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Les Bleues récupérées comme des grandes
Le foot féminin a clairement franchi une étape et éclaté un plafond de verre, avec ce Mondial à domicile. Dans tous les domaines, y compris sur l'un des terrains les plus périlleux et glissants : la récupération politique. En la matière, les Bleues sont en effet en train de rattraper à grande vitesse leur retard sur leurs prédécesseurs et homologues masculins.
La Coupe du monde féminine de la FIFA est déjà bien avancée, et le bilan s’avère pour le moment globalement positif sur tous les terrains : sportif, économique (rappelons au passage que, comme pour les hommes, la FIFA est exemptée fiscalement) et même populaire, puisque l’engouement se traduit dans la fréquentation des stades et les audiences (signe qui ne trompe pas, TF1 a augmenté les tarifs de la pub). Forcément, les politiques et le discours politique en général ne pouvaient pas rester de marbre devant ce phénomène. Surtout dans le contexte actuel. D’ailleurs, la symétrie est frappante avec 1998. Un discours sur la France black-blanc-beur et l’idée que, finalement, ce sport ne se résumait pas simplement à une distraction de beaufs, mais constituait peut-être un pilier de la République. Son axe populaire.
Aujourd’hui, à l’heure des grands débats sur la parité et le sexisme, de #metoo et de l’écriture inclusive, le foot féminin met en exergue le combat des femmes, même féministe, alors que les menaces sur leurs droits s’accumulent. Daniel Riolo, et Pascal Praud avant lui, ont découvert cette évolution des mœurs en ce mois de juin où ce « e » muet des Bleues a pris tant d’importance. Personne ne s’en plaindra. En retour, l’unanimisme sert aussi à nimber certaines questions de fond : le coût du Mondial, les réelles conséquences sur l’accès des filles à la pratique, etc. Avec le danger de passer en retour pour un pisse-froid, voire un indécrottable réac si on émet le moindre doute.
Foot féminin, le nouveau hand
Il existe un autre immense avantage, chronologique, qui joue en faveur du ballon rond du « second sexe » : il permet à des personnalités ou des figures politiques, pas franchement portées sur la chose, de parler foot sans l’aimer. En gros, de causer de leurs thématiques, de balancer leur logorrhée, de s’adonner à un peu de démagogie facile en surfant sur la vague du premier des sports. Le foot des hommes a vu sa réputation et son image quelque peu écornées : trop riche, trop clinquant, trop commercial… Celui des femmes est paré de toutes les qualités sportives, morales, éthiques et mêmes sociales qui auraient disparu chez les garçons. Un foot resté pur, et profondément humaniste. Du Coubertin dans le texte, lui-même étant par ailleurs un immense misogyne. Un peu d’argent, sans abuser. De l’enjeu, mais sans nationalisme. Un public, mais sans vulgarité. Ajoutez également des rencontres dans des lieux comme Grenoble, peu habitué à ce type d’honneur international, pour accentuer cette proximité. Ce profil idéal s’assaisonne en outre du petit sentiment de supériorité tricolore quant aux droits des femmes, et ce regard plein de compassion admirative pour les Jamaïcaines par exemple. Le foot féminin s’apparente quelque part au handball. Ne manque plus que les médailles et le titre.
Comme des grandes, les filles font donc l’expérience de tous les travers de la politique dès qu’il s’agit de se pencher sur le berceau du foot. C’est presque une forme de reconnaissance. Il était temps. Un signe de maturité, ou du moins d’importance sociale. La cause des femmes avait peut-être besoin aussi de cette caisse de résonance pour quitter les postures et les couloirs des ministères et revenir dans la rue, ou du moins s’exprimer dans le sport. Pourtant, la réalité ne rode pas très loin, et les couacs commencent à sonner. Le Canada a brisé le silence concernant le sexisme, le harcèlement ou les agressions sexuelles. La Norvégienne Ada Hegerberg, joueuse vedette de l’Olympique lyonnais, a brisé son rêve de Ballon d’or en refusant de porter le maillot national d’une sélection dont la Fédération n’en fait pas assez – notamment financièrement – en matière d’égalité hommes/femmes. Il faudra d’ailleurs un jour nous expliquer pourquoi en République, puisqu’il s’agit de représenter la France, une fille toucherait moins qu’un gars. Que le foot pro fasse ce qu’il veut, le capitalisme étant par essence inégalitaire ! Sans parler de l’affaire de Clairefontaine, où ces dames furent gentiment éconduites de la cour des grands pour faire place aux messieurs qui préparaient un essentiel match amical.
L’égalité, y compris dans le ridicule
Le président de la République, la ministre des Sports Roxana Maracineanu et même Marlène Schiappa y sont allés de leur petit laïus. C’est logique et quelque part normal, d’un simple point de vue institutionnel. D’autant plus que cette belle Coupe du monde à haute valeur ajoutée éthique doit donner du baume au cœur à Emmanuel Macron, en pleine convalescence post-gilets jaunes. En revanche, la communication officielle s’est fracassée sur la vidéo de Sibeth Ndiaye et Julien Denormandie à la suite d’un défi de leur collègue Cédric O.
Devant le premier match de l’EDF, grimés et déguisés comme au parc Astérix, hystériques comme on ne simule jamais, nos deux membres du gouvernement ont délivré un exceptionnel moment de gêne, qui malgré tout en dit long sur ce qui attend nos Bleues. Plus que des footix, ce show grotesque a surtout révélé un certain usage politique du foot féminin auquel il faudra s’habituer. Désolé Mesdames, l’égalité est à ce prix. Celui du ridicule.
Par Nicolas Kssis-Martov