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Les Bleus sur un air de 1998
Avec deux victoires lors de ses deux premières rencontres, l’équipe de France est déjà assurée de voir le dernier plateau de son championnat d’Europe. Sur le papier, c’est une satisfaction. Reste que l’engouement tardif et les problèmes montés de toutes pièces sont encore présents. Comme il y a dix-huit ans, déjà.
C’est l’histoire d’une vindicte qui s’est terminée la tête haute. Le récit d’un homme devenu en l’espace de quelques semaines, quelques mois, un héros national après avoir passé ses journées placardés sur les kiosques. Lui l’assure, il « ne pardonnera jamais » . Au fond, il n’a pas besoin de le faire, car il est plus haut que n’importe qui dans l’histoire du football français. Aimé Jacquet était un pragmatique, un défensif par la force d’une génération qui tirait ses meilleurs atouts dans le secteur (Desailly, Blanc, Thuram, Deschamps), et son talent était finalement de toujours savoir vers quoi il voulait aller. Ses soirées et ses séances, il les passait le plus souvent à griffonner sur ses carnets noirs. Jacquet, c’était aussi l’humain, le mélange des âges, le liant entre l’expérience et la promesse, ce qu’il expliqua merveilleusement le soir du 12 juillet 1998 : « On a réussi à gagner grâce à une communion interne, une complicité forte et un groupe d’hommes. »
Quelques minutes plus tôt, son capitaine, Didier Deschamps, vient de soulever la Coupe du monde. Aimé Jacquet peut se retirer sur cette gifle et une certitude : celle d’avoir gagné. Gagné contre une presse sportive monopolisée par son centre névralgique (L’Équipe) qui fait et défait l’opinion sportive publique, gagné dans le cœur de Français dont la culture foot était jusqu’ici sous-développée – elle l’est encore, mais elle est vraiment née ce soir de juillet – et gagné sur le terrain tout en accouchant d’un calque. Un fils spirituel, hier relais tactique, aujourd’hui successeur, qu’il a retrouvé il y a quelques semaines au soir d’un match de préparation contre l’Écosse (3-0). Comme pour lui dire, « je sais que tu sais, mon fils, je sais que tu sais que ça va se passer de la même manière pour toi, mais sache, qu’au fond, tu es le meilleur » .
Cibler sans se questionner
Dix-huit ans ont passé depuis le 12 juillet 1998. Il faut se le dire, rien n’a vraiment changé. Autour de l’équipe de France déjà, car, comme en 98, l’Euro 2016 a été précédé d’une longue traversée du désert, les scandales en plus. Nos Bleus nous ont habitués à déraper, mais c’est aussi ce qui fait leur charme. Voir Nasri tirer la langue, voir Pogba faire sa « sarabande » comme voir Dugarry tirer la langue hier contre l’Afrique du Sud est avant tout une preuve de caractère. Reste qu’en France peut-être plus qu’ailleurs, ce qui est piquant dérange. Dans un pays en manque de repères, le footballeur est devenu un exemple, une personnalité publique qui se doit d’être irréprochable. Il n’y a qu’à comparer : quand Noël Mamère ou Henri Emmanuelli lâchent des bras d’honneur en pleine Assemblée nationale, on aurait plus envie d’en rire que d’en pleurer. Quand Paul Pogba le fait en plein Euro 2016, tout le monde s’autorise à le commenter. Depuis le succès de 1998, le football est devenu politique et ces politiques s’autorisent même à le commenter sans gêne (voir à ingérer dans les affaires internes de la FFF) comme on l’a vu lors de l’affaire Benzema. A-t-on déjà vu un Paul Pogba se plaindre des orientations gouvernementales ?
Plus que jamais, tout se mélange, et le sujet du foot autorise visiblement tous les excès. Au point de se chercher des cibles comme on l’a vu ces dernières semaines : Griezmann est passé en quelques jours du « petit génie » à « l’inquiétude » , Pogba du « phénomène » au « problème » . Le tout pour probablement masquer les ennuis plus généraux d’un collectif français qui a tout de même remporté ses deux premières rencontres dans la compétition. La France est éternellement insatisfaite, c’est comme ça, et c’était déjà le cas en 1998. L’engouement ne commencera qu’à partir des huitièmes de finale, il faut s’y préparer et continuer de faire la fête pour le moment dans son coin. Notre pays a vraiment découvert la culture de l’équipe de France il y a dix-huit ans, mais elle a également connu les dérives qui entourent son fonctionnement et son traitement.
Un pour tous, tous pour un
Si un tel parallèle peut être dressé entre 1998 et aujourd’hui, c’est avant tout parce que le paysage médiatique français n’a que peu évolué. En dix-huit ans, le quotidien national L’Équipe a tout fait pour rester seul maître à bord, préférant même payer des amendes considérables que de se risquer à la concurrence. Résultat, la situation de monopole entraîne encore une fois des dérives des tabloïds, et il semblerait qu’en période de compétition majeure, notre canard n’ait plus grand-chose à envier au Sun. Mais pourquoi un groupe capable d’entretenir en son sein des créateurs de reportages merveilleux (L’Équipe 21, L’Équipe Explore) s’abaisse-t-il à de telles unes ? La réponse, Christian Losson et Michel Chemin l’avaient déjà trouvée en 1998, dans Libération : « Parce queL’Équipe, monopoliste, doit sans cesse se distinguer faute de concurrence. Et faire l’événement. Le susciter, l’accompagner, voire le créer. Bref, prendre, raisonnablement, des risques. » Bref, faire dans le sensationnel. Quant à la défense d’une telle ligne éditoriale – qui explique que faire de l’information, c’est informer sur tout, tout le temps, que ça plaise ou non –, on lui posera une question simple : le public doit-il vraiment être informé que Paul Pogba mange en claquettes Fila ?
Le problème, qui n’est certes pas nouveau, mais qui a tendance à s’accentuer avec le temps, c’est que le football devient une émission de télé-réalité. Qui blâmer dans ce cas-là ? Les producteurs ou les consommateurs ? Un peu les premiers, beaucoup les seconds. Si nombreux sont ceux qui s’offusquent ou raillent calmement les dernières Unes du quotidien français, plus nombreux encore sont ceux qui la cautionnent. Le schéma est simple : on jette à des sociopathes schizophrènes de faux scandales pour les animer quelque temps. Des gens qui n’allument la télévision pour un match de football que pour voir un joueur faire un geste de travers et hurler haut et fort : « JE LE SAVAIS ! Le football, ce ne sont que des racailles millionnaires qui n’ont aucun respect pour le pays ! Je préfère encore le rugby et ses valeurs bien franchouillardes ! » Une fois tonton Gérard calmé, le constat peut faire monter quelques larmes : la phobie du foot gagne du terrain, et les médias s’alignent dessus pour quelques tirages. Puisque le monde est à l’heure du voyeurisme, réglons les montres du football dessus et attendons que le réveil sonne. Au final, seuls les polémiqueurs/agitateurs sur les créneaux de grande écoute sont contents de se réveiller pour bailler à tous les endormis leurs analyses à dormir debout.
C’est pas moi, c’est mon voisin
Résultat, depuis le début de la compétition, l’engouement français n’existe pas, ou peu. On s’extasie quotidiennement devant les vidéos de ces Irlandais à mourir de rire, de ces Belges chantant dans les rues de nos villes, de ces Irlandais du Nord qui font la gloire d’un attaquant qui ne devrait même pas disputer une minute pendant la compétition… Mais nous, on ne vibre pas. Ou trop peu. Peut-être parce que le pays n’a pas la tête au football. Peut-être aussi parce qu’on a un peu peur d’aller dans la rue en ce moment. Peut-être parce qu’on n’y croit pas, au fond de nous. Comme en 1998. Avant la compétition, Aimé Jacquet n’était pas critiqué que par L’Équipe, mais par une grande partie des Français fans de football.
Pourtant, le 12 juillet au soir, tout le monde tombait sur le seul quotidien pour ses critiques répétées sans jamais jeter un coup d’œil aux millions de vestes réversibles vendues dans le mois. Le syndrome de la résistance… En cas de victoire finale des Bleus lors de l’Euro 2016, il y a fort à parier que les médias seront encore cloués au pilori par les millions de lecteurs qui se sont gargarisés du bras de Paul Pogba en secret. En France, nous sommes peut-être 60 millions de sélectionneurs, mais nous sommes surtout 59 millions d’experts en gestuelle. Il faudrait qu’on commence à être 60 millions de supporters.
Par Maxime Brigand et Gabriel Cnudde