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Les Bleus sans diffuseur, panique à la FFF ?
C’est une nouvelle qui a eu le mérite d’étonner et d’interloquer. En début de semaine, on a appris l’échec de l’appel d’offres de la Fédération française de football pour les droits de diffusion des matchs des Bleus sur la période 2022-2028. Aucun diffuseur, y compris TF1 et M6, n’a réussi à se mettre d’accord avec la Fédé, et celle-ci se retrouve, pour l’instant, privée de télévision. Comment expliquer cette bizarrerie médiatique et économique ?
On a beau être champion du monde en titre et récent vainqueur de la Ligue des nations, on n’en attire pas plus les diffuseurs. À l’heure actuelle, après la fin du second tour de l’appel d’offres des droits de diffusion des matchs de l’équipe de France, le prix de réserve n’a pas été atteint, et la Fédé a été incapable de s’entendre avec la moindre chaîne de télévision. Alors que, lors de la période précédente, 2016-2022, les droits étaient partagés entre TF1 et M6, pour une somme fixée autour de 3,5 millions d’euros par rencontre, hors Coupe du monde et Coupe d’Europe, aucun des deux médias n’a été prêt à mettre autant pour la prochaine période, et la Fédé n’a reçu des propositions qu’à hauteur de 2,5 millions d’euros. Comment expliquer une telle chute ? Comment comprendre que les matchs des Bleus vaudraient 1 million d’euros en moins ?
Le jeu ou le marché ?
Une partie de l’opinion publique met en avant le jeu proposé, l’ennui qui pourrait s’imposer dans l’esprit des téléspectateurs, le manque d’intérêt pour les matchs amicaux, les matchs de qualification ou la Ligue des nations. Pourquoi vouloir payer autant, alors que l’équipe de France ne propose rien d’attrayant, ne présente aucun fonds de jeu et n’inspire aucun engouement ? Des spécialistes en sport-business affirment, à l’inverse, que c’est conjoncturel, que la Fédé ne fait que subir la situation globalement baissière des droits TV où, après la faillite de Mediapro et la crise économique post-Covid, les principaux diffuseurs et chaînes de télévision se retrouvent peu friands en matière d’investissements sportifs. La preuve, concernant la Ligue 1, seule la plateforme américaine Amazon s’est positionnée, pour 250 millions d’euros, trois fois moins que ce qu’avait proposé Mediapro, 3 ans auparavant. Et d’autres disciplines, comme le basket ou le volley, peinent à trouver des diffuseurs et à attirer des acteurs médiatiques.
D’accord, mais on parle quand même de l’équipe de France de football ! Elle a toujours engendré beaucoup d’audience, entre 4 et 7 millions de téléspectateurs, selon la programmation et le prestige de la rencontre, avec des recettes publicitaires pouvant monter jusqu’à 150 000€ pour les 30 secondes de réclame. Le match face à la Finlande, le 7 septembre dernier, remporté deux buts à zéro, avait notamment réuni 6,9 millions de téléspectateurs. On ne peut pas dire que cela soit peu.
La faute au futur monstre TF1-M6
L’explication serait alors à trouver côté coulisse. Depuis quelques mois se trame une révolution dans le cercle très restreint des médias, TF1 et M6 préparent en effet une fusion en vue de constituer l’un des plus grands groupes audiovisuels d’Europe, trustant plus de 70% du marché publicitaire. Autrement dit, on est en train de créer un monstre. Et ce monstre réunit précisément les deux diffuseurs des matchs de l’équipe de France. Il est donc logique d’imaginer qu’une entente, même officieuse, ait pu être passée entre les deux acteurs, dans le but de s’entendre sur le prix et de ne pas surenchérir face à la proposition de l’un ou de l’autre. Parfaitement interdit, direz-vous. Mais l’Autorité de la concurrence veille au grain et condamnerait tout trafic d’influence ou entente illicite.
Sauf que, autre élément à prendre en considération, selon une information donnée par le quotidien économique Les Échos, les dirigeants de l’Autorité de la concurrence seraient poussés vers la sortie par le pouvoir politique car ils s’opposeraient à la fusion TF1-M6. Comment contrôler et sanctionner si on lâche autant de lest pour favoriser et soutenir cette union ?
Et les autres ?
Mais il n’y a pas que TF1 et M6 pour diffuser les Bleus après tout. Pourquoi on ne s’arrêterait que sur eux ? Tout d’abord, il faut rappeler que, depuis 2004 et le décret sur les événements sportifs d’importance majeure, les matchs de l’équipe de France de football doivent obligatoirement être diffusés en clair. Aucune chaîne ou plateforme à péage, comme Canal+, beIN Sport, RMC Sport, Amazon ou Netflix, ne peut accaparer les droits. Ainsi, il ne reste que les acteurs de la TNT pour candidater auprès de la FFF. Et là, on se retrouve sur un marché concurrentiel restreint.
France Télévision pourrait se positionner, mais elle a des fonds limités et préfère miser sur les droits de Roland-Garros, du Tour de France ou des Jeux olympiques. Quant aux autres, C8 ne peut pas y aller, car elle est détenue par le groupe Canal et, lors de l’achat par la chaîne cryptée, le CSA avait cloisonné l’acquisition de programmes afin d’éviter toute forme de concurrence déloyale. Idem côté RMC avec ses chaînes RMC Story et RMC Découverte. Enfin, il reste La Chaîne L’Équipe, du groupe Amaury, mais ses liquidités sont bien trop faibles pour ambitionner débourser 3,5 millions d’euros par rencontre. Et donc il ne reste que TF1 et M6, qui préparent actuellement une fusion. C’est évident, on ne pouvait que s’attendre à l’échec de l’appel d’offres et à la baisse de la valeur des droits. Sans effort concurrentiel, pas de valorisation et de croissance. La FFF va devoir s’y faire, avec l’obligation de diffuser les matchs en clair, le prix va forcément baisser. Sauf si…
Par Pierre Rondeau