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Les dix enseignements de la Copa América
La victoire inédite et logique du Chili, l'indigence du Brésil, un Messi bipolaire, ou le grand retour du numéro 10. Ce sont quelques-unes des leçons tirées après trois semaines exhaltantes de Copa América.
Le Chili joue toujours aussi bien et gagne
À domicile, doté de la meilleure génération de joueurs de son histoire, et mûri par ses désillusions récentes, le Chili se trouvait dans la configuration idéale pour enfin remporter un trophée. Malgré un Alexis Sánchez en demi-teinte, mais avec des Vidal, Medel, ou Aránguiz absolument énormes, la sélection de Jorge Sampaoli n’a pas manqué son rendez-vous. Meilleure équipe, avec l’Argentine, jusqu’en demi-finale, elle a beaucoup mieux maîtrisé son sujet que l’Albiceleste lors de l’ultime rencontre, et a obtenu aux penaltys ce qu’elle avait mérité lors du temps réglementaire. Le Chili n’a jamais dévié de son fil rouge, malgré les polémiques sur un arbitrage à la casa, une Ferrari crashée dans un fossé, et un doigt dans le cul. « On a joué comme jamais et perdu comme toujours » avaient coutume de dire les Chiliens devant l’incapacité de leur sélection à triompher lors des grands rendez-vous. Les temps ont changé pour le pays andin.
Bielsa, le temps t’a donné raison
Le fameux slogan des adeptes de l’entraîneur aliéné n’a jamais joui d’une telle légitimité que samedi soir après la panenka d’Alexis Sánchez. Bien entendu, cette victoire est avant tout celle de Sampaoli et de ses joueurs, mais il est difficile d’objecter que rien n’aurait été possible sans la révolution entamée par Marcelo Bielsa en 2007. El Loco n’a évidemment pas inventé Vidal, Sánchez ou Medel, mais il a donné une identité de jeu au Chili qui résiste aux circonstances, aux années, et au nom de l’adversaire. Bielsa a aussi doté son ancien pays d’accueil d’un centre d’entraînement national de premier ordre, en donnant parfois de sa poche pour réaliser certaines améliorations. Jorge Sampaoli a poursuivi l’œuvre de son maître spirituel, interrompue par la parenthèse Claudio Borghi. Ce Chili agressif et vertical, c’est celui d’El Loco, même si le disciple a fini par se détacher du dogme bielsiste pour se montrer plus pragmatique. Quoi qu’il en soit, la victoire de la Roja n’a fait que conforter l’immense cote de popularité de Bielsa dans la longiligne nation, remercié dans la rue, à la télévision, ou sur Twitter.
L’Argentine attend toujours son Messi
Il n’a toujours pas donné à l’Argentine un trophée, mais difficile de parler d’un Messi aux deux visages. Car, balle au pied, aucun joueur n’a fait autant de différences lors de cette Copa que lui, même s’il n’a inscrit qu’un but sur penalty. Pour expliquer son différentiel de rendement avec sa version barcelonaise, le terrain de ses accointances avec ses coéquipiers mérite d’être exploré. Car, en sélection nationale, Messi ne s’est toujours pas trouvé ce partenaire avec qui il s’entend les yeux fermés. Agüero est son pote, mais sur le terrain, il peine à le trouver. Avec Pastore, cette Copa América a laissé entrevoir une amorce de complicité, mais seul le temps pourrait la solidifier. Pas non plus de latéral volant, type Dani Alves, pour dialoguer à bâtons rompus dans le couloir. Leader balle au pied, capitaine de l’Argentine, Messi n’en est pas moins le dernier que l’on aperçoit sur une photo de groupe. Un manque de charisme évident qui pourrait, peut-être, expliquer son histoire tourmentée avec l’Albiceleste. Une hypothèse qui incline forcément à se livrer à une nouvelle comparaison avec Maradona. Car, si El Diez ne répétait pas l’exceptionnel autant que Messi, son emprise sur les siens était tout autre. Maradona se sentait en lutte contre le monde, l’adversité comme terrain d’expression naturelle. Pas celui de Messi, biberonné dans l’opulence barcelonaise. Le quadruple Ballon d’or a bien tenté en finale et la grande majorité des fautes chiliennes ont été commises sur sa personne, mais quand a-t-on vu le meilleur joueur du monde se rebeller, contre le traitement dont il faisait l’objet, mais, surtout, contre la trame d’un match qui a commencé à échapper à l’Argentine à partir du début de deuxième période ? Le charisme n’est pas la première qualité que l’on cherche chez un joueur, mais dans les moments clés, ceux qui font les champions ou les désillusions, il peut faire la différence, comme un crochet de Lionel Messi.
L’Argentine, une sélection de losers ?
Il y a un an, au Maracanã, l’Albiceleste, alors outsider, avait réalisé le match qu’il fallait pour battre l’Allemagne, mais Higuaín avait laissé son réalisme au vestiaire. Cette année, l’Argentine, favorite face au Chili, a manqué sa finale, s’est montrée inférieure collectivement, et au bout, un même résultat négatif. Un revers qui étire à vingt-deux ans la période de sevrage d’un pays habitué à gagner. Depuis la victoire de Batistuta et consorts face au Mexique en 1993, l’Argentine a disputé trois finales de Copa América (2004, 2007, 2015), une finale de Mondial, pour quatre défaites. Le pays de Maradona, Messi, Di Stéfano est aussi celui d’Héctor Cúper.
Le numéro 10 n’est pas mort
La qualité de jeu de cette Copa América a fait débat, mais le tournoi sud-américain a amené une nouvelle réjouissante : le numéro 10 n’est pas mort. James Rodríguez l’avait rappelé lors du Mondial, mais il était bien seul. Cette fois, c’est Jorge Valdivia, au temps de jeu marginal au Brésil, et Javier Pastore, la seule mais significative innovation de Gerardo Martino, qui ont redonné au numéro devenu presque tabou en Europe, tout son lustre. Entre les lignes, El Mago a régalé ses coéquipiers de passes subtilement dosées et rapidement pensées. Tandis que Pastore a oscillé entre dribbles dans une cage d’escalier et orientations exquises. Dieu merci, Riquelme n’était pas l’ultimo diez.
Sans Neymar, la Seleção perd toute dignité
Comme l’an dernier, le Brésil a déçu, interprété un football d’une pauvreté affligeante, et comme l’an dernier, Neymar, le seul à pouvoir désorienter les défenses adverses, n’a pu terminer la compétition. Comme l’an dernier, c’est une rixe avec Camilo Zúñiga, verbale cette fois, qui lui a fait voir la sortie. Le Brésil serait-il allé plus loin avec sa star ? Rien n’est moins sûr. L’obstacle paraguayen aurait peut-être été à sa portée, mais une demi-finale face à l’Argentine aurait renvoyé aux fantômes du 7-1. Soutenu par sa Fédération, Dunga, qui n’a pas su remettre la Seleção sur les rails du succès, se voit désormais confier la périlleuse mission de qualifier le Brésil pour la Russie 2018. Considérer que le Brésil puisse ne pas être du Mondial n’est plus une pure élucubration, c’est aujourd’hui une hypothèse raisonnable.
La surprise péruvienne
Le Pérou s’est avancé dans l’inconnu au Chili. Il est reparti avec une médaille de bronze, remonté à bloc, et avec l’espoir d’enfin revoir une Coupe du monde, qu’il ne fréquente plus depuis 1982. Arrivé il y a seulement trois mois, l’émacié Ricardo Gareca a redonné de l’ordre et de la fougue à la Blanquirroja. Le changement provoqué par le sélectionneur argentin a été d’une telle magnitude que le Pérou semblait parti pour faire au moins jeu égal avec le Chili avant l’expulsion de Zambrano, et qu’en infériorité numérique, la Roja a peiné à prendre le dessus sur son voisin. Outre l’héroïque Paolo Guerrero, toujours admirable en sélection, la sélection de Gareca pourra aussi compter sur Christian Cueva, la révélation de la Copa, pour que la prochaine campagne éliminatoire ne se termine pas à nouveau le bec dans l’eau.
La descendance prolifique de Larissa Riquelme
Alors que les sélectionneurs remettaient la doudoune à la mode pour se protéger du froid de l’hiver austral, elles ont passé leur Copa à moitié nues ou à menacer de tout enlever en cas de victoire de leur pays, voire même d’une simple qualification pour le deuxième tour, pour les moins exigeantes, ou les plus intrépides. Surnommées « les petites amies de la Copa América » , Vivi, Danielle ou Nissu ont fait autant de clics que Messi, Neymar et consorts pendant cette Copa. Et même pas un mot pour Larissa Riquelme, qui avait pourtant montré le chemin, le téléphone calé entre les seins.
Le Mexique avait mieux à faire
Star d’internet lors du dernier Mondial, Miguel « El Piojo » Herrera n’a pu flamber au Chili. Une phase de poules calamiteuse, sauf sa belle réplique donnée au Chili, et retour direct à Mexico pour El Tri. Le sélectionneur mexicain avait pourtant annoncé que son équipe visait la finale, malgré le scepticisme escortant son choix de se mesurer au meilleur de l’Amérique du Sud avec une équipe B. Peut-être aurait-il dû dire la vérité : que le Mexique avait beaucoup mieux à faire cet été que de se les cailler au Chili. Mercredi, armé de Guardado, Herrera et Vela, El Tri débutera sa Gold Cup face à Cuba. Viendront ensuite d’enthousiasmants duels face au Guatemala et Trinidad et Tobago. Dans la vie du Mexique, il y a des priorités.
Luis Suárez a manqué à l’Uruguay
Le tenant du titre était privé de son Pistolero, et sa Copa América s’est terminée sur un coup fumant, tramé par Gonzalo Jara. Malgré cette élimination dans le fracas, les Uruguayens ont encore montré quel redoutable ensemble ils formaient quand il s’agissait de rétrécir les espaces et d’exploiter les rares situations favorables. En quarts de finale, la domination du Chili a ainsi été totale, mais les meilleurs occasions ont été Celeste avant l’expulsion d’Edinson Cavani, dont le présent ressemble à un interminable chemin de croix. Guidé depuis neuf ans par Tabárez, l’Uruguay ne réinvente pas le football, mais disposer de joueurs qui appliquent les mêmes principes de jeu depuis qu’ils intègrent les sélections de jeunes permet au pays de trois millions d’habitants de rester compétitif. Si Luis Suárez avait été là, le Chili aurait-il gagné sa Copa América ?
Par Thomas Goubin