- CDM 2019
- Bilan du premier tour
« Les Américaines font tout mieux et plus vite que les autres »
Des audiences record, des stades – presque – pleins, la Coupe du monde organisée en France est pour l’instant un succès médiatique et populaire. Sur le terrain, peu de surprises : les Américaines ont déroulé et les Françaises ont assuré l’essentiel. Bilan du premier tour avec Patrice Lair (ex-entraîneur de l’OL et du PSG), Sarah M’Barek (ex-internationale), Olivier Echoufani (entraîneur du PSG et ex-sélectionneur de l’équipe de France) et Natalia Astrain (ex-coach de l’Atlético de Madrid et du FC Barcelone).
Le niveau général du premier tour
Natalia Astrain : Le niveau est très bon.
Une des choses qui m’enchantent le plus dans cette compétition est le niveau des gardiennes. Les portières de football ont longtemps été critiquées, et durant ce Mondial, elles font taire certaines personnes. Par exemple, Christiane Endler (gardienne de but de la sélection chilienne et du PSG, N.D.L.R) a été à un niveau exceptionnel.
Sarah M’Barek : Je trouve que globalement, on est en progrès, même si cela reste assez hétérogène. Il y a toujours deux niveaux dans une Coupe du monde : les cinq ou six meilleures sélections et les autres. Je trouve que les nations africaines sont la bonne surprise, notamment le Nigeria et le Cameroun. Pour les autres, c’est toujours compliqué. Si ton championnat national n’est pas top, tu découvres la compétition et c’est difficile. Après, j’ai bien aimé les matchs de la poule de l’Australie, du Brésil et de l’Italie.
Olivier Echouafni : Il y a un bel engouement, surtout autour de l’équipe de France, c’est très chaleureux, coloré, plein de fraîcheur avec des gens dont on sent qu’ils découvrent le football féminin. Quand on voit les équipes en 8es, toutes les favorites se sont qualifiées, certaines facilement, d’autres avec des parcours un peu plus sinueux. Le Cameroun et le Nigeria sont là. On ne s’attendait pas forcément à leur qualification même si cela s’est joué à un but ou deux au goal average. La déception, c’est peut-être la Nouvelle-Zélande. Patrice Lair : Sur la compétition, je ne peux pas vous dire grand-chose parce que je ne regarde pas beaucoup les autres sélections. Je ne suis vraiment pas impressionné par le niveau de jeu. Si l’équipe de France a le bonheur de passer contre les USA, une grande partie du chemin sera fait. D’après les informations que j’ai, la sélection américaine est très puissante et il n’y a pas spécialement une autre sélection qui se démarque.
L’équipe de France
SM : On s’est dit qu’elle avait très bien commencé, puis on a relativisé la performance contre la Corée du Sud qui était effectivement plus faible qu’on ne le pensait. C’était équilibré contre la Norvège dans un match assez prévisible. Et le dernier, face au Nigeria, j’ai été déçue par le contenu, mais il reste quand même la victoire. C’était le genre de troisième match classique quand tu es déjà qualifié. Corinne Diacre a fait des rotations pour préserver certaines joueuses, donc forcément, ça manquait d’automatismes.
PL :
Techniquement, c’est moyen, surtout le milieu de terrain, excepté Amandine Henry qui est une joueuse régulière. Elise Bussaglia a du mal physiquement et n’est pas dans son registre avec beaucoup de déchet. Gaëtane Thiney n’apporte pas assez offensivement aussi bien au niveau de l’efficacité que des solutions. En attaque, il y a des choses intéressantes, cependant la dernière passe est souvent limite et ne permet donc pas à la France de faire la différence. En défense, la charnière centrale est très solide. C’est surtout au niveau des relations au milieu de terrain où il va falloir montrer autre chose pour mettre en difficulté les équipes adverses.
SM : Comme beaucoup, je reste un peu sur ma faim, on n’arrive pas à développer notre jeu comme on le faisait dans les matchs de préparation. On se demande un peu où est passé ce fonds de jeu. Après, je pense que ce sera complètement différent à partir des 8es. Parce que la France n’aura plus le droit à l’erreur. Se faire éliminer sans avoir beaucoup montré sur le fond serait vraiment une source de frustration et de déception.
OE : Sur la sélection, je vais être bref : je les trouve plutôt sereines. Elles sont qualifiées, et le boulot est fait. Maintenant, c’est une autre compétition qui débute.
NA : La France a l’avantage de jouer à la maison. Cependant, j’en attends un peu plus de leur part. C’est une sélection qui progresse bien depuis quelques années. J’adore Amandine Henry et Eugénie Le Sommer. Ce sont des joueuses spéciales. Henry est la meilleure « 6 » du monde. J’aimerais qu’elles aillent loin dans cette compétition pour qu’elles soient récompensées du travail de fond effectué en France, notamment à l’Olympique lyonnais.
Est-ce que les USA restent les favorites ?
OE : Elles sont impressionnantes, surtout physiquement,
elles en imposent, elles contrôlent toutes les situations, on sent qu’elles cherchent toujours à décider du cours du match. Dans leur jeu, tout est clair, c’est limpide. Elles font tout mieux et plus vite que les autres. Dans les transitions, par exemple à la perte de balle, elles sont capables de répéter des courses à très haute intensité pour se replacer et récupérer le ballon. L’Allemagne, sans être géniale, n’est pas à effacer. Ensuite, les Pays-Bas que j’ai bien aimés contre le Canada, un match avec beaucoup d’intensité et de rythme. Ensuite, l’Angleterre. Avec la France, ce sont pour moi les quatre ou cinq sélections qu’on devrait retrouver en demies.
PL : Le problème des Américaines est qu’elles se sentent toujours beaucoup plus fortes que les autres et j’espère qu’à un moment donné, l’équipe de France, si elle les rencontre, aura l’intelligence et surtout la qualité de les remettre en place, c’est-à-dire de les empêcher d’aller chercher un nouveau titre mondial et pourquoi pas de s’offrir une première Coupe du monde.
SM : J’ai toujours pensé que les Anglaises étaient plus fortes, qu’elles avaient plus de variété dans leur jeu. Les Américaines sont toujours très confiantes, mais je trouve leur jeu un peu stéréotypé. Elle sont dans l’efficacité et développe des schémas de jeu très précis. C’est leur force : la répétition des phases de jeu, mais si elles sont bousculées dans leur maîtrise de ces circuits, je ne sais pas comment elle vont réagir. Et je ne suis pas sûre qu’elles puissent répondre à une équipe capable de dérégler leur belle machine.
NA : Oui, ce sont les favorites. L’Allemagne fait également partie des grandes, sans jouer de manière flamboyante, elles parviennent toujours à obtenir des résultats. Les Pays-Bas font également partie de mes favoris, j’aime bien ce qu’elles proposent comme football. Je pense que l’Angleterre va monter en puissance et ira loin dans cette compétition. Et enfin pour le Japon, finaliste il y a quatre ans, l’objectif est plutôt de bien se préparer pour les Jeux olympiques qu’ils organisent l’année prochaine. Ils ont beaucoup renouvelé leur effectif et leur sélection. Ils vont à la Coupe du monde pour en quelque sorte tâter le terrain, même si leur jeu est resté cohérent.
La bonne surprise
OE : L’Italie, qui affiche beaucoup de solidarité, une force collective quelques fois brillante avec beaucoup de compensation. Ce sont des battantes, mais pas seulement, il y a beaucoup de talents.
SM : Oui, moi aussi, l’Italie, notamment la joueuse Valentina Giacinti. Ce n’est pas vraiment une découverte, parce que dans le passé, le championnat italien était l’un des plus relevés, mais c’est une bonne surprise de les voir revenir à ce niveau en sélection.
Émergence d’une identité de football féminin
SM : Même s’il y a beaucoup de similitudes avec les garçons, pour moi, ce sont deux sports différents. J’ai entraîné les garçons et les filles, ce n’est pas tout à fait la même discipline. On est forcément amené à comparer parce que ce sont le même terrain et le même ballon, contrairement à d’autres sports comme le basket-ball ou le handball où la balle est plus petite et légère.
OE : Elles ont encore beaucoup de choses à intégrer, dans la tactique, les déplacements et l’orientation du jeu, mais c’est ce qui est intéressant. J’ai l’impression que les garçons savent tout, alors que les filles ont un appétit et une envie d’apprendre. C’est cette volonté qui peut créer cette identité.
Propos recueillis par Lola Février et Joachim Barbier