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Les Belges incollables à Panini
Les Belges aiment décidément bien collectionner les têtes de leurs joueurs. Quelques mois après la sortie d'un album entièrement consacré aux footballeurs du dimanche, c'est cette fois-ci le bien plus célèbre Panini qui fait fureur au Plat Pays, aussi bien auprès du gamin de six ans que de son père, voire son grand-père…
À l’entrée de la cour de récré de cette petite école communale d’Haversin, village situé à une petite demi-heure de Namur, on entend au loin un fond sonore qui laisse présager qu’un match de foot est en cours. Mais dès que le mot Panini est prononcé, le terrain se fait d’un coup désert et c’est sous le préau que tous les petits collectionneurs se rejoignent pour d’âpres négociations. « Ho, mais tu veux regarder ?! Attends, je vais te montrer Najar, assieds-toi ! » L’accueil est plutôt chaleureux, et tout le monde veut montrer l’état d’avancement de sa collection. Pierre est le plus prompt, il ponctue chaque page entièrement remplie d’un « Pas mal » plutôt fier. Les albums sont un peu déchirés suite à leur utilisation incessante, mais de toute façon, le plus important, ce sont les images qui sont dedans, qu’elles soient bien collées ou non. À chaque pause, c’est le même rituel. « On cherche un endroit tranquille dans la cour, explique Mathieu. Pas derrière le goal car si on se prend une balle, toutes les cartes foutent le camp. » « Ensuite, on regarde ceux qu’on n’a pas, puis on l’échange contre une autre, poursuit Baptiste. Mais il y a aussi des rares : Alexis Sánchez, Robinho, quelques stades et surtout les Belges, et là c’est différent. » De l’autre côté du groupe, Alexandre a d’ailleurs le sourire en coin. « Moi, je négocie avec les petits, on les arnaque, mais faut pas le dire. » Cette fureur a néanmoins des inconvénients, et quelques vols sont commis entre élèves, qui se gardent pourtant bien de dénoncer les autres sous peine de se voir interdire les échanges par les institutrices. A priori donc, Panini a encore réussi à séduire les gamins…
Les vieux aussi…
Mais ils ne sont pas seuls ! Le phénomène ne touche pas que les cours de récré. Les pochettes Panini se baladent aussi à l’université et au bureau. « Je pense qu’il n’y a pas d’âge pour faire cet album, assure Manu, la trentaine. Je peux vous dire qu’il y en a qui sont beaucoup plus vieux que moi et qui le font. Panini fournit de beaux albums souvenirs, et dans quelques années, je pourrai les montrer à mon fils, surtout pour qu’il voie les plus grands joueurs de notre époque. » Les enfants, les ados et les adultes, Panini a déjà un fameux public-cible, surtout que les filles s’y mettent aussi ! « En général, les femmes rigolent un peu en nous voyant avec nos pochettes, mais je soupçonne ma copine d’être autant accro que moi » , assure Romain, 23 ans et étudiant en droit. Ça, c’est pour celles qui ne se l’avouent pas vraiment, car il y a aussi les grandes fanatiques. « Beaucoup de mes amis collectionnent aussi, donc ça ne les a pas surpris, affirme Olivia, 21 ans et collectionneuse acharnée. L’événement déclencheur, c’est la qualification des Diables rouges pour la Coupe du monde. On attend ça depuis 2002 et en plus, je n’avais jamais fait d’album Panini avant, donc c’était l’occasion d’en commencer un. »
La qualification en Coupe du monde comme seule raison valable de cette furie paninienne ? Pas sûr. Pour Baptiste, c’est la passion du foot avant tout, pour Romain, « ça rappelle le bon vieux temps des cours de récré ! Et puis quel bonheur de déballer une pochette et de trier en s’écriant « J’AI » ou « J’AI PAS ». » De son côté, Julia suit le football avec attention – « surtout les résultats de mon cousin » –, mais n’est pas déçue quand elle tombe sur la photo d’un joli cœur du genre de Mertens ou Miguel Veloso. Les pochettes Panini ont ceci de commun avec la clope qu’elles rendent complètement accro la personne qui s’ouvre le paquet, surtout que l’odeur de l’autocollant est appréciée par bon nombre de collectionneurs qui n’hésitent pas à foutre leur nez dessus dès l’ouverture. Et puis quelle joie de pouvoir faire ces échanges d’autocollants, moment privilégié par les collectionneurs pour étaler leurs capacités de négociateur dans cette dure réalité qu’est l’enchère.
Records explosés
Toutes ces raisons ont donc motivé des milliers de Belges à foncer chez leur libraire et, bien entendu, la conséquence prévisible de cette ruée vers le Panini est arrivée bien vite : rupture de stocks ! « Ça a été tout à fait imprévisible, mais c’est désormais comme ça chaque semaine, glisse Thierry De Latre, administrateur délégué de Panini Belgique. Pourtant nous avons doublé toutes les commandes. Le record de vente de pochettes Panini est de 24 millions lors de la Coupe du monde 2006. Eh bien cette année nous avons dépassé ce chiffre depuis le 20 mai. » 24 millions de pochettes, ça représente approximativement 100 millions d’images pour… 10 millions de Belges, soit 10 vignettes par personne.
Alors quand, au plus grand bonheur des collectionneurs, la librairie du coin reçoit une nouvelle cargaison de vignettes, c’est la déferlante. Et pas question de pitié pour les enfants, car là où la plupart des mioches se contentent de maximum cinq pochettes par semaine, les adultes peuvent très bien dévaliser le magasin d’un seul coup de carte bancaire, même si certains éprouvent quelques remords… quand tout est déjà collé. « Ça fait quand même mal au cœur quand on croise un gamin qui a été victime d’une de nos rafles gigantesques chez Nancy, l’épicière » , avoue Romain. Par contre, là où toutes les générations se retrouvent, c’est dans la frustration de n’obtenir que trop peu de Belges dans les pochettes. « Au début, je n’avais que des Allemands et des Grecs, déplore Olivia. L’équipe belge a été une des dernières à être complète chez moi, il me manquait désespérément Eden Hazard. » Même triste expérience pour Romain, qui a un jour obtenu « deux Belges dans le même paquet, puis j’ai dû me contenter pendant longtemps des pauvres Honduriens comme Roger Espinoza… »
« Prêt à céder ses 200 doubles »
Si la cour de récré s’impose inévitablement comme lieu d’échange naturel pour les enfants, leurs parents n’ont pas toujours l’occasion de troquer des images au boulot. « Alors ils le font au bar » , lance Stéphane, tenancier du café Floréo. Comme beaucoup d’autres établissements, le bar bruxellois a organisé de nombreuses rencontres d’échanges depuis la sortie de l’album Panini. Avertis via Facebook, les participants viennent boire un verre tout en passant de table en table pour trouver LE Reza Ghoochannejhad ou le Azubuike Egwuekwe qui leur manque. « Ces échanges ramènent un côté social au café, s’enthousiasme Stéphane. On s’éloigne aussi du côté terrasse de bobos m’as-tu vu, c’est convivial quoi. Bon, il faut dire que les gens sont très fort concentrés sur leurs autocollants, donc quand ils parlent, c’est qu’ils sont en pause, dehors. » Et l’événement rassemble tout le monde, du petit de cinq ans accompagné par ses parents au gaillard d’une soixantaine d’années qui possède tous les albums de l’éditeur italien depuis la première parution.
Pour les plus geeks ou fainéants, il existe aussi des sites internet d’échanges, comme jaidesdoubles.be, plateforme lancée en avril par Gilles Debatty, un collectionneur namurois. Mais comme pour Facebook, ce qui devait au départ être un moyen de faciliter les échanges entre Gilles et ses amis est vite devenu le site de référence pour les échanges de Panini en Belgique. Avec plus de 15 000 inscrits, jaidesdoubles.be met en contact deux personnes qui ont des stickers intéressants pour l’autre. La discussion et la rencontre se font ensuite entre eux. Le site est une telle réussite que Gilles a déjà eu l’occasion de tester le fanatisme de certains collectionneurs. « Un monsieur de 80 ans m’a contacté quelques jours après le lancement du site, témoigne Gilles. À l’époque, il fallait un compte facebook pour s’inscrire sur le site, même il n’en avait pas. Il m’a donc téléphoné en panique pour m’expliquer qu’il ne lui restait plus que quelques stickers et qu’il était prêt à céder ses 200 doubles si je lui donnais le nom des personnes qui avaient ses stickers manquants ! » Le voilà peut-être le fameux voleur des cours de récré…
Par Émilien Hofman