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Les derniers jours du Stade Bauer
La mythique enceinte du Red Star est-elle condamnée à disparaître dans une explosion de dynamite ? C’est bien ce qu’avait prévu la mairie de Saint-Ouen. Sauf que…
Le lieu : quelque part au-delà du périphérique nord de Paris, dans la ville de Saint-Ouen, au bout d’une voie longue, droite et triste, la rue du docteur Bauer. Les protagonistes : des supporters férus d’histoire, une mairie hésitante, des promoteurs immobiliers. L’enjeu : mais que va donc devenir le Stade Bauer, l’enceinte aussi légendaire que vieillissante où évolue le Red Star depuis désormais plus d’un siècle ? La question est apparue sur le devant de la scène le 7 janvier dernier. Lors d’un 32e de finale de Coupe de France Red Star-OM, transféré pour l’occasion au Stade de France, le petit kop audonien ignore stoïquement les cinq buts inscrits par les Marseillais et préfère sortir une étonnante banderole, « Le Red Star, c’est Bauer! » . Petit frisson médiatique, d’autant que le match est télévisé. Cinq moins plus tard, Vincent Chutet-Mezence, président du Collectif des amis du Red Star, une association née en 2001, au moment du dépôt de bilan du club audonien et de sa relégation dans l’enfer de la DH, se frotte encore les mains de l’initiative. « Suite à ce match, la maire de Saint-Ouen, Jacqueline Rouillon, a demandé à nous rencontrer » , dit-il. Avant d’ajouter : « Cela nous a enfin permis d’alerter sur le risque de destruction de Bauer. »
Car le fait est là : le Stade Bauer est en danger de mort. Réel. Et depuis un bail. « Jusqu’en 2008, dans le sillage de madame le Maire, toute la municipalité – y compris l’opposition de droite – défendait l’idée de détruire Bauer. Aujourd’hui, il n’y a plus de position officielle, mais je ne suis pas convaincu que la maire soit tant attachée que ça à l’enracinement du Red Star dans la ville » , reconnaît sans peine Henri Lelorrain, adjoint au sport (PS) à la mairie de Saint-Ouen. En cause : un état de vieillesse généralisée jugé incompatible avec la pratique du football professionnel au XXIe siècle. « Le Red Star ne peut miser son avenir sur l’actuel stade Bauer. C’est impossible, il est trop obsolète » , déclare Henri Lelorrain. « Dans l’idéal, je suis comme les supporters : je suis attaché à Bauer, c’est clair. Mais si on veut passer une nouvelle étape, il faut regarder vers l’avenir » , renchérit l’ancien international Steve Marlet, qui est retourné jouer, à 38 ans, dans le club qui l’a formé. Que faire alors ? L’idée qui semble tenir la corde serait la suivante : en finir avec Bauer à coups de dynamite, pour y construire à la place des immeubles d’habitation ; et édifier un nouveau stade à l’autre bout de Saint-Ouen, dans la zone des docks. Pour l’heure, aucune étude sérieuse n’a pourtant été menée sur le sujet. « De ce que l’on en sait, cela va être un projet trop cher pour tout le monde. Un grand truc vide comme le MMA au Mans » , se désole Henri Lelorrain. Bref, quelque chose à mille lieux de ce que représente depuis un siècle le stade Bauer – dont le vrai nom, au passage, est « Stade de Paris » .
Gestapo et dissidents
Le Red Star et Bauer forment en effet bien plus qu’un couple club de banlieue/stade pourri. C’est, purement et simplement, un morceau de l’histoire du sport français. Construit sur des anciens jardins ouvriers, il a été, un moment, le centre du football parisien. « En 1964, le Red Star, premier en D2, reçoit le Stade de Reims. La rencontre se déroule devant 22 000 entrées payantes. La veille, le Racing de Paris avait joué l’OM au Parc des Princes devant à peine 2200 spectateurs » , rappelle ainsi Pierre Laporte, ancien joueur vert et blanc devenu historien du club. Surtout, le destin du stade et du club dépasse celui du sport, pour rejoindre l’Histoire, la vraie. En France, seul « Auguste Delaune » – le stade de Reims, nommé ainsi en hommage à un sportif communiste mort sous la torture de la Gestapo en 1943 – peut prétendre concurrencer Bauer en matière d’hommage à la résistance antinazie.
Jean-Claude Bauer fut en effet un médecin résistant, fusillé au Mont Valérien le 23 mai 1942. Côté joueurs, la figure glorieuse de Rino Della Negra reste encore vivace. Et pour cause : ce jeune patriote « d’apparence italienne » s’entraîna six mois avec l’équipe première pendant l’occupation, juste avant d’entrer dans la clandestinité, de rejoindre la fameuse FTP-MOI et le groupe Manouchian, et de finir exécuté par les nazis le 21 février 1944. Cinquante ans plus tard, le Stade Bauer et le Red Star gardent encore cet aspect populaire et militant de plus en plus difficile à trouver en France. « C’est une enceinte de proximité, installée en centre ville, où on peut payer sa place 2,50 euros et voir un match d’un niveau pas trop dégueu en buvant sa bière pépère sans dix mille caméras de surveillance autour » , résume ainsi Matthieu, supporter du club phare du 9-3. Autant d’arguments qui font dire à Pierre Laporte que le Stade Bauer « doit être conservé comme monument historique ! »
Pour ne pas s’enfermer dans un piège nostalgique, Vincent Chutet-Mezence et le Collectif des amis du Red Star travaillent aux forceps pour que soit avancé un véritable contre-projet solide, avec l’aide d’architectes et d’urbanistes, « au lieu d’attendre, au prétexte que pour l’instant les financements ne sont pas là, que finalement la décision nous tombe dessus, et que l’on se contente d’un baroud d’honneur » . Leur modèle ? Ce qui a été réalisé par Fulham à Craven Cottage, « où l’on a pu rénover le stade tout en conservant la tribune historique » . Chacun attend surtout les prochaines élections, dans un contexte de crise économique et de possible changement de majorité. « Ce n’est pas notre vocation de faire de la politique, explique Vincent, et la situation à Saint-Ouen se révèle déjà assez complexe comme ça, entre le PS, le PC, les dissidents de « Soigne ta gauche ». Toutefois, lors des prochaines élections, nous allons porter la question lors du débat électoral » . Avec des belles banderoles ?
Par Antoine Aubry et Nicolas Kssis-Martov