame Hidalgo ou Monsieur Pierre Hurmic (quelles voix se sont indignées de son ingérence quand il mobilisait ses réseaux, et l’argent public, pour sauver les Girondins ?) s’achètent une bonne conscience à peu de frais. Il s’agirait plutôt de savoir qui, citoyens et citoyennes devant leur télé, a envie de faire la fête si les gars de Didier Deschamps remportent ce Mondial, là-bas, pendant que notre gouvernement y conduira ses petites affaires politiques et commerciales.
Par Nicolas Kssis-Martov