ACTU MERCATO
Les combines mercato de Rolland Courbis
Que ce soit à Toulon, Bordeaux, Marseille ou même à Lens, Rolland Courbis a toujours fait preuve de ressources pour dénicher des recrues clinquantes. Mais comme l'ont montré ses déboires judiciaires, l'homme de réseaux a aussi été un homme de combines foireuses...
Le 12 août 2014, en plein cœur du mercato d’été, Rolland Courbis a sorti une nouvelle carte de son jeu bien à lui : un nom ronflant, Lucas Barrios, au cœur d’une liste de recrues plutôt classiques – Bérigaud, Lasne pour le côté Ligue 1 – ou anonyme, le Suisse Dylan Ghissi, récupéré à l’Olimpo. Pour l’attaquant paraguayen, qui arrive en prêt du Spartak Moscou, l’heure est plus à la reconstruction qu’à la consécration de 2008-2012, quand il enfilait les buts comme des perles pour Colo-Colo, puis le Borussia Dortmund. Malgré tout, une telle arrivée dans un club de Ligue 1 lambda s’explique par la présence de Rolland Courbis, et son carnet d’adresses tentaculaire. Les mauvaises langues parleront aussi de combines, même si l’intéressé jure que c’est du passé. Petit retour chronologique.
Toulon : caisse noire et rétrocommissions
Après une carrière professionnelle longue de 14 ans, Rolland Courbis se lance dans le métier d’entraîneur en 1986 avec Toulon, le club qui l’a vu raccrocher les crampons un an plus tôt. Le natif des quartiers nord de Marseille débarque en octobre pour redresser la barre et maintient le club à l’issue de la saison. L’année suivante, s’appuyant sur un effectif talentueux (Ginola, Casoni…), il décroche la 5e place de Division 1, le meilleur résultat de l’histoire du Sporting. Au niveau des transferts, tout s’accélère l’été suivant, avec la mise en place d’un axe Marseille-Toulon, Courbis entretenant des liens privilégiés avec le président de l’OM, Bernard Tapie. Joseph-Antoine Bell (OM), Bruno Germain (Racing Club de France), mais aussi le futur international néerlandais Peter Bosz (Waaljwik) ou le Hongrois Gyorgy Bognar (MTK Budapest) débarquent au mercato 1988, tandis que Philippe Fargeon arrive du Servette Genève en novembre. Le cas de l’attaquant international français est caractéristique de la méthode Courbis : beaucoup de mouvements, et des joueurs qui ne restent pas forcément sur la durée. Pour Fargeon, le départ se concrétise dès la fin de saison 1988-1989 avec un transfert… au Servette de Genève. Six mois plus tard, le club du Var s’offre Miloš Bursać (Étoile rouge), Jacques Songo’o (Tonnerre Yaoundé) ou encore Philippe Anziani (Matra Racing), et vit clairement au-dessus de ses moyens.
L’histoire, forcément, termine mal avec la révélation du pot aux roses en 1990 : Rolland Courbis et le directeur administratif du club, Eric Goiran, sont inculpés pour malversations financières et fausses factures. Afin de pouvoir assurer la survie du club dans l’élite, le duo avait mis en place une réserve financière clandestine et donc non soumise aux charges et taxes. Le principe est simple : surfacturer chaque prestation payée par le club pour faire sortir au black 10% du budget du club. « J’avais le choix entre mourir de faim ou voler pour manger, j’ai volé pour manger » avait plaidé l’entraîneur lors de son procès, selon Libération. Pas forcément si simple si l’on en croit une enquête de David Leloup publiée sur Le Soir en juin 2011. L’affaire de la caisse noire de Toulon est l’une des premières traces de connivences concrètes entre Rolland Courbis et Luciano D’Onofrio, l’un des hommes les plus influents du marché des transferts. Via sa société Mondial Service International Ltd, basée à Panama, D’Onofrio a pris part à la mascarade en émettant une fausse facture de 220 000 euros au préjudice du Sporting Toulon, et une partie de celle-ci aurait été reversée à Courbis… Une première, mais pas une dernière, le duo remettant le couvert quelques années plus tard à Marseille, malgré un détour par la case prison pour Courbis, entre octobre 1990 et février 1991.
Marseille, la mise en place d’un système
Après s’être fait oublier à Endoume, en D3, puis s’être refait la cerise à Bordeaux (1992-1994 puis 1996-1997), Rolland Courbis débarque à l’OM fort d’une crédibilité sportive (3 fois 4e de Ligue 1 avec Bordeaux, une fois 4e de Ligue 2 avec Toulouse) et d’un carnet d’adresses conséquent. Celui-ci lui a permis de réaliser – parfois quasiment avec le rôle d’agent comme pour Ibou Ba – quelques beaux transferts de l’histoire des Girondins : la vente de Zinédine Zidane à la Juventus, l’arrivée de Richard Witschge (Barcelone) ou encore celles de Peter Luccin et Johan Micoud (AS Cannes). Il relance même Jean-Pierre Papin à l’été 1996 après deux années compliquées pour ce dernier au Bayern Munich. Mais les choses sérieuses reprennent vraiment lorsque Courbis est intronisé entraîneur de l’OM par Robert-Louis Dreyfus à l’été 1997. Arrivent groupés Laurent Blanc (Barcelone), Claude Makelele (Nantes) ou encore Titi Camara (Lens), aux côtés de recrues beaucoup plus douteuses comme Arthur Moses. Si dans les mois suivants, Courbis arrive à attirer dans ses filets Christophe Dugarry (Barcelone), Peter Luccin (Bordeaux) ou encore le champion du monde Robert Pirès (Metz), son coup de maître médiatique s’appelle Fabrizio Ravanelli. Alors véritable icône au moins autant grâce à ses cheveux blancs que son talent, l’Italien quitte Middlesbrough pour l’OM à l’automne 97.
Critiqué pour sa double casquette entraîneur/conseiller de joueurs par Noël Le Graët, alors président de la Ligue, et Jean-Michel Aulas, pas encore totalement le big boss avec Lyon, Rolland Courbis va finalement se prendre les pieds dans le tapis à partir de juin 1999, et le début d’une enquête préliminaire sur les finances de l’OM entre 1997 et 1999, requise par le parquet de Marseille. Si durant l’été, il se permet un mercato de folie (départ de Laurent Blanc, Daniel Bravo, Titi Camara ou encore Jocelyn Gourvennec pour les arrivées de Eduardo Berizzo, Ivan De la Peña, Daniel Montenegro ou encore Ibrahima Bakayoko), Courbis saute à l’automne à cause des mauvais résultats. Le dernier de ses soucis. Car l’enquête requise par le juge Franck Landou, du tribunal correctionnel de Marseille, fait sortir petit à petit toutes les patates chaudes. Le 1er octobre 2002, dans le cadre d’une confrontation avec Pierre Dubiton, ex-directeur financier de l’OM, les enquêteurs en apprennent plus sur l’arrivée du Ghanéen Arthur Moses. Pour Dubiton, le joueur a été surpayé afin que Courbis touche sa commission occulte. Pour ce dernier, l’explication est légèrement plus élaborée : le joueur faisait l’objet d’une convention internationale de transfert avec le Fortuna Düsseldorf pour un montant d’environ 500 000 euros, mais l’option d’achat n’ayant pas été honorée à temps, l’OM a dû verser un supplément d’environ 1,4 million d’euros. Une somme « versée en totalité sur le compte du cabinet d’avocats Engel-Tilman and Partner à la Dresner Bank de Düsseldorf, avant d’être viré vers une société écran du Liechtenstein » selon Libération. Sauf que selon le président du club allemand, interrogé dans le cadre de l’enquête, seuls 150 000 euros ont été versés au Fortuna. Cherchez l’erreur. De son côté, Courbis avait nié toute relation avec Luciano D’Onofrio après son arrivée à l’OM, ce que tend à infirmer une autre découverte : dans le cadre de l’arrivée de Ravanelli, la société International Agency for Marketing, basée à Vaduz et autre propriété de l’influent Italo-Belge, aurait reçu un virement de 800 000 euros sur son compte bancaire à la Corner Banca de Lugano. Et sur ordre de Maurizio Delmenico, bras droit et prête-nom de Luciano D’Onofrio, une rétrocomission de 150 000 euros aurait été versée sur un compte appartenant à Rolland Courbis sous le nom de Frizione, à la même banque. Pourquoi ouvrir un compte en Suisse, M. Courbis ? Devant les magistrats, il jouera la carte de la bonne foi : « Parce que j’étais dans le collimateur du fisc français… »
« J’avais du mal à verser en impôts 55% de mes revenus »
Selon David Garcia, auteur de L’Histoire secrète de l’OM, Courbis a mis « en place un véritable « système » – c’est le mot du procureur pendant le procès des comptes de l’OM – avec les commissions sur les transferts, et l’entrée des parrains à la Commanderie, le siège du club » . En première instance, Rolland Courbis écope de 3 ans et demi de prison et 5 ans d’interdiction d’exercer dans le football, avant de voir sa peine ramenée à deux ans fermes et 200 000 euros d’amendes en appel, pour abus de biens sociaux. « Je suis satisfait d’avoir été entendu partiellement et de pouvoir continuer à exercer mon métier » réagit-il à l’époque de la notification du jugement. Son pourvoi en cassation rejeté en 2009, il est finalement interpellé en septembre à la sortie d’un match OM-Montpellier, la Paillade étant ironiquement son dernier club entraîné. Il reste en prison jusqu’à février 2010, entre-temps, il a fait profiter de ses réseaux à Lens, Ajaccio et plus récemment Montpellier.
Il y a un peu plus d’un an, interrogé par Le Monde, l’inimitable Rolland Courbis plaidait la bonne foi et le droit à l’erreur. Son truc à lui n’était pas l’arnaque, mais une sorte d’optimisation fiscale foireuse : « J’arrive à un certain âge, j’ai eu une vie mouvementée. Je n’ai aucun problème à être traité avec sévérité. Je ne le conteste pas. Je suis le principal fautif, mais j’ai le droit à un peu de tranquillité par rapport à certains moments de ma vie où j’avais du mal à verser en impôts 55 % de mes revenus. » Rolland Courbis a promis de se tenir tranquille, mais pas de tourner le dos à ses réseaux. Un gros coup à prévoir pour le mercato montpelliérain ?
Par Nicolas Jucha