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Les années monégasques de Glenn Hoddle
Si Glenn Hoddle a enchanté Monaco et la D1, l'histoire aurait pu ne jamais avoir lieu. Pourtant, l'élégant meneur a passé des années mémorables, et fait une rencontre qui, selon lui, a changé sa vie : celle d'Arsène Wenger.
L’histoire de Glenn Hoddle dans le championnat de France n’aurait jamais dû s’écrire en rouge et blanc. Nous sommes en 1987, et après un transfert avorté au Napoli, celui qui a écrit sa légende avec Tottenham en inscrivant 110 buts en 490 matchs est à deux doigts de rejoindre le PSG de Gérard Houllier, comme il le raconte à Four Four Two : « J’avais déjà fait des recherches sur les écoles à Paris, mais à la dernière minute, Arsène Wenger, à Monaco, s’est renseigné sur moi. Personne ne connaissait alors Arsène, et j’ai dû regarder une carte pour savoir où se trouvait Monaco, mais mon instinct me disait que c’était la bonne destination. » La version originale, c’est Mark Hateley, son grand acolyte lors des années monégasques, qui la raconte dans les colonnes du Daily Mail : « J’étais à un entraînement de pré-saison, et Arsène me dit qu’il a désespérément besoin d’un milieu offensif. Je lui dit : « Pourquoi pas Glenn ? » Il me répond : « Mais il va au Paris Saint-Germain ? » Nous partagions le même agent et je savais qu’il n’avait pas encore signé, donc je l’ai dit à Arsène. » La suite ? « C’est le coup de fil le plus difficile que j’ai eu à passer au cours de ma carrière de footballeur, de dire à Gerard Houllier, l’entraîneur du PSG, que j’allais à Monaco » , se rappelle Hoddle.
« C’est quoi, un décrassage ? »
À Monaco, Hoddle, âgé de 29 ans, et Hateley, arrivé en provenance du Milan AC et de quatre ans son cadet, découvrent la belle vie. Soleil, plage, restaurants gastronomiques, mais aussi les méthodes d’entraînement un peu particulières de celui dont l’Angleterre n’a alors jamais entendu parler : « Je me souviens de mon premier entraînement avec lui. Il siffle la fin de la séance et je me dirige vers les vestiaires et il me dit : « Non Glenn, maintenant, c’est le décrassage. » Je me dis : « C’est quoi, un décrassage ? » J’avais passé 13 ans à Tottenham et je n’avais jamais fait un « décrassage ». Donc nous étions là, pendant 30 minutes de plus à s’étirer, encore et encore. Et à la fin, il y avait une barre de ballet sur laquelle nous devions poser un pied pour s’étirer. Vous pouvez imaginer. Les autres joueurs se roulaient par terre en se moquant de Mark et moi. (…) Mais après plusieurs mois, nous sommes tous les deux devenus plus souples, et avec un meilleur régime, j’étais alors plus en forme que je ne l’avais jamais été au cours de ma carrière. »
Bergkamp 1.0
Et cela se ressent sur le terrain. En championnat, l’ASM prend la tête dès la deuxième journée de la saison 1987-88, une place qu’ils ne lâcheront plus. Devant, les deux Anglais font des ravages. Hateley, qui finira cette saison troisième au classement des buteurs, seulement devancé par Papin et Patrice Garande, s’éclate avec 14 buts, quand Hoddle est le deuxième meilleur buteur de son club avec 8 pions. Surtout, Hoddle s’éclate dans un rôle d’électron libre concocté spécialement par Wenger : « C’était captivant de jouer pour lui. Il voulait que j’évolue juste derrière le buteur, qui était Mark Hateley. J’ai toujours pensé que c’était mon meilleur poste, mais je n’avais jamais vraiment joué là, que ce soit avec l’Angleterre ou durant mes meilleures années à Tottenham où je jouais à droite d’un milieu en losange avec Ricky Villa derrière moi. » En fait, Wenger voit directement le potentiel créatif de l’Anglais et lui confie un rôle similaire à celui qui fera plus tard briller un certain Dennis Bergkamp avec les Gunners.
Le choc des cultures
Mais voilà, pour la première fois, l’autoritarisme de Wenger doit se confronter aux codes britanniques. Un choc des cultures qui froisse forcément l’Alsacien, comme s’en rappelle Hoddle dans le Daily Mail : « Nous étions dans l’avion du retour après les matchs à l’extérieur et Mark et moi prenions une bière, comme en Angleterre. Je me souviens d’Arsène venant vers nous pour nous dire : « Vous ne pouvez pas boire de l’alcool après les matchs. » » Alors, pour contenter leurs estomacs vides et leurs esprits en recherche de décompression, les deux compères innovent : « Une fois rentrés à Monaco, nous allions dans un pub anglais qui s’appelaitThe Flag and Castlepour boire une ou deux mousses. Jamais plus, car nous savions que nous serions en train de courir le lendemain à 9 heures. Le dimanche était un jour off en Angleterre, mais c’était le jour du décrassage pour Arsène. »
Arsène, justement, n’est pas dupe et ne tarde pas à découvrir la supercherie. À la manière d’un Guy Roux dans son fief auxerrois, l’Alsacien a des oreilles partout : « Monaco était très petit, et Arsène en a entendu parler et nous a reparlé du fait de ne pas boire d’alcool après les matchs. Je lui ai expliqué que nous ne faisions pas la bringue. Je comprenais qu’il ne voulait pas qu’on le fasse devant les autres joueurs, mais c’était comme cela qu’on se relaxait après un match dans notre culture. Il m’a dit : « Bon, je ne peux pas vous en empêcher. » Mais j’étais effaré de voir que les joueurs français fumaient et je lui ai dit : « Vous savez qu’il y a des joueurs qui fument. » Arsène m’a répondu : « Ah, et bien, c’est la culture ici ! » »
Stage non conventionné
Au-delà des résultats, positifs, avec un titre de champion de D1 et une Coupe de France en 1991, et malgré une blessure au genou en 1990 qui le forcera à écourter sa carrière au plus haut niveau, Glenn Hoddle trouve à Monaco un mentor en la personne d’Arsène Wenger, le premier homme à voir en lui des talents d’entraîneur, comme il le raconte à Sky Sports : « J’avais 29 ans quand je suis arrivé et nous parlions de plein de choses, pas seulement de football. Il m’a vraiment aidé. Il a vu quelque chose en moi que je n’arrivais pas à voir moi-même. J’étais blessé au genou pour plus d’un an et c’est là où il a commencé à me dire : « J’ai vu des choses en toi. » J’ai passé presque une saison à regarder son travail avec un regard différent, voire ce que je ferais moi, et ce qu’Arsène essayait de faire pour préparer le match suivant. Cela a été comme un stage d’un an avant de retourner en Angleterre. » Et refermer ainsi l’une des plus belles pages de sa carrière.
Par Paul Piquard