- Arbitrage
- Les arbitres de surface
Les arbitres de surface sur le banc des accusés
Souvent détestés et remis en cause, les arbitres de surface n'ont jamais réussi à se débarrasser de la mauvaise réputation qui leur colle à l'uniforme. Parfois spectateurs quasi aveugles de faits de jeu honteusement oubliés, ils ont pourtant été créés pour rendre plus fiable l'arbitrage, dans une zone du terrain où tant de choses se passent.
On aime les ranger dans le placard des emplois fictifs du football, entre le troisième gardien et les gosses qui tiennent la main aux joueurs lors de leur entrée sur le terrain. Au mieux, ils sont des pots de fleurs mal habillés plantés derrière la ligne, au pire, les coupables des pires étourderies lorsqu’ils ne voient rien à ce qui se passe juste sous leurs yeux. Et pourtant, leurs yeux, les arbitres de surface n’ont que ça pour travailler, puisqu’ils ne possèdent ni drapeau ni sifflet. L’ancien arbitre Bruno Derrien jure d’ailleurs que le postulat de base n’est pas idiot : « Le principe de mettre la surface sous contrôle d’un autre arbitre n’est pas une mauvaise idée, au contraire. La surface de réparation, c’est la zone de vérité. C’est de là que viennent toutes les polémiques, et deux paires d’yeux valent mieux qu’une. » Le problème, c’est quand les rétines défaillent. Lors d’un match de barrage de Ligue des champions perdu par Monaco à Valence en août 2015, une vilaine faute non signalée sur Martial juste sous les yeux de l’arbitre de surface avait permis au responsable du Twitter de l’ASM de lâcher ce bon mot : « Si seulement le 4e arbitre avait mis ses lunettes de notre partenaire #AlainAfflelou… » La blague est drôle, mais témoigne surtout de ce que pense le grand public de ces arbitres sortis en 2009 du cerveau de Michel Platini. Un Platoche qui se félicitait de sa trouvaille : « Cela faisait cent ans que rien n’avait évolué dans l’arbitrage » , avant d’anticiper les drames : « Tout ne sera pas parfait, sinon il n’y aurait plus de travail pour les journalistes et les consultants ne sauraient plus quoi dire sur l’arbitrage. Et il n’y aurait plus de conversations dans les bistrots. »
Mauvaise vision à l’Euro
Et n’en déplaise au responsable de la communication de l’AS Monaco, l’arbitre de surface n’est pas le quatrième arbitre, mais bel et bien le cinquième, et même le sixième puisqu’il y en a un de chaque côté du terrain. Avec ces nouveaux hommes en jaune, la bande qui fait la loi dans le stade est désormais constituée du trio d’arbitres, du quatrième – celui qui affiche les changements et le temps additionnel –, et donc des deux larrons scotchés aux lignes de but. Une nouveauté d’abord introduite lors de la Ligue Europa en 2009, et des hommes à qui on donne une mission simple : juger du franchissement ou non de la ligne par le ballon lors des buts litigieux, contrôler les sorties de but, mais aussi surveiller les fautes, simulations ou autres incidents pouvant avoir lieu dans la surface. « Quand l’arbitre central voit mal les choses, observer l’action de face et non de derrière peut aider. Ils voient les joueurs venir vers eux, quand l’arbitre de terrain est derrière le ballon » , précise Bruno Derrien. En cas d’événement à punir, l’arbitre de surface ne peut qu’avertir par micro son collègue au sifflet, chef d’orchestre de la partie et qui a le dernier mot sur chaque décision. Le système est étrenné pour la première fois dans une compétition internationale lors de l’Euro 2012, avec quelques gros scandales pour mettre les arbitres de surface en plein milieu de la cible. Dernier match de la poule D entre l’Angleterre et l’hôte ukrainien, les Three Lions mènent 1-0 à 30 minutes de la fin. Sur un contre, Marko Dević met une balle piquée à Joe Hart, et Terry tente une course et un retourné improbable pour sortir le ballon. Le ralenti est formel, la balle a bien franchi la ligne. Placé à 5 mètres, l’arbitre de surface n’a rien vu.
Le drame en images :
Aulas le pédagogue
Les presque 50 000 spectateurs de la Donbass Arena de Donetsk peuvent s’arracher les cheveux. Le cinquième arbitre était pourtant là, soigneusement posé à califourchon au-dessus de la ligne pour être sûr de ne rien rater, à quelques mètres de la cage anglaise. Encore la semaine dernière, lors du match de Ligue Europa qu’il arbitrait, Thierry Chapron a changé trois fois d’avis sur une action, déboussolé par le trop-plein d’informations et a validé un but, avant de l’annuler pour accorder un penalty, puis de tout envoyer en l’air en revenant sur un hors-jeu. « Manifestement, l’arbitre de surface le met dans l’embarras. Sur ce match, il n’a pas été d’une grande aide, il a même créé de la confusion » , ricane Bruno Derrien. Et comment oublier les images incroyables de ce PSG-Lyon en janvier dernier, et de ce ballon sorti d’au moins un mètre récupéré par Rabiot sans que personne n’y voie rien, juste avant qu’il ne marque. Furieux, Aulas était descendu au vestiaire des arbitres à la mi-temps avec une photo de la phase de jeu sur son téléphone. Après le match, il commentait avec autant d’humour que de frustration : « J’ai essayé d’expliquer les choses, de faire un travail éducatif. J’ai amené l’image pour leur montrer l’erreur, mais l’arbitre n’a pas voulu la regarder, il a détourné les yeux. C’était sans doute trop dur à supporter pour celui qui a fait l’erreur.(…)On repart avec l’impression d’être cocu. » Les Français pourront se réconcilier avec eux en se souvenant que c’est un arbitre de surface qui a vu la main de Schweinsteiger en demies de l’Euro. Mais avec la goal-line technology et les débuts de la vidéo, Bruno Derrien est clair, « c’est la mort de l’arbitre de surface » . Pas sûr qu’il y ait grand monde pour pleurer à l’enterrement.
Par Alexandre Doskov
Propos de Bruno Derrien recueillis par AD