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Les clés tactiques de la finale madrilène

Par Markus Kaufmann
Les clés tactiques de la finale madrilène

Ce derby final est déjà plein d'histoires. La Primera contre la Décima, Diego Costa le parvenu contre Cristiano le prédestiné, « Cholo » l'intériste et laziale contre « Carletto » le milaniste et romaniste, le duel des héros entre Godín et Ramos, la possible passation de pouvoir entre Casillas et Courtois, les blessés, la suspension dramatique de Xabi Alonso... Un tas d'histoires, donc. Et quelle histoire tactique ?

D’un côté, Simeone n’est pas spécialement attiré par la possession de balle. Ce n’est pas qu’il n’aime pas que son équipe ait la balle et construise le jeu depuis son propre camp, mais c’est plutôt qu’il aime bien quand l’adversaire a le ballon. Pour mieux le lui voler. En face, Ancelotti aime la possession, mais il aime surtout attaquer. Et il se trouve qu’il a entre ses mains des attaquants à l’aise en contre-attaque. Donc finalement, lui non plus n’est pas non plus spécialement attiré par la possession. Alors ? Que peut être une finale où la possession ne dicte pas les règles du jeu ?

Les trente premières minutes du pressing de l’Atlético

Hier en conférence de presse, Cholo a annoncé la couleur : « C’est un match différent de tous ceux qu’on a joués cette saison. Les trente premières minutes seront importantes. Il y a beaucoup en jeu. » Évidemment, cette déclaration nous rappelle les deux derbys de Liga joués cette saison. Au Bernabéu, en l’absence de Xabi Alonso, Simeone avait mis en place un large 4-4-2 annulant celui du Real, en particulier à l’aide du pressing de ses deux attaquants Costa et Villa sur les centraux de Carletto. Contraint à jouer long et sans maîtrise du milieu de terrain avec la paire Khedira-Illarramendi, le Real avait sombré. Au Vicente-Calderón, Simeone avait choisi un 4-4-1-1 en faisant confiance à Raúl García pour gêner la relance d’Alonso. Après un but marqué par Benzema dès la troisième minute, l’Atlético avait enclenché une pression folle sur le milieu du Real. Les Colchoneros, menant 2-1, avaient finalement craqué physiquement sur la fin, et avaient à leur tour lâché prise.

Les paroles de Gabi vont aussi dans le sens d’un tel pressing en début de match : « El Mister nous a dit de courir comme jamais auparavant. » La présence d’Arda Turan sur un côté est alors indispensable. Une autre option est un 4-1-4-1 plus conservateur, avec un joueur devant la défense – certainement Mario Suárez –, mais puisque Xabi Alonso est suspendu, Simeone fera certainement jouer seulement deux milieux centraux, pour avoir le luxe de lâcher deux attaquants sauvages dans les chevilles de Ramos et l’autre central merengue. D’où le besoin d’Ancelotti de récupérer « le caractère et l’envie » de Pepe.

« Plus on a de possession, plus on donne du temps à l’adversaire pour se mettre à l’aise »

Mais alors, pas de logique de possession de balle alors que les deux entraîneurs étaient d’illustres milieux de terrain ? Non, parce que la bataille ne se gagne pas là. En janvier 2013, Simeone avait avancé sa théorie à la radio ABC Punto Radio : « C’est juste que je ne suis pas d’accord quand les gens veulent copier les systèmes que l’on voit à la télé. Vous savez, j’ai eu un grand entraîneur, Eriksson, à la Lazio. Nous avions une grande équipe : Mihajlović derrière, Veron au milieu, Salas, Ravanelli, Mancini, Bokšić… Mais Sven-Goran disait toujours :« Plus on a de possession, plus on donne du temps à l’adversaire pour se mettre à l’aise. » C’est resté dans ma tête. » L’Atlético est une équipe qui aime déranger son adversaire, le pousser vers des territoires inconnus, car l’Atlético sait qu’il peut survivre à tous les plans de jeu. À l’abord de la demi-finale retour à l’Allianz Arena, Carlo Ancelotti avait aussi annoncé l’importance du début de match : « Le 4-4-2 ou le 4-3-3 ne changent pas beaucoup la dynamique du match. Le plus important, c’est comment on commence le match. » Doublé de Ramos et mission accomplie. Mais le fait est qu’à l’aller comme au retour, le système se reposait sur Xabi Alonso.

L’absence cruelle et cruciale de Xabi Alonso

De toutes les absences en finale de C1 ces dernières saisons, de Ribéry à Thiago Motta en passant par John Terry, celle-ci est la plus lourde de conséquences tactiques. En trois dimensions. D’une, le Real va jouer dans un univers inconnu, alors que l’Atlético a les idées claires. Simeone, en conférence de presse hier : « Des attaquants au gardien, tout le monde a clairement en tête le concept de jeu dont l’équipe a besoin. » De deux, Ancelotti perd non seulement la technique et l’intelligence de jeu de son meilleur milieu de terrain, mais aussi son homme fort, son lien avec l’équipe. Simeone, toujours, en janvier 2013 : « Pour me rassurer, je m’appuie toujours sur deux ou trois joueurs. Je ne vais pas donner les noms évidemment, mais quand eux vont bien, je suis tranquille. Car ce sont eux qui conduisent l’équipe et qui transmettent aux autres un peu de ce que l’entraîneur souhaite voir. » Aujourd’hui, Tiago et Gabi. Ancelotti, lui, devra donc faire confiance à Ramos. Le cœur y est, mais l’Andalou n’a ni l’expérience ni le discernement du numéro 14.

Enfin, le Real perd son meilleur outil face à deux problèmes tactiques récurrents : la couverture défensive et la sortie du ballon sous pression. Pour ce qui est de la première, où Alonso avait sauvé le Real en soutenant les tentatives de pressing madrilène à lui tout seul contre le Bayern, Ancelotti pourrait choisir Khedira. Mais avec l’expert allemand, il perdrait dangereusement en qualité technique. Modrić devrait alors réaliser un match d’anthologie pour faire survivre le Real face aux tempêtes du pressing du voisin. Un vrai casse-tête pour Carletto. Et pourtant, l’été dernier, le Real avait enfin trouvé un successeur au barbu ! Problème : Illarramendi n’a pas convaincu (58% des internautes de Marca estiment qu’il ne devrait pas jouer), et pire, après avoir été remplacé à la mi-temps contre Dortmund, le Basque est à nouveau tombé dans une crise de confiance. Dans ce contexte, le risque est immense.

Karim Benzema, sauveur du milieu ?

Et Ancelotti a d’autres options. L’une d’entre elles est d’opter pour un pivot Ramos-Modrić, mais la justesse physique de Pepe est contraignante. Une autre est de faire jouer Isco d’entrée. Pour conserver son quatuor BBC + Di María, Ancelotti devrait alors renoncer à un profil défensif au milieu : jouer plus pour subir moins. Et perdre des cartouches sur le banc… En 2003 et 2005, Ancelotti avait fait confiance à son système habituel en finale, conservant un milieu à trois, avec devant Rui Costa contre la Juve, et Kaká contre Liverpool. Mais en 2007, l’Italien a abandonné son système, laissant Gilardino sur le banc (alors qu’il avait disputé toutes les rencontres jusque-là) pour un 4-4-1-1 avec Kaká-Inzaghi seuls devant. Carletto pourrait entreprendre une démarche conservatrice similaire, avec Di María ou Bale sur le banc. Enfin, dans un tel contexte, les mouvements de Benzema seront plus que jamais salutaires pour le Real : Ancelotti pourrait bien insister encore un peu plus sur les replacements intérieurs du Français, au contact de ses milieux, pour ressortir plus facilement le ballon. Un rôle qui demanderait plus d’efforts, et qui offrirait enfin à Karim un costume de numéro 10.

Une finale, deux préparations opposées

Diego Simeone reste sur trois finales gagnées sur trois à la tête de l’Atlético Madrid. En face, Carlo Ancelotti a participé à sept finales de Ligue des champions. Les deux savent. Et pourtant, chacun a ses façons. L’Argentin, d’abord, laisse place à l’émotion. En janvier 2013, il racontait sa préparation particulière en vue des finales. « Les jours de finale, cela ne m’intéresse pas de parler avec les joueurs. Si l’entraîneur te parle à ce moment-là, cela peut être lourd. « Descends, monte, double le côté droit, etc. » Quand un joueur arrive en finale, c’est son jour, c’est son moment. L’entraîneur doit comprendre qu’il doit simplement accompagner les joueurs. Du coup, avec German (Burgos, ndlr), nous avions décidé de faire une discussion collective vers onze heures du soir, la veille, avant de dormir, quand tout le monde est tranquille et que tout le monde écoute. Nous avons surtout évoqué leur état émotionnel. »

En face, l’adjoint d’Ancelotti, Paul Clement, a livré à Marca une toute autre méthode : « Nous faisons toujours trois discussions techniques avec les joueurs avant chaque match, et nous ferons la même chose pour la finale. Une le vendredi, et deux autres le samedi, une le matin à l’heure du déjeuner, et l’autre le soir, avant le match. Nous verrons tout et nous montrerons des vidéos de l’adversaire et de nos propres joueurs. » Verdict cette nuit à Lisbonne. Une chose est sûre, comme dit le sage Gento : « Celui qui gagne fera la fête, celui qui perd ira pleurer. »

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