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Les corn-flakes de la discorde
C’est l’histoire d’une faute non sifflée dans la surface, d’une déclaration d’après-match à l’acide et d’un envoi massif de paquets de céréales à la Fédération allemande de football. Un sacré effet papillon qui rappelle qu’en matière de créativité, les fans d’outre-Rhin continuent de tenir la dragée haute.
Nous sommes le dimanche 2 septembre. À l’occasion de la sixième journée de D3 allemande, le FSV Zwickau reçoit Kaiserslautern, tombé dans l’antichambre au terme de l’exercice précédent et candidat déclaré à une remontée directe. Jusqu’à l’ultime minute du temps additionnel, les locaux se dirigent vers une défaite par le plus petit des écarts, mais lorsque Ronny König tente une reprise de volée, celle-ci se heurte au bras du milieu Jan Löhmannsröben, redescendu défendre. M. Wollenweber siffle penalty, tous les joueurs de Kaiserslautern protestent, car Löhmannsröben a reçu un coup de coude de König avant de faire faute. L’arbitre ne bronche pas, Zwickau égalise, et la grande gueule du FCK s’apprête à prononcer une déclaration d’après-match qui va faire grand bruit dans toute l’Allemagne.
Brut de décoffrage
« Si ça ce n’est pas une faute, allez-vous faire foutre ! Comment est-ce possible de ne pas le voir ? » « J’espère que l’arbitre ne va pas réussir à pioncer pendant une semaine. Qu’il aille arbitrer en district et qu’il ouvre les yeux ! » Au micro de la télévision, Jan Löhmannsröben ne mâche pas ses mots et enchaîne les petites phrases assassines. L’une d’entre elles va faire mouche : « Est-ce que c’est un arbitre ça ? J’en sais rien. Qu’il aille compter des corn-flakes ! » Si le joueur s’est excusé par la suite, la Fédération allemande de football (DFB) ne l’a pas entendu de cette oreille et a assuré que de tels propos à l’encontre du corps arbitral pourraient être passibles de sanctions.
Une déclaration qui n’a pas manqué de faire enrager des fans de Kaiserslautern. Après le dégoût lié à cette faute non sifflée sur Löhmannsröben, c’est la colère qui a rapidement pris le dessus. En cause, une volonté officielle de formater le discours des joueurs, initiative qui a du mal à passer. « Ici, les fans apprécient Löhmannsröben de par les émotions qu’il dégage sur et en dehors du terrain » , explique Peter Hammerschmidt, supporter de longue date du FCK. « Cela le rend incroyablement authentique et sympathique et ce serait bien que ce soit le cas chez davantage de joueurs. »
On peut plus rien dire !
Peter a alors l’idée de jouer un tour à la DFB en lui envoyant des corn-flakes à compter, comme si l’expression était passée à la postérité pour désigner une personne ou une institution incompétente. Le projet s’est répandu comme une traînée de poudre. Surtout, il a dépassé les frontières de Kaiserslautern pour toucher des fans de tout le pays, lesquels voyaient une occasion de dénoncer une communication de plus en plus policée à l’intérieur du football. « C’est beau de voir que des supporters de toutes les équipes peuvent s’associer lorsqu’il s’agit de préserver l’idéal du football. En ce sens, cela confirme une devise en vigueur en Allemagne: « Séparés par les couleurs, unis dans la cause. » »
Finalement, pas moins de 4000 paquets auraient été envoyés au siège de la DFB, basé à Francfort. Pour s’assurer de leur bonne réception, Hammerschmidt, professeur d’histoire et d’anglais dans le civil, a tracé la route pendant quatre heures, non sans emmener avec lui quelques boîtes confiées par ses élèves. Et même s’il n’a pu rencontrer les responsables de la Fédération, il espère au moins que ce geste servira d’étincelle à un dialogue entre les fans et l’institution : « Ce serait souhaitable que la DFB fasse un pas en avant vers la base et écoute les critiques formulées à l’encontre du football moderne. Sans quoi, nous craignons que ce sport ne finisse par complètement perdre ses racines. »
Faire contre mauvaise fortune bon cœur
Bien embarrassée par cette mauvaise publicité, la DFB est parvenue à s’en tirer par un joli coup de communication : tous les paquets de céréales vont être renvoyés à la banque alimentaire. Enfin, presque tous. Certains fans ont en effet envoyé des boîtes déjà ouvertes et qui ne peuvent à ce titre être redistribuées. On parle d’environ 250 exemplaires, ce qui reste minoritaire par rapport aux 447 paquets intacts et aux 376 bariolés – notamment d’autocollants – et qui doivent encore être vérifiés avant de pouvoir être utilisés. Question de règlement. À Francfort, on n’est pas au bout de ses peines : 3000 boîtes devraient encore arriver dans les prochains jours.
Quoi qu’il en soit, l’opération est une victoire : d’une certaine manière, on peut dire que la Fédération a bel et bien fini par les compter, les corn-flakes. Même si Peter Hammerschmidt tient à remettre l’église au milieu du village : « De base, je me réjouis que toutes ces denrées servent pour une bonne cause. Cela fait sens et c’est important. En revanche, j’ai un problème avec le fait que la DFB endosse désormais le costume des gentils. Ce n’est pas elle qui a fait ce don, ce sont les supporters ! »
Par Julien Duez
Propos de PH recueillis par JD