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Les autres joueurs du FLN
S'il brillait plus que les autres, Mekhloufi n'était pas seul. En tout, une trentaine de joueurs rejoindront l’équipe du FLN pour porter la voix du gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Voici les plus marquants.
Mustapha Zitouni, l’inflexible
Rugueux défenseur, Mustapha Zitouni faisait partie des dix joueurs qui ont rallié Tunis en cachette, entre le 12 et le 14 avril 1958. À l’époque, sa fuite fait les gros titres de la presse hexagonale. Il faut dire que le roc de l’AS Monaco était considéré comme le successeur naturel de Robert Jonquet. Un mois plus tôt, il a totalement muselé Alfredo Di Stéfano, le meilleur joueur du monde, lors d’un France-Espagne à la télévision. Autant dire qu’il avait beaucoup à perdre. « Zitouni et Mekhloufi étaient de vrais héros. Ils ont mis en péril leur carrière pour ce drapeau, admire Amar Rouaï, ancien coéquipier. Ils ont tourné le dos à une Coupe du monde. »
Cet engagement pour le FLN, Zitouni ne le reniera même pas pour le Real Madrid, dont il refuse une offre de cinquante millions de francs dans la foulée. « Devant nous, Di Stéfano lui a dit : tu vas jouer dans le meilleur club du monde, rigole encore Rouaï. Zitouni lui a rétorqué : je joue déjà dans la meilleure sélection au monde ! » Devenu héros national, le natif d’Alger défendra à plus de cent reprises le maillot d’El-Khedra. Un engagement qu’il justifiera en ces termes : « J’ai beaucoup d’amis en France, mais le problème est plus grand que nous. Que faites-vous si votre pays est en guerre et que vous êtes appelé ? » Il s’est éteint à Nice le 5 janvier 2014, des suites d’une longue maladie.
Abdelaziz Ben Tifour, le militant
« Ben Tifour était le plus engagé, assure Amar Rouaï. Un grand monsieur qui était le seul d’entre nous à être un véritable activiste du FLN. » Arrivé en France après la guerre, le milieu offensif s’impose rapidement dans un OGC Nice flamboyant, sacré double champion de France en 1951 et 1952. Par la suite, ses performances à Troyes et Monaco lui valent quelques sélections en équipe de France, notamment à la Coupe du monde 1954, où il claque une passe décisive contre le Mexique. « Comme c’était une star, il profitait de sa notoriété pour cacher des armes dans le coffre de sa voiture et leur faire passer la frontière franco-italienne afin de les remettre à d’autres membres du FLN » , retrace Rouaï. Véritable leader, Ben Tifour sera le capitaine de l’équipe du FLN pendant quatre ans, avant d’en devenir l’entraîneur lors de tournées en Extrême-Orient et en Europe orientale. Après l’indépendance, il devient sélectionneur de l’équipe d’Algérie de 1965 à 1969, puis prend la tête de la JS Kabylie. Il meurt le 19 novembre 1970, dans un accident de voiture.
Amar Rouaï, le polémiste
Inter gauche de formation, Amar Rouaï s’installe en France en 1952 et entame une carrière laborieuse de jeune footballeur, à l’US Annemasse, puis au RC Besançon. En 1957, son rêve se réalise : il signe au SCO d’Angers, club de première division, et enthousiasme Jean Bouin en conduisant l’équipe à la quatrième place du championnat. Il s’enfuit néanmoins le 13 avril 1958 en compagnie de Zitouni, son adversaire du soir, lors de la fameuse 30e journée. Par la suite, il sera imité par deux autres SCOïstes : Ali Benfadah et Dahmane Defnoun.
Frappé par la dysenterie au Vietnam, Rouaï abandonnera vite les terrains pour se lancer dans une carrière d’entraîneur à succès. Champion d’Algérie avec le MC Oran en 1988, il échoue cependant l’année d’après en finale de Coupe d’Afrique des clubs champions. En 2014, il affichait sa rancœur lors d’une interview croisée avec Mekhloufi, pour le journal Liberté : « Les vrais héros, l’Algérie officielle les oublie au moment où d’autres profitent des richesses du pays avec leurs cartes de moudjahidine et autres mensonges ! Des gens se sont illégalement enrichis alors qu’ils n’avaient rien fait. Ils jouent avec des milliards au moment où les veuves des regrettés Zitouni et Ben Tifour sont oubliées, abandonnées et laissées à leur triste sort » .
Saïd Brahimi, le buteur
Redoutable finisseur, Saïd Brahimi fait ses classes au FC Sète, avant de rejoindre le TFC, vice-champion de France en 1955. Très vite, Brahimi s’impose comme un joueur incontournable. Il marque lors de la finale de la Coupe de France en 1957, remportée 6-3 contre Angers (le seul titre de l’histoire du club à ce jour, si on excepte des championnats de D2). Sélectionné par la suite en équipe de France, il subit la concurrence de Just Fontaine, Raymond Kopa et Roger Piantoni. Il n’en devient pas moins le premier buteur algérien de l’histoire tricolore, en participant au festival contre l’Islande lors des qualifications pour la Coupe du monde(8-0). Le contre-pied est donc total quand il décide de rejoindre, avec son coéquipier toulousain Abdelhamid Bouchouk, le « onze de l’indépendance » , deux mois avant la compétition. Mais après tout, n’est-ce pas ce que l’on demande à un attaquant ?
Mohamed Maouche, l’incertain
Dans sa jeunesse, Mohamed Maouche brille à l’AS-Eugène, grand club colonial d’Alger. Rapidement mis en avant, il termine quatrième du Concours du jeune footballeur de Paris, à seulement dix-sept ans. Son talent est tel qu’au moment de son transfert à Reims, en 1956, il est désigné comme le successeur de Raymond Kopa ! L’attente est trop forte pour ce « nouveau Zidane » avant l’heure, qui se limitera à un doublé contre Nancy. En attendant, le jeune attaquant est un symbole que le FLN convoite. Mais Maouche hésite, comme en ce jour de 1958, à Leningrad. « Maouche était avec l’équipe de Reims dans un hôtel face au nôtre, de l’autre côté de la rue, racontait Rouaï à Liberté. Il lui suffisait de traverser celle-ci pour rejoindre l’équipe du FLN. Saïd Haddad l’a d’ailleurs sollicité. Mais Maouche a refusé et a préféré rentrer en France avec Reims. »
Une hésitation qui confine parfois à l’ambivalence selon Rouaï : « Just Fontaine a dit un jour qu’il savait tout de l’intention des professionnels algériens de fuir le 13 avril 1958. Il tenait cette information de Maouche, son coéquipier à Reims. Heureusement, il n’a rien dit. Vous imaginez bien que s’il avait révélé ça à la police, on y serait tous passés. » Prêté au Red Star, en deuxième division, à la suite de performances mitigées, Maouche rejoindra finalement l’équipe en 1960, en décapotable. Un choix qu’il n’a jamais regretté : « Nous étions militants, nous étions révolutionnaires.(…)C’étaient nos plus belles années. »
Les trente-deux joueurs du FLN
Saïd Amara (Béziers), Mokhtar Arribi (Lens), Kaddour Bekhloufi (Monaco), Ali Benfadah (Angers), Abdelaziz Bentifour (Monaco), Abderrahmane Boubekeur (Monaco), Cherif Bouchache (Le Havre), Hocine Bouchache (Le Havre), Abdelhamid Bouchouk (Toulouse), Mohamed Bouricha (Nîmes), Hacène Bourtal (Béziers), Saïd Brahimi (Toulouse), Hacène Chabri (Monaco), Dahmane Defnoune (Angers), Ali Doudou (Annaba), Saïd Haddad (Toulouse), Abderrahmane Ibrir (Toulouse), Smaïn Ibrir (Le Havre), Abdelhamid Kermali (Lyon), Abdelkrim Kerroum (Troyes), Mohamed Maouche (Reims), Abdelkader Mazouza (Nîmes), Rachid Mekhloufi (Saint-Étienne), Mokrane Oualiken (Montpellier), Ahmed Oudjani (Lens), Amar Rouaï (Angers), Abdellah Settati (Bordeaux), Abderrahmane Soukhane (Le Havre), Mohamed Soukhane (Le Havre), Mustapha Zitouni (Monaco), Abdelhamid Zouba (Niort), Mohamed Boumezrag (fondateur), Mohamed Allam (responsable politique).
Par Christophe Gleizes