- Foot et réseaux sociaux
Les clubs de foot doivent-ils quitter les réseaux sociaux ?
Les clubs anglais vont boycotter les réseaux sociaux ce week-end. Une décision radicale pour protester notamment contre la banalisation du racisme en ligne. Un black-out qui se veut évidemment d’abord une alerte contre une dérive qui d’ailleurs, évidemment, n’épargne pas la France : la multiplication des injures racistes sur ces plateformes. Toutefois, au-delà de ces trois jours sans tweet ni post, la véritable question reste de savoir si le foot peut désormais s’en passer ?
Le communiqué officiel s’avère sans nuance et paradoxalement diffusé sur Twitter.
English football will unite for a social media boycott from 3pm on Friday 30 April to 11:59pm on Monday 3 May, in response to the ongoing and sustained discriminatory abuse received online by players and many others connected to the game.https://t.co/GYTAuWAEgN pic.twitter.com/dNLuv62nw5
— FA Spokesperson (@FAspokesperson) April 24, 2021
Un silence numérique s’étendra ce week-end sur les clubs de la Premier League, du Championship et de la Super League féminine, qui vont donc « fermer leurs comptes Facebook, Twitter et Instagram ». Les community managers en profiteront peut-être pour rattraper leur retard sur Netflix.
London calling
Alors que le petit monde du foot se remet à peine de la crise de la Superligue, une fois encore c’est donc du côté de la Perfide Albion que résonne le coup de tocsin. Un ras-le-bol qui accompagne l’air du temps, avec par ailleurs la montée en toile de fond de la xénophobie en Grande-Bretagne depuis le Brexit et la pandémie. L’interpellation ne vise pas en soi les réseaux sociaux. Tout le monde sait parfaitement à quel point aujourd’hui le football, et surtout le niveau professionnel, s’avère accro à son smartphone. Public, clients, fans, supporters, peu importe la désignation, ils y sont tous massivement présents, et quelque part, les matchs existent désormais autant en gazouillis ou en story que par la retransmission télé ou le vécu in situ. Une évolution amplifiée par l’actuelle crise sanitaire qui a imposé les huis clos et renforcé le vécu par procuration via son écran. Les clubs y ont trouvé un mode de communication extrêmement performant pour s’adresser directement à leur part de « marché » et les joueurs ont pris conscience que leur nombre de followers participent désormais de leur plus-value au mercato. Enfin les générations gifs, et leurs nouvelles habitudes de consommation, furent l’un des prétextes avancés pour tenter d’imposer la Superligue. Seulement, en retour, il faut négocier avec les trolls, les haters et tout le verbiage nauséabond qu’ils déversent, et qui de fait renvoie une image déformée et amplifiée des débats de société, l’insulte tranquille à l’abri de son pseudo. Il a été souvent reproché par le passé aux clubs leur passivité face au racisme dans leur tribune. Ils peuvent désormais retourner l’argument à ceux qui gèrent les immenses gradins à clavier.
Car la réaction britannique s’inscrit dans la suite des polémiques autour de la responsabilité des propriétaires de ces réseaux sociaux, et sur les modes de régulation des publications qu’ils hébergent. Il leur est en particulier reproché une conception très singulière de la censure des contenus, par exemple politiques (le cas de Donald Trump sur Twitter par exemple), pendant que le moindre téton provoque la suspension d’un compte. Le boss de la Premier League, Richard Master, a ainsi expliqué que « les comportements racistes sont inacceptables, et les abus consternants dont font l’objet les joueurs sur les réseaux sociaux ne peuvent continuer.(…)Il est urgent que ces entreprises fassent davantage pour éliminer la haine raciale en ligne. »
Hypocrisie des réseaux sociaux
Le foot est d’autant plus sur les nerfs que les affaires se sont multipliées récemment (Anthony Martial notamment) et avaient éclairé une tendance inquiétante. Les Glasgow Rangers en Écosse avaient déjà dégainé l’arme du boycott à la suite du harcèlement en ligne de leur joueur Glen Kamara, victime auparavant d’injures racistes lors d’un match de Ligue Europa contre le Slavia Prague. Même démarche chez Thierry Henry qui a récemment annoncé son retrait du game : « Je me mettrai en retrait des réseaux sociaux jusqu’à ce que leurs décideurs soient en mesure de réglementer leurs plateformes avec la même énergie et férocité qu’ils le font dès que l’on touche aux droits d’auteur. L’importance considérable du racisme, du harcèlement et de la torture mentale qui en découlent est trop toxique pour être ignorée. »
On peut évidemment se réjouir que le football assume sa mission sur ce terrain, pointant l’hypocrisie et l’intransigeance à géométrie variable de Twitter, Fabebook ou Instagram. Ces derniers s’intéressent en outre de plus en plus au ballon rond, conscients qu’il alimente de manière non négligeable les flux et les vues, et donc leur capacité a vendre de la publicité. Mais, finalement, tout se résumera à l’équation incontournable du libéralisme économique : qui est finalement le plus dépendant ?
Par Nicolas Kssis-Martov