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Le Brésil et la Seleção, une histoire de désamour

Par Vivien Dupont, à Rio de Janeiro

Au Brésil, le début de la Copa América 2024 est accueilli assez froidement. Les habitants de la neuvième économie mondiale se désintéressent de leur Seleção, qui semble avoir perdu les cœurs du pays du futebol.

Rodrygo (Brazil) during a International Frendly match between Brazil and Guinea at Stage Front Stadium, in Barcelona, Spain on June 17, 2023. (Photo / Felipe Mondino) (Photo by Felipe Mondino/LiveMedia/LiveMedia/Sipa USA) - Photo by Icon sport   - Photo by Icon Sport
Rodrygo (Brazil) during a International Frendly match between Brazil and Guinea at Stage Front Stadium, in Barcelona, Spain on June 17, 2023. (Photo / Felipe Mondino) (Photo by Felipe Mondino/LiveMedia/LiveMedia/Sipa USA) - Photo by Icon sport - Photo by Icon Sport

« C’est peut-être l’une des pires équipes de ces dernières années. Elle n’a pas de dirigeants respectables, que des joueurs moyens pour la majorité. Manque d’amour pour le maillot, manque de cran et surtout de football », lançait Ronaldinho le 15 juin dernier sur son compte Instagram. La fronde acerbe de Ronnie contre la Seleção faisait en réalité partie d’une campagne publicitaire de la marque Rexona, sponsor de la Copa América 2024. L’objectif ? Montrer l’impact des critiques des supporters sur les joueurs de l’équipe nationale, avant ses débuts dans la compétition face au Costa Rica dans la nuit de lundi à mardi. Et pour cause, une bonne partie des Brésiliens ne renierait pas le discours de l’ancien magicien du PSG et du Barça.

Loin des yeux, loin du cœur

Le torchon brûle entre les Brésiliens et leur équipe, et celui-ci ne semble pas près de s’éteindre. D’après une étude de Quaest Consultoria datant de novembre dernier, 48% des Brésiliens amateurs de football ne s’intéressent plus à leur Seleção. Et ce n’est pas la perspective de la Copa América qui va changer la donne. « Personne ne semble savoir quand le Brésil joue. Même avant cette compétition, il n’y a pas vraiment d’effervescence. Dans la rue, personne ne porte le maillot de la Seleção », regrette Thiago Uberreich, journaliste et auteur de plusieurs livres sur l’histoire des quintuples champions du monde.

La plupart des joueurs sont des jeunes qui gagnent des mille et des cents en Europe et qui portent le maillot de l’équipe nationale pour se montrer.

Gabriel Silva, supporter de Vasco da Gama

Posé derrière l’étal d’un marché de Rio de Janeiro où il vend manioc, tapioca et autres spécialités du nord-est du pays, Ramon Fagundes en a gros sur la patate. « La plupart des joueurs sont mauvais et sont là uniquement grâce à leur agent », estime ce fan de Fluminense, dont l’écusson est tatoué sur son mollet. Même son de cloche chez son collègue Gabriel Silva, dont le cœur penche du côté de Vasco. « Je suis plus intéressé par l’Euro que par la Copa América, rigole le Carioca entre deux négociations. Notre équipe n’a ni niaque, ni amour du maillot. La plupart des joueurs sont des jeunes qui gagnent des mille et des cents en Europe et qui portent le maillot de l’équipe nationale pour se montrer. » Depuis quelques décennies, le nombre de joueurs de l’équipe nationale évoluant dans le Brasileirão a fondu comme açaí au soleil. Un éloignement qui contraint les supporters de la Seleção à entretenir une relation à distance avec leurs joueurs, qui sont de moins en moins connus du Brésilien lambda. « Depuis quelques années, ceux qui suivent le foot de loin ne connaissent même plus les joueurs de l’équipe », explique Thiago Uberreich. Les pépites du plus grand pays d’Amérique latine s’exilent de plus en plus jeunes, comme l’illustrent les cas Endrick et Estevão, respectivement promis au Real Madrid et à Chelsea à seulement 17 ans. « Les joueurs partent tellement tôt en Europe que les gens ont du mal à s’y identifier, abonde le journaliste. Parmi les 22 Brésiliens sélectionnés pour le Mondial 1994, la moitié jouait au pays. »

Difficile pour les Brésiliens de se sentir proches de joueurs qu’ils ne voient évoluer qu’un ou deux ans dans leur championnat. D’autant plus quand la fédération participe elle-même à cet éloignement. En 2006, la CBF a ainsi cédé à des entreprises privées la gestion des matchs amicaux de la Seleção. Résultat : d’après le journaliste Marcos Teixeira, de 2000 à 2019, le Brésil a disputé 135 amicaux, dont 112 à l’étranger. Et lors des rares rencontres à la maison, mieux vaut être prêt à vendre un rein ou deux pour se procurer une place. Pour assister au Brésil-Venezuela (1-1) du 13 octobre dernier, les supporters devaient débourser la modique somme de 400 réaux, dans un pays où le salaire minimum plafonne à 1412 réaux.

2013-2014, années charnières

Mais pour saisir l’une des racines profondes de ce désamour, il faut remonter jusqu’en 2014. À l’époque, le Brésil s’apprête à accueillir une Coupe du monde qui restera comme l’une des plus belles de l’histoire récente du football. Sauf que la partie immergée de l’iceberg est un peu moins reluisante : l’année précédente, le pays était secoué par d’immenses manifestations contre la pauvreté et la défaillance des services publics, mais aussi contre les chantiers et les investissements monstres consentis pour héberger le Mondial. « À partir de ce moment, les Brésiliens se sont davantage engagés politiquement, reléguant le foot au second plan, explique Thiago Uberreich. On en rigole même en disant qu’aujourd’hui, les gens ne connaissent pas les onze joueurs de la Seleção, mais connaissent les onze ministres du Tribunal suprême fédéral. »

Pour retrouver l’engouement, il faut qu’on retrouve notre football fait de dribbles et de beau jeu.

Gabriel Silva

La fête hors de prix qu’a été le Mondial 2014 se terminera en sanglots, laissant un goût amer dans la bouche des Brésiliens. Dix ans plus tard, la Seleção ne s’est pas vraiment relevée de cette humiliation, et la CBF n’a toujours pas entrepris les réformes promises après la débâcle. La polarisation croissante de la société brésilienne ne fait pas non plus les affaires de l’équipe nationale, censée unir le pays autour d’un même maillot. Ce dernier est d’ailleurs devenu malgré lui un symbole important du bolsonarisme. De quoi expliquer le peu d’engouement autour d’une équipe qui semble avoir oublié le joga bonito, comme en témoigne la purge du 12 juin dernier face aux États-Unis (1-1). La Copa América 2024 peut-elle permettre à Vinícius et ses copains de reconquérir les cœurs des Brésiliens ? « Pour retrouver l’engouement, il faut qu’on retrouve notre football fait de dribbles et de beau jeu », juge Gabriel Silva. Malgré la lassitude engendrée par 22 ans sans Coupe du monde, nombre de torcedores auriverdes suivront tout de même les aventures de leur équipe. C’est le cas de Ramon Fagundes : « Ça reste le Brésil. Même si c’était du football de table, je regarderai. »

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Par Vivien Dupont, à Rio de Janeiro

Tous propos recueillis par VD.

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