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Les années foot de Michaël Dos Santos
Soupçonné ce mercredi d'être le deuxième bourreau français de l'État islamique, Michaël Dos Santos a, pendant deux ans et demi, fait partie d'une autre équipe : le CO Vincennes. Retour sur une courte carrière dans le Val-de-Marne qui a commencé loin de la Syrie, dans le Finistère.
Comme souvent, pour les déplacements qui valent le détour, cela se passe en bus. Comme souvent, au CO Vincennes, dans le Val-de-Marne, celui-ci est parqué devant la mairie et attend les ultimes retardataires. Sur le grand parvis, les arbres sont en fleurs. Le printemps 2005 bat son plein et les U13 du COV sont tout excités. Le dernier marmot arrivé, en sueur, le chauffeur peut mettre le cap sur la Bretagne, direction le Finistère et plus précisément Plomelin. C’est dans ce petit coin de France que se dispute chaque année le Mondial Pupilles, un tournoi international où se croisent les meilleures équipes d’Europe. Dans l’autocar, la génération 1992 déconne. Blagues potaches et éclats de rire rythment les déplacements d’une équipe brillante dont un membre de l’équipe garde un souvenir impérissable : « On ne faisait que rigoler. Parfois, c’était un peu compliqué pour les éducateurs, mais en même temps, tu en connais beaucoup des jeunes d’équipes de foot qui ne font pas les cons dans un car ? » Au beau fixe, l’ambiance permet à la mayonnaise de prendre. On a beau approcher de la fin de saison, ce tournoi est le premier pour certains membres de l’équipe. Parmi eux, un super portier. Un certain Riffi Mandanda. Juste devant lui jouera le nouveau défenseur central : Michaël Dos Santos. « Il était peut-être moins brailleur que certains d’entre nous, mais pour un premier voyage, il rigolait beaucoup. Et surtout, on a vite compris qu’il regardait tout le temps des films sur son portable. Au fur et à mesure du temps, il est devenu le type derrière avec qui il fallait se mettre pour regarder un bout de film. » Un vidéo-club ambulant donc, mais surtout le patron de la défense. Aujourd’hui, Michaël Dos Santos, l’ancien coéquipier, fait la une de tous les quotidiens après avoir été identifié comme le deuxième bourreau français du groupe État islamique, se filmant en train d’exécuter des prisonniers syriens, dont l’Américain Peter Kassig. « Ce matin, j’ai eu un ancien partenaire au téléphone, il me dit qu’il avait vu la photo de Michael sur internet. On était choqués » , dit par téléphone cet ancien partenaire.
« Il était l’archétype de l’enfant portugais, bien éduqué »
Les pieds sortis du bus et les crampons posés sur les vertes pelouses bretonnes, l’adaptation sociale cède sa place à l’adaptation sportive. Si l’Île-de-France grouille de joueurs de talent, Michaël possède des qualités qui lui permettent de vite se faire une place dans sa nouvelle équipe. Son ancien coach, Tony Cesar, se rappelle un gamin très doué : « C’était l’un des meilleurs. Déjà, à ce tournoi, il faisait partie des trois qui tenaient l’équipe. C’était vraiment un bon joueur de foot. Techniquement doté, mais surtout très vif et très rapide. Il n’avait pas les dribbles de Yacine (Brahimi, lui aussi passé par le club, ndlr), mais c’était un très bon joueur. » Un élément suffisamment costaud pour se faire une place au soleil au sein d’une génération 1992 très douée et pour s’ouvrir les portes de la sélection du Val-de-Marne. Repositionné au poste de milieu droit la saison suivante, Michaël joue en 14 Fédéraux et évolue souvent sous les yeux de son père. « Je connaissais son papa, mais je n’ai jamais vu sa mère, se rappelle Tony. Pour moi, d’origine portugaise, il était l’archétype de l’enfant portugais, bien éduqué. J’avais le sentiment d’avoir reçu la même éducation, celle qui te pousse à ne jamais faire trop de bruit auprès des autres. Il nous respectait, il était très poli et très respectueux avec nous, les éducateurs, mais il n’hésitait pas à déconner avec les rigolos de l’équipe. » Pas le dernier à rire, son ancien coéquipier abonde dans ce sens : « La vérité, c’est qu’il était plutôt drôle dans son genre. Il avait toujours ses petites blagues à lui. » « On avait un duo de tarés à l’époque, se remémore Tony Cesar. Il aimait bien les suivre dans leurs conneries. Il se faisait un peu engrainer. Pichenettes, claques derrière la tête, baisser les joggings des autres pendant l’entraînement, tout ça. Ça le faisait marrer. Moi aussi, d’ailleurs. Mais tu voyais bien que c’était moins naturel que les autres. Qu’il était plus introverti. »
« Dans le coin, on disait qu’il partait en sucette »
Chez les jeunes, le football amateur est comme une grande colonie de vacances. Il est ainsi fait que les années passent et les destins suivent leurs cours, en laissant parfois certains éléments sur le carreau. Pas assez bon pour embrasser les pas des professionnels, Michaël Dos Santos ne disparaît pas seulement du stade Leo Lagrange. Après deux ans et demi passés du côté de la route de la pyramide, le gamin de Champigny se fait de plus en plus rare dans un coin de la région parisienne où les nouvelles vont vite. « Si je me souviens aussi bien de lui, c’est parce qu’il est l’un des rares dont je n’ai pas eu de nouvelles, que ce soit directement ou par bouche à oreille » , tranche Tony Cesar. Même son de cloche chez son ancien coéquipier : « Au fur et à mesure du temps, on a perdu contact. J’ai d’abord eu des échos, puis il y a eu des « on dit ». Dans le coin, on disait qu’il partait en sucette, qu’il était parti dans un mauvais délire. Pourtant, au foot, il était net. Il est parti en live après ça. Mais de là à faire la une du 20 heures… » Oui, si Arnaud Souquet, membre de cette génération 92, a crevé l’écran un soir de Ligue Europa avec le LOSC pendant que Riffi tente de suivre les pas de son grand frère Steve, c’est au tour de Michaël Dos Santos, leur ancien coéquipier, de faire la une de tous les quotidiens, pour des raisons bien plus sinistres.
Un gamin influençable
Une surprise pour tous les membres du club, évidemment, même si du côté de Vincennes, Michaël n’a pas étonné que par sa conduite de balle et pour ses vannes. « Au fond, c’était un gamin réservé. Pour lui, le foot était un exutoire, mais il était de nature timide, à la limite de l’introverti. Au stade, on l’a déjà vu en tenue religieuse et à cette époque, il avait déjà émis l’idée de se convertir à l’islam, raconte Tony. L’ambiance d’un vestiaire est telle qu’il y en a qui le chambraient, qui lui disaient que c’était une période, une lubie. Lui disait « non, non, c’est raisonnable, c’est une religion qui tient la route ». Il avait déjà tout un raisonnement dans sa tête. Mais à ce moment-là, impossible de penser qu’il allait se radicaliser. Par contre, tu te disais que potentiellement, ce gamin était influençable. » Un gamin qui était aperçu de temps en temps, dans le Val-de-Marne, la barbe s’épaississant, avant de prendre un virage définitif. « Il a certainement dû faire de mauvaises rencontres par la suite. Pour moi, il était quelqu’un qui allait potentiellement se réfugier dans la religion, vivre renfermé sur lui. Tu sentais qu’il avait envie de faire partie d’un groupe, de se trouver une identité. J’imagine qu’à une autre échelle que celle d’un vestiaire, des blagues, si tu n’as pas la force de caractère suffisante pour résister, tu peux vite perdre. » Une défaite bien plus lourde que celle du CO Vincennes au Mondial Pupilles.
Tous propos recueillis par Swann Borsellino.
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