- Journée internationale de la jeunesse
Les clubs formateurs sont-ils floués ?
Avant de se faire arracher à coups de millions, nombreux sont les joueurs qui ont été formés dans un club amateur dès leur plus jeune âge. Et si un pourcentage du transfert est reversé à l’équipe qui a fait grandir le footballeur, ce n’est pas sans condition. Ce qui rend fous certains présidents.
En vendant Paul Pogba pour plus de cent millions d’euros, la Juventus Turin n’est pas seule à avoir touché le jackpot. Du côté de la Seine-et-Marne, l’Union Sportive de Roissy-en-Brie se frotte les mains. C’est que le premier club du désormais joueur le plus cher du monde, qui y est passé de 1999 à 2006, va toucher le gros lot grâce à Manchester United. Environ 400 000 euros vont ainsi remplir les poches de l’équipe de la ville aux 22 000 habitants qui évolue à un niveau départemental. Un apport financier considérable à ce niveau.
Pour faire simple, l’US Roissy-en-Brie profite de l’article 20 du « Réglement du statut et des transferts des joueurs » de la FIFA, lequel précise que « des indemnités de formation sont redevables à l’ancien club ou aux anciens clubs formateur(s) : (1) lorsqu’un joueur signe son premier contrat en tant que joueur professionnel, et (2) lors de chaque transfert d’un joueur professionnel jusqu’à la saison de son 23e anniversaire. L’obligation de payer une indemnité de formation existe que le transfert ait lieu pendant ou à la fin du contrat. »
Une poule aux œufs… de chocolat
Cette loi, Sambou Tati la connaît parfaitement. Pour le président de l’US Roissy, c’est même elle qui permet à son club de « bien vivre » . Car même si l’indemnité liée au transfert de Pogba est la plus haute qu’il ait jamais obtenue, ce n’est pas une première. Selon lui, ce genre de versement automatique s’est toujours réalisé sans le moindre problème. Jamais il n’a eu à se plaindre d’un club professionnel réticent : « C’est toujours respecté. Ce sont les clubs pro qui font la démarche de nous contacter, et ils le font de manière spontanée. Ils savent ce qu’ils nous doivent, c’est tout à fait normal et naturel. » Dernier exemple en date ? Le dossier Nicolas Isimat-Mirin, formé à Roissy avant de rallier l’INF Clairefontaine et récemment passé de Monaco au PSV Eindhoven : « Le PSV nous a envoyé un mail pour nous demander un RIB, une facture et nous signaler le versement. » Clair, net et sans embrouille.
Oui mais voilà, tout ça est trop beau pour être vrai partout. Et pour qu’on n’entende pas grogner à juste titre. En premier lieu – cela peut être débattu -, certains estiment que les pourcentages accordés ne sont pas suffisants. Une année passée dans un club avant les seize ans du joueur donne droit à 0,25 % de l’indemnité totale du transfert. Ce pourcentage double une fois le seizième anniversaire dépassé. Serge Guiseppin, président du Castelnau Le Crès Football Club qui a sorti Antoine Rabillard (Marseille) ou Alexander Djiku (Bastia), trouve ces montants dérisoires. « On touche vraiment beaucoup, beaucoup d’argent, ironise-t-il. Quelques milliers d’euros pour un gosse qui est venu chez nous quatre ans. De quoi payer l’essence pour aller jouer le week-end… C’est un scandale. Vu les sommes évoquées quand on parle transfert ou salaire, on devrait toucher 20 ou 30 000 euros à chaque fois. » Bon. Pourquoi pas ?
Formation = entre douze et vingt-trois ans uniquement
Ce qui est en tout cas beaucoup moins discutable, c’est l’absence de logique du règlement. En effet, ce dernier stipule que seules les années après le onzième anniversaire du joueur comptent. C’est-à-dire que si vous accueillez le nouveau Neymar dans votre club à six ans, que vous lui faites manier le cuir jusqu’à ses onze ans et que le Barça l’attire dans ses filets, vous n’avez le droit à rien. Pas le moindre centime. Le règlement sous-entend donc que faire travailler un enfant avant ses onze ans n’est pas de la formation. Un manque de considération qui fait bondir de nombreux patrons de clubs, comme Giovannone Joseph, du FC Gerland, qui dit se faire systématiquement piller par l’ogre OL. Il n’a d’ailleurs pas reçu un seul euro pour Bouna Sarr, aujourd’hui à l’OM, qu’il a cajolé jusqu’à ses douze ans avant de le voir partir chez Jean-Michel Aulas.
« L’exemple de Bouna, c’est un classique, bouillonne-t-il. Le schéma typique, c’est ça : vous prenez des gosses de cinq, six ou sept ans, vous les amener à un niveau correct, et on vous les embarque à dix ou onze ans. Donc on ne reçoit jamais d’argent. » À cet âge-là, difficile de convaincre un môme, ou ses parents, de rester un an de plus alors que la famille entière a des rêves plein la tête. « Cette situation est inadmissible. Nous, on se fait chier pour construire un mec, lui apprendre le foot et on nous donne rien du tout. Alors que le plus dur, dans la formation, c’est quand ils sont petits. Les gars, ils n’ont encore jamais tapé dans un ballon, s’emporte encore Giovannone Joseph. Il nous offrirait une dizaine de ballons, on se dirait « Ok, ils ont fait un geste. » On ne demande pas le paradis, hein ! Mais là, rien. Alors que les joueurs pro rapportent de l’argent au club et à l’état. »
Un an au Havre et six ans à Roissy
Même Sambou Tati, qui ne crache pas non plus dans la soupe haute gamme offerte par le transfert de Pogba, ne comprend pas le principe. L’international ayant intégré à sept ans l’US Roissy, le club aurait vu sa dotation multipliée si le règlement estimait qu’un joueur de foot se construit en partie avant ses douze ans. « C’est vrai, c’est dommage que ça fonctionne comme ça. La formation, elle débute dès l’école de foot. Ça donne des choses un peu aberrantes. On a eu Paul six ou sept ans, et on va percevoir moins que Le Havre, qui ne l’a eu qu’un an » , corrobore le président. Qui ajoute que l’argent ne sert qu’à l’achat de matériel ou de moyens de transports. Les autres clubs amateurs, eux, repartiront avec les mêmes chasubles troués cette saison.
Par Florian Cadu