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Les Champs-Élysées du Maroc

Par Clément Fétard, à Paris
Les Champs-Élysées du Maroc

Incroyables sur la pelouse face au Portugal, les Marocains l’ont aussi été dans les rues de Paris, où ils ont fêté comme il se doit l’exploit des Lions de l’Atlas. Avant d’être rejoints par les Français, qu’ils retrouveront au prochain match.

« Pikachu ! Pikachu ! Pikachu ! » Dans le joyeux bazar qui anime la plus belle avenue du monde, le plus célèbre des Pokémons fait son apparition sur le trottoir. Taille humaine, drapeau marocain peint sur les joues, le meilleur ami de Sacha déclenche un chant improvisé par les supporters marocains, qui se cassent la voix depuis plus d’une heure déjà sur le répertoire classique des Lions. Dans les traces de Pikachu, un autre badaud est désigné sosie d’Amrabat. Rebelote : « Merci Amrabat ! Merci Amrabat ! Merciiii. » La foule s’en donne à cœur joie, comme si le milieu marocain était bien là, devant le Celio des Champs-Élysées.

Les Lions de la classe

Les festivités ont commencé une bonne heure et demie plus tôt, au coup de sifflet final de Maroc-Portugal (1-0). Alors que les coups de sifflet retentissaient au Qatar, ils étaient prolongés par les innombrables klaxons dans les rues de Paris et de toute la France. Les premiers feux d’artifice, aussi, illuminaient le ciel de la capitale, alors que les klaxons se faisaient de plus en plus intenses en convergeant vers les Champs-Élysées. Histoire de n’épargner aucun tympan, les supporters marocains dans les transports en commun donnaient aussi de la voix. Dans la ligne 6, entre Passy et Kléber, certains consolaient un Portugais en larmes, qui leur répondait par des félicitations. Puis le métro, bondé, arrivait à destination : Charles de Gaulle – Étoile. Quelques touristes égarés venaient au renseignement face à cet afflux massif.

Trente minutes après le coup de sifflet final, le bien nommé Arc de triomphe est déjà ceinturé de forces de l’ordre, puisque 1220 policiers avaient été déployés dans l’après-midi. Et il en fallait pour contenir la joie débordante et contagieuse des Marocains, qui sortaient du métro, des voitures, des bus, ou arrivaient à pied. « On arrive de Châtelet là, on est prêt à faire la fête toute la nuit », promet Yacine, 23 ans, maillot d’Hakimi sur le dos, et qui tient à remercier quelqu’un avant de disparaître dans la foule qui se forme : « Merci Walid Regragui ! Il a pris l’équipe trois mois avant la Coupe du monde et nous emmène en demi-finales, c’est incroyable. Je n’ai rien contre Vahid, mais on ne pouvait pas rêver avec lui. Là, on vit un rêve ! » Dans le sillage de l’Albertivillarien, des milliers d’amoureux des Lions de l’Atlas.

Le moindre mobilier urbain devient un perchoir improvisé, d’où les acrobates lancent des chants repris par des grappes de Lions enfiévrés. Le thermomètre affiche un degré, loin de l’incandescence des Champs-Élysées, plus bruyantes que jamais. Partout, on s’enlace, on s’embrasse, on crie à la gloire de Bounou, Amrabat et En-Nesyri. « Ce sont tous des héros ! Des héros marocains, arabes, africains ! », lance Selik, 25 ans, en craquant son fumigène. Car si le peuple marocain est à la fête, il est effectivement rejoint par des Algériens, Tunisiens, et même des drapeaux palestiniens. « Le Maroc est l’étendard du peuple arabe, africain. Nos joueurs ont été grands. On a les yeux humides, on ne reverra peut-être jamais ça. C’est incroyable. C’était une petite équipe au début du Mondial, maintenant c’est une grande équipe », exulte Abdel, arrivé du 94 après avoir assisté au match chez la belle-famille.

Un Maroc-France rêvé

L’hymne marocain tourne en boucle, tout comme les « Viva Maroc » , et divers chants du répertoire des Lions. Les feux d’artifice illuminent les Champs, les drapeaux marocains font de l’ombre aux enseignes lumineuses de l’avenue, où seul le silence est absent. La jeunesse domine, évidemment, mais on croise aussi des moins jeunes, à l’image de Selma, 43 ans, émue aux larmes : « Après tout ce qu’on a vécu, tout ce qu’on entend, le Covid, ça fait du bien de se retrouver, de célébrer, et de voir le peuple marocain en fête. » La volonté des forces de l’ordre de maintenir l’avenue ouverte à la circulation crée des mouvements de foule denses sur les trottoirs, où il vaut mieux accepter de laisser la foule dicter ses mouvements. Les supporters profitent des feux verts au passage piéton pour sauter sur le pavé parisien, pendant que les scooters et décapotables parés de rouge et vert multiplient les allers-retours.

Pendant plus d’une heure et demie, la fête bat son plein, à la hauteur de l’exploit des Lions de l’Atlas. Et puis, la foule se divise. D’un côté, celles et ceux qui retournent devant leur TV, pour encourager les Bleus. Dont Abdel : « Je veux affronter la France, comme ça je serai heureux dans tous les cas. J’aime le Maroc, j’aime la France, et un des deux sera peut-être en finale. Que demander de plus. » Un point de vue largement partagé sur la plus belle avenue du monde. Même si une autre partie préfère continuer de battre le pavé : « Tant pis pour les Bleus, on espère qu’ils vont gagner et nous rejoindre ! Parce que nous on est là pour faire la fête toute la nuit », promet Younès, 20 ans, « Et on sera là la prochaine fois, parce qu’il y aura une prochaine fois. » En s’éloignant de l’Arc de triomphe, ceux qui rentrent croisent ceux qui arrivent, dans la liesse. La symphonie de klaxons se prolonge dans tout Paris pour une fête totale, et une soirée inoubliable pour les Lions et leurs fidèles. Le Maroc a été grand, sur le pré, et sur les Champs.

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