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Les 50 joueurs qui ont écrit l’histoire du Sporting Bastia (3e)
De l'épopée européenne de 1978 au renouveau du Sporting avec Frédéric Hantz, en passant par la victoire en Coupe de France 1981 et les garçons bouchers des années 1990, honneur aux 50 Turchini qui ont marqué l'histoire du Sporting Club de Bastia.
#3 - Pierre Bianconi
Bombes agricoles qui éclatent sur la pelouse, projectiles qui volent et bagarres en tribune. Ce mercredi 8 avril 1992, l’OGC Nice reçoit le Sporting Bastia dans un match qui sent le soufre. Ce rendez-vous face au rival méditerranéen, aucun supporter corse ne voulait le manquer. La SNCM avait même affrété un navire spécialement pour acheminer les Turchini sur la Côte d’Azur. Entre les supporters venus de Bastia, du reste de l’île et les étudiants expatriés à Nice, ils sont entre 5000 et 10 000 massés dans le stade du Ray à soutenir le Sporting Étoile Club Bastia.
Typiquement le genre d’ambiance qui galvanise Pierre Bianconi, le défenseur et capitaine du Sporting. Fidèle à sa réputation de gladiateur, Bianconi souffle à la nuque de son vis-à-vis Pierre Morice et sort le sécateur sur son côté droit. Grâce aux exploits de son gardien Bruno Valencony, Bastia s’impose 1-0. Les supporters bastiais envahissent la pelouse. L’un d’entre eux se fait matraquer par un CRS. Pierre Bianconi a vu la scène, ni une ni deux, le Corse traverse le terrain et lance un coup de pied terrible au CRS, qui tombe K-O. Oui, Pierre Bianconi poussait la notion de défenseur un peu plus loin que ses pairs.
Pierrot le fou
Il y aurait tant d’anecdotes folles à raconter sur « Pierrot » . Le jour où, sous le maillot cannois, il se frotte à la star de Toulouse Beto Márcico, lors d’un match amical, gifle l’Argentin, se fait expulser, déchire le carton rouge au nez de l’arbitre avant d’adresser à ce dernier un coup de boule. Le jour où, à la demande des supporters bastiais, qui trouvaient qu’un joueur noir de Rodez se prenait pour une tête de Maure avec son bandeau dans les cheveux (sic), Bianconi tente d’arracher le bandeau et finit par coucher le joueur en question d’un coup de poing. Le jour où, lors d’un match entre la sélection de Corse et la Juventus organisé en faveur des victimes du drame de Furiani, le Bastiais fait du petit bois avec les chevilles de Roberto Baggio. Un fait d’armes qui lui vaudra d’ailleurs le surnom de « mini Tyson » . Sauf que Bianconi n’était pas qu’un gros dur qui foutait la frousse à ses adversaires pour ses tacles glissés sur 30 mètres.
« Moi, ce qui me plaisait, c’était sa vitesse ! C’était une fusée ! » , lâche Jean-Marie Maroselli, membre fondateur du groupe de supporters Testa Mora 92. « C’était un joueur hors norme, avec des qualités athlétiques impressionnantes. Dans le style, ça serait Roberto Carlos » , s’emballe le frère de Pierre – la crinière blonde la plus célèbre de la D1 des années 90. Paul Pierinelli, lui, a grandi avec Pierre Bianconi dans le quartier populaire bastiais de Lupino – « il habitait au troisième et moi au quatrième » . Ensemble, ils ont fait le mur de Furiani pour aller voir la grande équipe du Sporting à la fin des années 1970. Les deux potes ont évidemment tapé le foot sur le goudron. « Je me rappelle qu’il avait souvent les genoux esquintés par les gravillons, et il n’avait jamais mal. Il était dur comme du béton. Petit de taille, mais costaud, des muscles naturels, un gaillard. » Repéré à l’Étoile filante bastiaise, le club de son oncle, Bianconi intègre l’INF Vichy. « Il était rapide et puissant, il aurait pu être champion de France du 100m, lâche Frédéric Antonetti, qui l’a côtoyé à Vichy, le Clairefontaine de l’époque. Avec le recul de mes années d’entraîneur, je me dis que c’était un joueur de niveau Ligue des champions. »
« Ce soir, à la 75e, je mets un tacle assassin »
Ni grands clubs ni équipe de France, en vérité, Bianconi enchaîne Bastia, Besançon, Cannes, Nîmes et autant de passages marqués par des cartons rouges et un caractère entier qui peut vite le faire dégoupiller. « À Cannes, je me souviens quand on mangeait ensemble après les matchs que le grand Rudi Krol – double finaliste du Mondial avec la Hollande – lui disait : « Pierrot, je comprends pas. Calme-toi, j’ai jamais vu un joueur de ton niveau, tu peux aller jouer dans un grand club » » , relate l’ami d’enfance Paul Pierinelli. Après un retour à Bastia, les qualités du bonhomme sautent aux yeux de Francis Borelli. À l’été 1987, Bianconi file à Paris. Un an plus tard, une empoignade avec le coach parisien, Tomislav Ivić, signe la fin de son aventure parisienne. Un gâchis ? Certes, mais Pierre Bianconi a-t-il jamais voulu de cette grande carrière qui lui était promise ? « Il ne vivait que pour ses enfants, ses deux filles, c’était sa vie. Des fois, il cherchait l’expulsion, il disait : « Ce soir, à la 75e, je mets un tacle assassin, je me fais expulser, et je peux rentrer trois jours en Corse » » , confie un proche.
Pierre Bianconi n’a jamais brillé en première division avec le Sporting, mais il reste encore aujourd’hui des drapeaux à son effigie à Furiani. Bastia l’adulait. C’était un taureau sur le terrain, le premier à donner son maillot, son short et ses chaussettes aux supporters à la fin des matchs. Entier, jusqu’au bout. Derrière les coups de sang du gladiateur dans l’arène, ses amis décrivent un homme « réservé » , pas très à l’aise avec la notoriété, « avec le cœur sur la main » . Le 5 mai 1992, Pierre Bianconi était l’un des premiers à secourir les victimes quand la tribune nord de Furiani s’est effondrée. Puis, il a pris soin d’aller voir les blessés hospitalisés. Il est resté au club après le drame avant de mettre un terme à sa carrière à l’intersaison 1993. Militant nationaliste revendiqué, il a disparu le 29 décembre 1993 à l’âge de 31 ans. Subitement. Sa voiture a été retrouvée sur le port de Bastia quelque jours plus tard , et c’est tout. Sa disparition reste encore aujourd’hui un mystère absolu. Une affaire classée par la justice. Mais à Bastia, personne n’a oublié Pierre Bianconi.
Tous propos recueillis par FL
Par Florian Lefèvre