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Les Chantôme du passé
Absent cet après-midi du milieu de terrain bordelais pour cause de suspension, Clément Chantôme est pourtant loin d'être fantomatique depuis son départ de Paris. La force d'un homme discret, à la volonté de fer sur la pelouse et au flegme tranquille à la ville, qui a construit son caractère sur deux drames qui ont marqué son enfance. Portrait.
« Bonjour ! Moi, je m’appelle Clément, je rêve de devenir joueur professionnel au Paris Saint-Germain. » Le petiot a 11 ans. Haut comme trois pommes, maillot Opel blanc et rouge sur le dos et entouré de ses deux parents, le blondinet se présente pour la première fois devant Thomas Chereau, éducateur au club du Mée SF en Seine-et-Marne. Déjà, une idée fixe : passer sa vie dans son club de cœur. Plutôt amusé, son futur entraîneur lui dit d’aller se changer aux vestiaires : « C’est normal à son âge. Il n’est pas le seul à avoir ce rêve, à vouloir jouer plus tard au PSG. À ce moment-là, je lui dis un truc dans le genre : « C’est bien mon garçon. » » Parce qu’à l’époque, Clément est presque le seul à croire en lui. Même sa mère, consciente de la difficulté de percer dans le foot, ne s’imagine pas une seconde qu’il puisse réussir. Mais c’est bien à Savigny que le gamin se met à rêver plus grand. « C’était un petit garçon qui en voulait beaucoup, très travailleur, déterminé, avec beaucoup de bonne volonté » , reprend Thomas. Aujourd’hui, on peut le dire : Clément a mis les deux pieds dans son rêve… avant de s’en extraire à pieds joints. Forcément, car rien ne se passe jamais comme prévu dans la vraie vie.
Docteur Clément et Mister Chantôme
Au Mée, Clément joue numéro 10. Petit mais vif, chétif mais percutant, leader sur le terrain mais pas dans les vestiaires : « C’était un talent précoce, mais il fallait le canaliser. À l’époque, il était capable de faire la pluie, mais aussi le beau temps sur le terrain » , explique son ancien éducateur. Car de son propre aveu, Clément est un enfant turbulent sur le pré vert, quasi schizophrène balle au pied. Parfois excellent et plein de maîtrise, parfois complètement à côté de ses pompes. Pour son entraîneur, il s’agit surtout d’une question de caractère : « Lors d’une finale de coupe district 77 sud contre Moissy, à la mi-temps on perdait 2-0. Ça ne lui convenait pas, il boudait, il était loin de donner son meilleur niveau. Et puis après un petit taquet à la mi-temps, il a tout remis dans l’ordre. Je ne vais pas dire qu’il nous a fait gagner le match, mais il a beaucoup mieux joué et on a fini par l’emporter 3-2. Quand il était bien luné, c’est certain, le collectif s’en portait mieux. » C’est sûr, pendant deux années, Clément se la joue Docteur Jekyll et Mister Hyde dans son petit club de Seine-et-Marne.
Et puis, à la surprise générale, alors qu’il devait être dans un bon jour, le PSG vient le chercher. Sa maman ne s’en remet toujours pas : « Son entraîneur nous a prévenus que le club s’intéressait à Clément. Là, on a été surpris, et on s’est vraiment rendu compte qu’il pouvait faire quelque chose. » D’autant que le petit passe les détections avec succès. Clément est un gamin heureux, normal : à 13 ans, il touche au but. Seul problème : son physique. Pour Loris Arnaud, son coéquipier pendant quinze ans, c’était flagrant : « Franchement, quand je l’ai vu arriver pour la première fois, on était tout jeunes, et physiquement, je me suis dit que ça allait être très compliqué pour lui. » Mais son talent fait encore une fois la différence. Pendant trois ans, tout se passe à merveille. À plusieurs reprises, Clément évoque une période extraordinaire. Il ne lui manque pas grand-chose pour grimper encore plus haut : deux petits zestes de régularité et de confiance en lui…
Le double drame
Clément a maintenant 16 ans, l’âge de la déconne. En cours, l’élève qui a « des facilités » est décrit comme plutôt doué. Mais avec son air de ne pas y toucher et sa trogne de pince-sans-rire, il se permet les écarts de ces enfants sages couvés par leurs professeurs : « C’était toujours le premier à faire des conneries en classe, mais il ne se faisait jamais avoir » , confie Arnaud. Dans le style discret mais hyperactif, rien d’étonnant à voir un homme peu habitué aux revers se balader autour de la table de ping-pong – « il s’entraînait avec son frère qui jouait bien » – ou à Football Manager sur ordinateur. Avant, bien sûr, le foot à la TV. Rien d’extravagant. Jusqu’à ce jour anodin, « il y a une dizaine d’années » selon sa maman, où il croise la route d’un chauffard. Clément est fauché, entraîné sous la voiture et traîné par terre sur plusieurs mètres. « Il a été brulé, aux jambes, aux bras… c’était choquant, très impressionnant ! Je suis venu le chercher et je l’ai emmené à l’hôpital. La rééducation a été longue. » Loris Arnaud confirme : « Quand il allait sous la douche, on voyait ses brûlures. Il a gardé des cicatrices. »
La blessure n’est pas seulement physique, mais également mentale lorsque son corps se décide à muer après de longs mois passés à ronger son frein, chez lui. Il prend vingt centimètres en peu de temps : le long fleuve tranquille sur lequel Clément naviguait connaît ses premières perturbations. Au pire moment, en pleine eau vive, un troisième coup du sort : son papa fait un AVC. « Ça l’a beaucoup affecté. Il n’a jamais voulu aller le voir à l’hôpital. Son père est quand même resté six mois là-bas. Il ne voulait pas du tout en parler, même à la maison, on n’a jamais eu de discussions là-dessus. Il avait peut-être peur que son papa parte… » Intérieurement, le mental se forge dans les épreuves.
« C’est un caractériel, capable de bouder si quelque chose l’embête »
Au fil des années, le bonhomme grimpe les échelons sportifs à Paris en même temps qu’il prend de l’assurance dans sa vie personnelle, allant même jusqu’à séduire Candice Pascal, fidèle valseuse de Danse avec les stars et compagne. Pourtant, au début, la jeune femme élude soigneusement les danses du ventre : « J’ai mis des mois avant de lui accorder ne serait-ce qu’un regard, car j’avais trop de préjugés sur le milieu du football. » Piètre danseur, mais toujours intéressé et surtout capable de se fondre dans le collectif, « il me soutient au quotidien et on se complète assez bien avec nos vies atypiques. En tout cas il est devenu un vrai juge à part entière de mon émission. Il a un avis sur chaque prestation et, pendant ses mises au vert, il n’hésite pas à convertir ses coéquipiers. »
Pour conquérir sa compagne, le bonhomme n’aura donc rien lâché. Une force de conviction qui, ô surprise, se retrouve sur la pelouse. Loris Arnaud se souvient : « Il ne lâchait rien sur le terrain ! On était toujours étonnés de le voir autant rentrer dedans. Après sa convalescence, à un moment donné, il a explosé au centre de formation. Là, je me suis dit que plus rien ne pourrait l’arrêter. » Thomas Chereau : « C’était un vrai bagarreur, caractériel et capable de bouder s’il n’arrivait pas à faire ce qu’il voulait. Il avait une vraie maîtrise collective tactique, il savait encourager et haranguer ses partenaires sur le terrain. » Et justement, le 30 juillet 2006, le voilà qui fait ses premiers pas en Ligue 1 contre Lyon, conscient de vivre les prémices d’une longue carrière de bleu vêtue. Mais comme les rêves nous échappent parfois, l’arrivée d’un homme aux keffiehs, d’un hibou, d’une pieuvre et d’un grand gaucher joueur de violon auront fini de le réveiller. Il joue même un temps sur l’aile sous Ancelotti, parce que le milieu de terrain du PSG est bloqué. Pas l’esprit de Chantôme, qui s’en va grandir ailleurs. Toulouse, d’abord, puis Bordeaux, ensuite. Retourner à Paris ? Oui pourquoi pas, pendant les vacances. Ou bien juste à côté, à la Plaine Saint-Denis. Pour claquer une bise à Vincent Cerutti.
Par Théo Denmat et Ugo Bocchi