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Les années Sochaux d’Ivan Perišić
Si sa cuisse gauche tient bon, Ivan Perišić va donner des sueurs froides à Benjamin Pavard dimanche soir. De ses débuts à Split jusqu'à la finale du Mondial à Moscou, l'ailier croate est passé par Sochaux, à l'âge de seize ans. Récit de ces deux années dans le Doubs.
(Cet article est une réédition de celui que sofoot.com avait publié lors de l’Euro 2016)
En marchant sur la tête de Kyle Walker pour placer une aile de pigeon splendide, mercredi soir à Moscou, Ivan Perišić a fait basculer la demi-finale du Mondial Croatie-Angleterre en faveur des Vatreni. L’ailier était tellement euphorique après la qualification des siens qu’il a déclaré ceci : « Même si je n’ai pas joué, ces deux ans en France restent un excellent souvenir pour moi. » Car avant d’être un footballeur accompli de 29 ans sous les couleurs de l’Inter, le Croate a passé une partie de son adolescence dans le Doubs. Et il a l’air d’avoir apprécié.
Joindre les deux Doubs
« Ivan était venu faire un essai, en juillet 2006, rembobine Éric Hély, alors entraîneur de l’équipe réserve du FC Sochaux-Montbéliard. Ça s’était bien passé, à tel point qu’Alain Perrin, alors entraîneur de l’équipe professionnelle, a tout de suite remarqué qu’il avait un truc en plus. Il disait :« Mais nous n’avons pas ce genre de profil ! » » C’est Josip Skoblar, recruteur pour l’OM, qui a rencardé Sochaux, comme le club marseillais n’était pas intéressé. Jean-Claude Plessis, président du club sochalien, raconte : « On est allé le voir, chez lui en Croatie, à Split, et on n’a pas été déçus. » Enis Sadiković, membre de l’équipe marketing du club et traducteur de circonstance, est également du voyage : « On est allés chez lui pour le rencontrer, faire connaissance avec sa famille aussi. On était dans le restaurant d’un ami, au bord de l’eau, et au milieu de la conversation, Alain Perrin, alors entraîneur de la première, soumet l’idée qu’il prépare son sac directement et qu’il monte dans notre avion de dix places, juste après l’entretien. Lui et sa famille ont tout de suite été séduits par son discours. Ivan est venu avec nous. » Et ce, alors que d’autres clubs plus huppés comme le PSV, l’Ajax et Hambourg font également le forcing.
Problème, il est impossible de faire venir un joueur de 16 ans s’il n’a pas une attache territoriale. Jean-Claude Plessis promet alors à la maman Perišić un travail dans une entreprise partenaire si elle rejoint son fils. Proposition acceptée. Et quelque temps après, en compagnie de la petite sœur d’Ivan, elle pose donc ses valises dans le Doubs, laissant tout de même Ante Perišić, le père, et son élevage de poules, derrière eux. « Partir à Sochaux était la meilleure solution pour ma famille. Je voulais qu’ils s’éloignent de moi et de mes souffrances » , confiera le paternel au Slobodna Dalmacija, le journal local de Split, quelques années plus tard. Un choix autant sportif que stratégique. Ivan a beau avoir reçu l’aval de Josip Skoblar, il a beau connaître la réputation du club comme il l’a confié à l’intendant du club, Freddy Vandeckerkove – « Il me disait toujours qu’il pensait qu’on était un grand club parce qu’on avait réussi à battre 4-0 Dortmund » –, le choix de Sochaux est avant tout un moyen d’assurer son avenir.
0 match en pro
Les premiers essais sont concluants. L’intégration est bonne. L’acclimatation également : « Il était très proche de Birsa et Jokič, explique Freddy. Ils s’étaient rapprochées parce qu’ils viennent plus ou moins de la même région d’Europe. La femme de Valter était amie avec une amie d’Ivan d’ailleurs. Ivan n’était pas comme l’autre génération, la génération Playstation. Lui, il était vraiment très concentré sur le foot parce qu’il aimait ça, mais aussi parce qu’il se devait de réussir. Il me faisait penser un peu à Pedretti pour ça. Je sais qu’il aimait bien le basket aussi. Il était fan de la sélection croate, il suivait la NBA, il se levait la nuit ou enregistrait. » Bref, tout se met petit à petit en place, malgré une homologation de licence tardive. Malgré quelques lacunes au niveau physique, Ivan impressionne : « Peu après les premiers entraînements, les retours ont été vraiment positifs, confie Enis. Je me souviens qu’Éric Hély m’a dit que c’était le deuxième plus grand talent qu’il avait vu passer au club, après Jérémy Ménez. » Dès sa première saison, Perisić participe à la victoire en Gambardella (il était cependant suspendu en finale) et passe précocement chez les pros. Mais à partir de là, plus rien ne se déroulera comme prévu.
Francis Gillot, le remplaçant d’Alain Perrin parti à Lyon, ne lui fait pas confiance. Et pendant deux ans, Ivan campe avec la réserve. Encore aujourd’hui, Freddy cherche une explication : « C’était un cercle vicieux. Il était un peu en difficulté parce qu’il ne jouait pas, et le coach ne le prenait pas parce qu’il ruminait. Je l’ai pas mal conseillé à ce moment-là, pour lui dire de ne pas perdre espoir. Ça se voyait qu’il avait du talent, mais d’un entraîneur à un autre, le point de vue change. » Il est aussi et surtout éclipsé par deux autres talents, à savoir Ryad Boudebouz et Marvin Martin. « Ivan était un peu impatient, reprend Éric Hély, qui l’avait dans son équipe en CFA. Il voulait que les choses aillent plus vite, mais il était intermittent dans ses prestations… Cela pouvait m’agacer et je me suis parfois énervé contre lui, car il avait un talent fou et il était branché sur courant alternatif ! » Puisqu’il ne joue pas à Sochaux, le Croate demande à partir en prêt dans le championnat belge à Roulers, avant d’être transféré au Club Bruges. Sa carrière est lancée.
Rétrospectivement, Jean-Claude Plessis en a gros sur la patate : « J’étais en colère quand j’ai vu qu’on l’avait laissé partir. On n’a pas essayé de le valoriser, il est parti comme un joueur qui ne nous intéressait pas. Quand je vois ce qu’il fait aujourd’hui, c’est un vrai crève-cœur. Sochaux avait beaucoup investi sur lui. Et pas que financièrement. Le laisser partir, c’était une faute professionnelle. » Neuf ans plus tard, le FCSM est en Ligue 2, et Ivan Perišić a qualifié son pays pour la finale du Mondial. Soulever la Coupe du monde, ce serait grand. Soulever la Coupe du monde après avoir fêté ses dix-huit ans dans un établissement nocturne de Montbéliard, ça n’a pas de prix.
Par Ugo Bocchi, avec Florian Lefèvre
propos recueillis par Ugo Bocchi et Alexis Billebault