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Les barrières de Génésio

Par Maxime Brigand
5 minutes
Les barrières de Génésio

Embourbé depuis plusieurs semaines dans une gestion des egos complexe, Bruno Génésio traverse une nouvelle zone de turbulence avec l'Olympique lyonnais. Avant tout parce que son club change, politiquement, sportivement et économiquement. Une barre trop haute ? Potentiellement.

« Memphis ? Ah, bah c’est Memphis hein… » Une question simple : avait-il déjà croisé au cours de sa carrière de joueur et d’entraîneur un joueur aussi particulier ? Sur le moment, Bruno Génésio a lâché un rire nerveux, a regardé le type et s’est contenté de verser un bouchon de Soupline dans la machine infernale qu’est la gestion d’un club de haut niveau : celle du calendrier, des compétitions, nationales et européenne, et des hommes. « C’est un garçon qui a besoin d’amour, qui est capable de faire basculer un match à tout moment. Il fait des gestes techniques tout à fait étonnants. Certains au service du club et du résultat. Et puis, quelques fois, en nous faisant trembler de manière incroyable. »

Moins d’une heure plus tôt, sur la piste du Groupama Stadium de Décines-Charpieu, Memphis Depay avait de nouveau décidé de brouiller la lecture de son ADN sportif tout en confirmant une force détectée dès ses premiers pas au centre de formation du PSV Eindhoven, au milieu des années 2000 : ce mec est imprévisible, c’est une force et un casse-tête. Face à Villarreal jeudi dernier, dans une soirée où Génésio avait préféré installer le jeune Houssem Aouar, 19 ans, dans une position où ses qualités sont impossibles à émulsionner, Depay n’est sorti du banc qu’une petite vingtaine de minutes. Suffisant pour voir l’international néerlandais s’embrouiller techniquement et faire exploser une foule à trente mètres de la cible adverse. Tout ça rend Memphis Depay attachant, agaçant, navrant, brillant : les quatre piliers du clown d’anniversaire.

« Je n’ai rien à prouver à mon coach »

Buteur décisif face au PSG (2-1) le 21 janvier, Depay avait profité de la soirée pour faire deux-trois corrections : « Je n’ai rien à prouver à mon coach. Je joue pour Dieu et pour lui seul.(…)Je continue de progresser et de montrer que, peu importe ce qu’on me fait subir ou qu’on me sorte de l’équipe, je reviendrai à chaque fois. Je suis trop fort pour ça, incassable. » La sortie avait alors ouvert une porte : à Lyon, les joueurs ne sont plus là pour le club, mais pour se faire voir et pouvoir rebondir ailleurs. Le modèle du club formateur monté par Jean-Michel Aulas et révisé par le même Aulas l’été dernier après un audit interne a pris un coup.

L’été dernier, l’OL a pris un virage avec les départs de Ghezzal, Lacazette, Gonalons et Tolisso, des mecs que Bruno Génésio connaissait par cœur, qu’il avait connus dans les catégories de jeunes, et qui, pour certains, comme Corentin Tolisso, avaient décidé de rester un an supplémentaire afin de faciliter la transition vers un nouveau modèle politique. En juillet 2016, c’était Samuel Umtiti. Cet hiver, ça a été Clément Grenier, parti à Guingamp. Demain, ce sera probablement Nabil Fekir, dont le rôle de caution club s’est affirmé cette saison et dont le statut auprès des supporters est logiquement sacré. Ce revirement s’explique économiquement et sportivement : le président Aulas s’est fixé cinq ans pour remporter une Coupe d’Europe. Cette année, la finale de la Ligue Europa se tiendra au Groupama Stadium. Forcément, l’idée trotte dans la tête du boss et il fallait mettre les moyens.

La politique, l’humilité et les pions

Voilà le travail : sept mois après le lancement de la saison 2017-2018, l’OL est quatrième de Ligue 1, à six points de l’OM, sept de Monaco et 19 longueurs du PSG ; à mi-chemin d’une qualification pour les huitièmes de finale de la C3 après la victoire de l’aller face à Villarreal (3-1) ; et doit encore disputer un quart de finale de Coupe de France à Caen début mars. Reçu, sans mention. On ne voit pas les hommes de Génésio progresser tactiquement, collectivement, et le début d’année a vu le bambou revenir en pleine gueule avec un ensemble constamment sur le fil, des victoires à l’arrachée et une série de quatre matchs consécutifs sans la moindre victoire en Ligue 1.

À Lille, dimanche, où Lyon menait 0-2 avant de se faire secouer (2-2), Bruno Génésio a explosé : « On manque trop d’humilité pour le sport de haut niveau. J’ai dit à mes joueurs ce que je pense, en face.(…)Le foot est un sport collectif joué par des individus qui n’ont pas forcément un comportement collectif. » En d’autres termes, une bande d’artistes incapable de former un orchestre, où le trompettiste Mariano Diaz choisit ses matchs – il a été excellent face à Villarreal, histoire de se montrer en vue de la Coupe du monde en Russie –, où son pote pianiste Memphis Depay est le plus souvent désaccordé et où l’ensemble s’écroule lorsque les joueurs offensifs oublient leurs tâches défensives.

On l’a souvent vu et c’est un vieux refrain qui revient frétiller les tympans : Bruno Génésio, mais pour quoi faire ? Plus que jamais, la question se pose. C’est un questionnement politique, encore, qui touche les limites du management du coach lyonnais. En cas de départ de Nabil Fekir, tous ses œufs auront éclos et son temps aura filé. Le natif de Lyon a été biberonné à la vision Aulas, à l’OL formateur et cela va être moins le cas désormais : le club risque de se lancer dans une politique d’achat-revente-plus-value classique. Se pose aussi la question de la gestion des ego, de la flexibilité tactique, ce sur quoi l’entraîneur s’est cassé les dents à plusieurs reprises depuis sa prise de fonction entre les coups d’éclat, et on en revient forcément à la réflexion de l’été dernier dans les bureaux du club, où l’organisation pose aussi quelques questions : fallait-il accompagner ce virage d’un changement de coach ? Probablement, mais ça sera certainement pour l’été prochain. En attendant, à Villarreal, jeudi soir, Génésio, sorte d’Éric Hély ayant bien tourné, devrait faire bouger les pions alors que seul Marçal est suspendu. Depay, lui, pourrait retrouver le banc. L’amour est déjà retombé.

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