- SO FOOT #148
- Numéro 100% Ronaldinho
Les coachs de Liga racontent Ronaldinho
Affronter Ronaldinho sur un terrain de football peut vite tourner au supplice, tant ce virtuose du ballon rond est capable de créer sans compter. Dès lors, une approche tactique pour comprendre ce phénomène s’impose. Juande Ramos, Javier Irureta et Joaquín Caparrós, anciens entraîneurs de Liga, racontent.
La parole aux entraîneurs
Juande Ramos
Clubs entraînés : Alcoyano, Levante, CD Logroñés, Barça B, Lleida, Rayo Vallecano, Betis, Espanyol, Málaga, Séville, Tottenham, Real Madrid, CSKA Moscou, Dnipro.
Joaquín Caparrós
Clubs entraînés : Recreativo Huelva, Villarreal, Séville, Deportivo, Athletic Bilbao, Neuchâtel Xamax, Majorque, Levante, Grenade, Osasuna, Al-Ahly Doha.
Javier Irureta
Clubs entraînés : Sestao Sport, CD Logroñés, Real Oviedo, Pays basque, Racing Santander, Athletic Bilbao, Real Sociedad, Celta de Vigo, Deportivo, betis, Real Saragosse
Comment définiriez-vous Ronaldinho ?Juande Ramos : C’est un joueur spécial, sans aucun doute possible. Il possède un côté artistique très développé, et je crois qu’il a fait beaucoup de bien au football en Espagne. Il est arrivé à Barcelone pour changer la dynamique du club, devenir champion d’Espagne et d’Europe. Ronaldinho, c’est le joueur que tu aimes regarder jouer.
En tant qu’entraîneur, comment préparer son équipe avant de jouer Ronaldinho ?Joaquín Caparrós : De mon point de vue personnel, les schémas tactiques individuels ne sont pas nécessaires. Ce qu’il faut, c’est arriver à rehausser la performance collective. Redoubler l’attention, la précision, l’application dans les mouvements en équipe.Javier Irureta : L’approche était différente chez moi. Entre collègues, je prenais le temps d’appeler avant d’affronter une équipe, surtout avant d’affronter un joueur comme Ronaldinho. On se donne certaines informations, pour connaître son état d’esprit avant la rencontre. Quelle est sa fréquence de frappe, à quelle fréquence il coupe son effort… Cela peut être utile pour le match à venir, car tu sais s’il est dans un état d’esprit plus passeur ou buteur.JR : Pour le coup, je préparais mes matchs surtout en fonction de la stratégie du Barça.
C’est sûr que lorsqu’un joueur comme Ronaldinho est face à toi, tu sais qu’en une seule action il peut faire basculer une rencontre. C’est un génie. Une chose importante est qu’il ne faut pas commettre de faute trop rapprochée de notre but, car Ronaldinho est un grand spécialiste des coups de pied arrêtés.
Le jour du match, comment parvenir à diminuer l’influence de Ronaldinho dans le jeu ?JR : Dans l’idéal, la meilleure chose à faire, c’est d’éviter qu’il contrôle la balle. S’il maîtrise le ballon, il devient presque insaisissable, manipule la balle à sa guise et devient ultra dangereux. Si tu le tiens pendant 89 minutes, mais que tu finis par lâcher ton attention une minute, ça se termine par un but contre toi.JI : D’après moi, il faut un défenseur qui soit toujours proche de Ronaldinho. En général, je ne suis pas le genre d’entraîneur à demander un marquage individuel. Mais quand il s’agit d’un joueur comme Ronaldinho, je crois que c’est la règle à suivre. Il faut toujours être présent pour éviter de le voir changer le cours du match.
Joaquín, vous êtes l’entraîneur qui encaisse le premier golazo de Ronaldinho dans son ère avec le Barça. Comment est-ce que vous réagissez sur le coup ? JC : C’était un but spectaculaire, ça va très vite. Cela symbolise parfaitement le niveau de jeu de Ronaldinho, l’élu du football mondial. Ronaldinho, c’est une énorme projection vers l’avant. Le voir marquer un but comme celui-là, cela ne m’a surpris qu’à moitié. On savait déjà ce dont il était capable au niveau international, notamment avec le Brésil de 2002. Ce but contre l’Angleterre, il est tout aussi incroyable… Ronaldinho restera dans l’histoire comme l’un des plus grands footballeurs au monde, c’est aussi simple que cela. Ce type de but prouve qu’il fait partie intégrante de cette catégorie.
Dans ce cas, comment conditionner le joueur qui s’occupe du marquage de Ronaldinho ?JR : J’étais déjà habitué à faire un travail défensif spécifique entre les joueurs des deux ailes, mais c’est vrai que lorsque Ronaldinho est sur le terrain, il faut éviter de lui offrir trop d’espace pour accélérer. En cela, j’aimais donner une aide à mon défenseur latéral. Au cas où son attention baissait sur un duel, il pouvait compter sur une couverture supplémentaire par le milieu du même couloir grâce à son repli défensif. Mais parfois, cela était quand même insuffisant parce qu’il excellait dans l’art d’enchaîner des dribbles successifs sur différents adversaires !JI : J’avais un vrai guerrier avec Manuel Pablo, un bonheur de l’avoir dans mon équipe. C’était un joueur avec une excellente condition physique. Je n’avais pas tellement besoin de lui parler dans ce cas-là, il savait quoi faire et il pouvait le faire pendant tout le match, car il avait suffisamment de coffre. Contre Ronaldinho, c’étaient des duels dans lesquels il était capable de répondre présent. En général, l’ailier évite d’aller au duel avec Manuel, car il était quasiment impassable dans ce domaine. Avec Ronaldinho, il y avait à chaque fois de belles oppositions.
Le parallèle est intéressant entre vous deux, Joaquín et Juande, puisque vous avez tous les deux pu observer le face-à-face entre Ronaldinho et Dani Alves… Comment réagissait-il ? JC : Je suis plus un entraîneur qui prend l’équipe adverse dans sa dimension collective. Du coup, je ne me concentrais pas spécifiquement sur Ronaldinho au moment de l’affronter. C’est toujours difficile de jouer contre un homme de cette envergure. Dani commençait à intégrer les principes de la Liga espagnole, ce match lui a permis de beaucoup apprendre avec l’un des tout meilleurs joueurs du monde dans sa zone.
Juande, quand vous jouez le Barça en Supercoupe d’Europe en août 2006, vous parvenez à éteindre Ronaldinho et vous gagnez 3-0. Quelles étaient les consignes données à Dani ?JR : Dani devait rester proche de lui, toujours. C’est la meilleure manière d’anéantir le jeu d’un grand joueur parce qu’on peut tout de suite montrer sa présence et exercer un pressing important.
Il faut éviter qu’il se retrouve tourné face au but parce que sinon, l’équipe s’expose à son explosivité et voit le risque se rapprocher et s’élever. Le fait qu’ils se connaissent en sélection devait aussi jouer, c’est certain. Un joueur comme Ronaldinho est aussi exceptionnel qu’un Messi ou un Cristiano Ronaldo, mais cela reste des joueurs que l’on peut régulièrement affronter lors de séances d’entraînement. Dani avait cet avantage de connaître son vis-à-vis. Ensuite, il était aussi porté par l’envie commune de donner à Séville une Supercoupe d’Europe. Ce soir-là, je pense que mon équipe avait plus envie de ce trophée que le Barça.
Finalement, la plus grande faiblesse de Ronaldinho à exploiter n’était-elle pas dans sa manière d’être, par sa tendance à être parfois hors de forme ?JR : Les périodes de méforme physique ne sont pas imputables à Ronaldinho uniquement, mais à tous les joueurs de football. C’est une affaire de gestion, car une saison est très éprouvante. Il y a des périodes où on passe au travers, puis d’autres où l’on revient en forme dans un autre moment de la saison. Ronaldinho était un joueur fantastique, mais il restait aussi un homme avec des coups de moins bien, où il devenait plus prévisible.JI : Bon, les faiblesses de Ronaldinho, elles sont plutôt compliquées à trouver (rires) ! Comme je le disais, il faut être toujours près de lui et déléguer ce travail à l’un de mes joueurs, le plus fort mentalement si possible. Il faut un joueur qui sache garder son calme. On peut même choisir un milieu de terrain défensif si besoin. Et quand je dis qu’il faut le marquer, c’est être constamment à ses côtés, qu’il ait la balle ou non. Ce travail de harcèlement se fait en permanence. Il faut venir lui parler, lui dire : « Écoute-moi, ce soir, je ne vais pas te lâcher d’une semelle, tu vas m’avoir sur le dos tout le temps. » Cela fait partie du jeu. En fait, il faut un chien ! Les consignes à lui donner, c’est de rester focalisé sur Ronaldinho, pour lui le match devient secondaire. Je m’en foutais qu’il ait la balle ou qu’il participe au jeu, je le veux toujours collé à lui ! Si Ronaldinho touche la balle, tu es là pour l’embêter. Quand il est face à toi, tu ne regardes que la balle. Les dribbles, il faut les oublier.
Javier, durant votre époque au Super Depor, vous aviez connu un joueur du même style que Ronaldinho, avec Djalminha. Comment est-ce qu’on utilise un meneur de jeu avec une technique largement au-dessus de la moyenne ?JI : Djalminha, c’est un joueur brésilien comme Ronaldinho. Cela constitue une donnée importante, parce que ce type de joueur pense le football comme une activité ludique. Djalminha était un gaucher, Ronaldinho est droitier. Tactiquement, cela change l’approche par rapport au collectif. Mais quoi qu’il arrive, ce sont des joueurs qui adorent le spectacle. Ce sont eux qui vont te faire un dribble, une passe que personne n’attend, que ce soit dans une phase défensive ou offensive. Ce qu’il faut, c’est parvenir à l’insérer dans un collectif, en sachant que les autres membres du groupe doivent comprendre qu’il s’agit d’un joueur clé. Une fois que cela est compris, l’équipe s’améliore grâce à cette évolution.
Est-ce qu’un joueur comme Djalminha ou Ronaldinho peut permettre d’obtenir un avantage mental sur l’adversaire, étant donné leur technique hors du commun ?JI : C’est évident. Mais cela peut aussi se retourner contre soi. En un geste, ce joueur te change complètement la physionomie d’une rencontre, et cela peut te donner des ailes.
La seule chose qui fait défaut, c’est la continuité de la performance. Avoir un joueur capable de toujours se réinventer, ce serait magnifique. En l’occurrence, tu ne peux bénéficier de ces gestes que de façon ponctuelle, quand l’inspiration parle. Un coup du foulard, un dribble, cela ne peut pas se faire n’importe quand ou n’importe où. Tu vas l’avoir dans cet état pendant 15 ou 20 minutes maximum, et le reste sera quelconque. C’est pour cela que parfois, tu dois surtout rechercher la continuité collective, et te passer des services du joueur.
Joaquín, la fois suivante où vous rencontrez Ronaldinho en Liga, vous perdez 4-0 au Sánchez-Pizjuán… Est-ce que Ronaldinho est devenu pour vous une sorte de cauchemar, une bête noire ?JC : Le Barça était une grande équipe, et Ronaldinho était un joueur avec lequel tu pouvais t’attendre à souffrir. Mais quand je vois ce que Dani Alves est devenu, sans faire la fine bouche, cela m’impressionne encore plus : son nombre de titres, sa longévité… Je crois que très peu de joueurs possèdent le palmarès de Daniel Alves aujourd’hui. Ensuite, je ne considère pas Ronaldinho comme ma bête noire, non. Il reste vulnérable d’après moi, il faut simplement avoir une organisation collective infaillible.
Pourquoi Ronaldinho est-il aujourd’hui une source d’inspiration pour les jeunes générations ?JR : Ronaldinho est une attraction pour les enfants, une référence ! La raison est simple. Si tu vois le football comme un marché où circule l’argent, d’autres joueurs vont gagner autant que lui, voire plus… Mais si, comme un enfant, tu vois le football comme un spectacle, tu es obligé de penser à Ronaldinho. Et là-dessus, personne ne peut le détrôner.
Propos recueillis par Antoine Donnarieix