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Les Dégommeuses : « La FFF est en retard sur la question de l’homophobie »
Membre du collectif Les Dégommeuses, dont l'équipe est majoritairement composée de lesbiennes et de personnes trans, Veronica Noseda déplore le choix de la fédération de demander aux clubs amateurs de porter le brassard « One Love ». Surtout après avoir refusé qu'il ne soit arboré par Hugo Lloris au Qatar. Entre silence coupable autour du Mondial et manque d'actions concrètes, le football français a encore du retard à combler dans la lutte contre les discriminations.
Vous avez dénoncé ces derniers jours « l’hypocrisie » de la fédération qui souhaite faire porter le brassard « One Love » aux clubs amateurs. Est-ce que cette initiative aurait pu être prise dans un autre contexte que celui des polémiques autour du Mondial au Qatar ? Non. Je pense que la FFF est en retard sur la question de l’homophobie, qui d’ailleurs ne peut pas se résoudre simplement en portant un brassard. C’est uniquement symbolique. Elle devrait surtout prendre des mesures plus fortes, faire des formations des jeunes, des coachs, des dirigeants. Par ailleurs, le président Noël Le Graët nie le racisme, il nie l’homophobie. Il n’a jamais fait aucune place pour ces questions. C’est pour s’acheter une image, pour faire faire le boulot et faire porter la responsabilité aux petits clubs amateurs.
La FFF nous demande de faire ce que l’@equipedefrance a refusé.Chère @FFF , nous (le foot amateur) ne sommes pas votre bonne conscience. Votre hypocrisie est vraiment sans limites.@sophiedrx @MickaCorreia pic.twitter.com/9JV90F8wSZ
— Les Dégommeuses? (@LesDegommeuses) December 1, 2022
Quelles initiatives attendriez-vous de la part de la FFF ?Je ne connais pas exactement toute la pyramide de la fédération, mais il y a quand même deux millions de licenciés, de coachs et d’arbitres qui sont agréés, etc. Cela devrait être une priorité de former les personnes qui travaillent à la fédération à tous les niveaux. Et ce n’est pas que la lutte contre l’homophobie, mais également contre le sexisme, qui sont deux choses qui vont de pair. Il y a un climat général qui n’est pas propice à la lutte contre le sexisme, l’homophobie et le racisme.
Pour en revenir à la Coupe du monde, comment avez-vous réagi aux propos d’Hugo Lloris avant le début du tournoi et à son refus de porter le brassard ?On essaie souvent de ne pas trop accabler les joueurs parce qu’on aimerait bien qu’ils prennent plus la parole, mais pour nous, les véritables responsables sont les dirigeants, notamment de la FIFA. Si Hugo Lloris avait été encouragé par les dirigeants de l’équipe à porter une autre parole, il l’aurait fait. Là très clairement, il ne pouvait pas, ce n’est pas une initiative personnelle. Je n’ai pas envie de l’accabler, même si ce n’est pas très courageux de sa part.
Avant le match contre la Pologne, Antoine Griezmann a dit en conférence de presse : « Peu importe où je serai dans le monde, les personnes LGBT savent qu’ils auront toujours mon soutien. » Cela vous paraît plus courageux ? À nouveau, j’ai envie de dire que c’est le service minimum, mais on se contente de pas grand-chose, de quelques déclarations dans une conférence de presse. Dans toute cette préparation pour la Coupe du monde, l’équipe de France a refusé de prendre la parole sur plein de sujets politiques, y compris les droits des travailleurs. Merci à Antoine Griezmann, je ne vais pas cracher dans la soupe, mais ça ne nous suffit pas.
Quand on voit l’Angleterre ou l’Allemagne qui ont essayé de faire passer quelques revendications pendant le tournoi, la France fait-elle office de mauvais élève de cette Coupe du monde sur les questions politiques ?Clairement. Je pense qu’il y a plusieurs raisons. En France, cette vision d’un sport apolitique est encore très forte dans le pays, y compris dans les instances sportives. Cela vient aussi d’une certaine rhétorique universaliste et républicaine selon laquelle il ne faut pas faire trop de vagues, avoir un discours très consensuel. On le voit notamment sur les questions d’homosexualité, en Allemagne, en Angleterre ou en Suède, beaucoup de joueuses de l’équipe nationale sont « out » alors qu’en France il n’y a que la gardienne (Pauline Peyraud-Magnin). Ça participe à un climat où il ne faut surtout s’approcher d’enjeux politiques ou qui pourraient mettre en exergue les oppressions subies par certaines personnes.
Emmanuel Macron affirmait au début de la compétition qu’il ne fallait pas politiser le football. Qu’en pensez-vous ? Quel est le rôle des politiques dans ce contexte-là ?Dire que le sport n’est pas politique est le discours politique des conservateurs pour que rien ne change. Cela signifie l’extraire du champ des luttes, c’est dire qu’il n’y a pas d’enjeu de lutte au sein du sport, il n’y a pas de discussions, il n’y a pas de choses qui peuvent changer. Bien sûr que le sport est politique, dire que le sport est apolitique est une affirmation très politique et très conservatrice.
Avec Les Dégommeuses, vous avez déployé une banderole « La FIFA tue » sur le pont des Arts le jour du match d’ouverture. Quelle est votre position concernant cette Coupe du monde ? De manière générale, on a voulu mettre en exergue la responsabilité de la FIFA. Et de la France, parce qu’on voit toutes les enquêtes sur l’implication de notre pays, avec notamment Nicolas Sarkozy qui a été aux premières loges pour permettre au Qatar d’organiser cette Coupe du monde. Ce qui nous pose problème, c’est ce type d’événements hyper capitalistes et oppressants, et le fait de choisir un pays qui très clairement ne respecte pas les droits des travailleurs.
[LA FIFA TUE- THREAD] Aujourd’hui,dimanche 20 novembre s’ouvre la Coupe du monde 2022. Les Dégommeuses ont déployé le message « La FIFA tue » , sur le Pont de arts à Paris, pour dénoncer cette nouvelle Coupe du monde de la honte. (photo @ArgentinChloe)#CDM2022 #FIFAWorldCup2022 8e pic.twitter.com/9VB5sq69rv
— Les Dégommeuses? (@LesDegommeuses) November 20, 2022
Est-ce que certaines personnes au sein de l’équipe ont fait le choix de boycotter ?Ce n’est pas aux fans de foot de payer le prix fort, on ne va rien dire aux personnes qui ont envie de regarder les matchs. Parmi nous, certaines personnes n’ont pas vu un match, d’autres en ont vu plusieurs… Cette Coupe du monde est beaucoup moins suivie dans notre entourage, il n’y a pas du tout l’engouement qu’il y a eu par le passé. On le voit aussi via les audiences, lors de l’ouverture, il y a eu 40 millions de téléspectateurs en moins en Europe par exemple. J’ai l’impression que cet appel au boycott a quand même un certain impact dans les cercles politisés.
Cette Coupe du monde permet-elle de mettre en lumière certains sujets, comme la défense des droits de l’homme, des LGBT ou l’écologie et de faire avancer les choses positivement ?Nous, si on se bat, c’est qu’on est quand même un peu optimistes. Il ne faut pas se faire d’illusions, le foot n’est plus dans les mains de la FIFA, mais dans celles des grands clubs. Ils ont une grande majorité de spectateurs qui n’ont jamais participé à un match dans un stade, et leur logique est encore plus capitaliste que les instances. Bien sûr qu’il y a des spectateurs qui veulent juste regarder leurs matchs, mais il y a quand même de nombreux événements, cela démontre une certaine vitalité. Les jeunes sont quand même conscients de tout ce qui ne va pas.
Plus généralement, quel regard portez-vous sur l’évolution des luttes pour l’acceptation de l’homosexualité dans le foot ?Cela évolue dans le bon sens, il y a de plus en plus de collectifs, d’équipes inclusives, etc. C’est un milieu très vivant, très engagé. Ce qui me fait peur, c’est plus l’étanchéité des instances et du haut niveau du football. Au niveau du terrain, il y a vraiment plein de choses extrêmement intéressantes qui se passent.
Propos recueillis par Tom Binet