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Les 50 joueurs qui ont écrit l’histoire de l’OM (1er) : Jean-Pierre Papin
Plus de 300 matchs, 184 buts, cinq titres de meilleur buteur consécutifs, quatre championnats, une Coupe de France, une finale de Ligue des champions, un Ballon d’or. Voilà ce que Jean-Pierre Papin a accompli en six ans à l'Olympique de Marseille. En 1986, lorsqu'il débarque timidement de Belgique chez le quinzième de Ligue 1, en même temps que Bernard Tapie, JPP ne se doute pas qu'il repartira d'un des meilleurs clubs d'Europe avec le statut de superstar de son sport. Entretien repris de volée avec l'attaquant le plus spontané de l'histoire de l'OM.
#1 - Jean-Pierre Papin
Ça fait quoi d’être le joueur français à avoir claqué le plus de bises à François Mitterrand ?
(Rires) C’est un très bon souvenir. Ce sont des choses indescriptibles, ça fait tout bizarre, parce qu’on ne l’a pas prévu. Bon, la première fois, à l’occasion de la finale de la Coupe de France 1989, c’était un peu prévu parce que ça venait d’un pari un peu bête. On s’était retrouvé avec quelques coéquipiers deux ou trois jours avant le match au Maracanã, le restaurant qui se situait sous la tribune du stade Vélodrome. On était en détente, on avait déjà remporté le championnat, et en déconnant, je dis : « Si on gagne, j’embrasse le président sur le front. » En fait, quand je me suis retrouvé devant lui, il en imposait tellement que je me suis un peu dégonflé et je lui ai poliment demandé si je pouvais lui faire la bise. Il a accepté. Tandis que deux ans plus tard, c’est lui qui a fait le premier pas en quelque sorte (rires). Cette fois-ci, on avait perdu la finale, j’avais la tête basse, je m’avance pour lui serrer la main et il me dit : « Il n’y a pas que quand tu gagnes que tu as le droit à une bise. »
Gaëtan Huard disait que lors de la saison 1988-1989, et plus particulièrement à l’approche de la finale, le groupe se sentait invincible. C’était votre sentiment ?
On ne se croyait pas invincible, car on ne l’était pas, mais on se sentait très forts, c’est sûr. On était très fatigués parce que ça avait été une saison éprouvante, entre le championnat et le long parcours en Coupe. Ce n’était pas le match de trop, mais on arrivait vraiment au bout. On avait déjà remporté le championnat, et cette finale était un bonus. On ne saisissait pas complètement la grandeur de la chose si on réalisait le doublé, une première depuis 1973. Mais quand on arrive au Parc des Princes et qu’on voit le stade entièrement en bleu et blanc, on comprend l’importance de ce qui allait se passer si on gagnait. Surtout que le public marseillais adore la Coupe de France. Après, ce jour-là, pendant le match, j’inscris un triplé, et c’est vrai que je suis sur un nuage.
Vous avez carrément été sur un nuage pendant cinq ans. À chaque fois meilleur buteur, tout rentrait, dans toutes les positions. Comment expliquer cette réussite ?
Autour de moi, j’avais des joueurs chaque année de plus en plus forts. Et puis, sinon, c’est vraiment du travail. Ce n’est pas de la langue de bois quand je dis ça. Je faisais énormément de rab à l’entraînement. Je travaillais mes points forts sans relâche quitte à laisser mes points faibles de côté. Du coup, quand je me retrouvais devant le but, je ne me posais même pas la question, c’était ce que je faisais tous les jours des centaines de fois. C’était devenu naturel. Avec Alain Casanova, je restais longtemps le soir à l’entraînement pour répéter mes gammes. Pendant trois ans, il a accepté de se faire canarder tous les jours. Il était à la fois second gardien de l’OM et mon entraîneur personnel (rires). Mais surtout, c’était un ami, et c’était ça le plus important.
C’est pour ça que vous lui dédiez votre Ballon d’or en 1991 ?
Complètement. Parce que j’en ai connu des gardiens dans ma carrière, mais seulement lui a accepté absolument tous les jours de m’entraîner. Même quand c’est moi qui avais un petit coup de moins bien, c’est lui qui insistait pour qu’on y aille quand même. Alors je lui ai dédié le Ballon d’or, parce que vraiment il y avait une grosse partie que je lui devais.
Qu’est-ce que vous ressentez au moment où vous présentez ce Ballon d’or au Vélodrome ?
C’est magique, parce que je le dois un peu à eux aussi. En plus cette année-là, on perd la C1 en finale, alors j’ai un peu l’impression de leur offrir un trophée, même si c’est loin d’être la même chose. Je suis le seul à l’avoir fait en France, et quand on sait ce que représente le foot à Marseille, c’est particulier. J’ai vraiment eu l’impression ce jour-là qu’ils étaient très fiers. Je l’étais aussi bien sûr, mais le fait de les rendre fiers, eux, ça n’a pas de prix.
Vous avez le sentiment de ne pas être autant estimé que les autres lauréats français ?
Non, sincèrement pas. Un Ballon d’or reste un Ballon d’or, qu’on l’ait gagné au Real Madrid, à la Juventus ou à Marseille. Après, c’est juste une histoire de communication et de médias. Avant moi, Platini à la Juve méritait par exemple amplement ses Ballons d’or. Mais après moi, le Ballon d’or est devenu autre chose. C’est devenu une sorte de show télévisé, avec tous les acteurs du football mondial. Une chose que je regrette, c’est qu’il n’y ait pas un Ballon d’argent et un Ballon de bronze aussi. C’est hyper frustrant, quand on fait partie des trois meilleurs joueurs du monde, de ne pas avoir une véritable distinction.
Votre histoire avec Marseille a failli ne jamais commencer. En 1986, avant le Mondial, vous aviez signé un pré-contrat avec Monaco. Qu’est-ce qui vous a convaincu de finalement rejoindre l’OM ?
C’est Bernard Tapie. Il a été très convaincant avec un vrai projet. Mais aujourd’hui encore, je ne sais toujours pas comment il a fait pour me faire venir à Marseille, alors que j’étais déjà engagé à Monaco. Je crois qu’il y avait un vice de forme dans le contrat, et il a réussi à s’engouffrer dans la brèche d’une manière ou d’une autre. Et puis, moi, à l’époque, mon objectif, c’était de revenir dans mon pays. Comment regretter aujourd’hui que les choses se soient passées comme ça ?
Jeune, vous n’étiez pas forcément supporter ou sympathisant de l’OM ?
J’ai découvert l’OM à l’occasion d’un soir de Coupe d’Europe, un Marseille-Ajax au début des années 70. Mais bon, quand on est jeune, on est très ouvert, on cherche les infos, on ne sait pas trop qui on va aimer. Donc forcément, à mon époque, le premier club que j’ai vraiment supporté, c’est Saint-Étienne. En 1976, Saint-Étienne, c’est l’équipe de la France. Ce Saint-Étienne avait tous les ingrédients qui pouvaient attirer les jeunes fans de foot : le succès, le beau jeu. Quand on est petit, on est sensible à tout ce qui est exploit. Et là, c’était tout le temps ça, c’était un truc de fou. Des remontadas à tous les tours de Coupe d’Europe (rires).
Avant toutes ces belles années à Marseille, il y a eu une saison beaucoup plus compliquée, avec des critiques dures. Comment l’avez-vous surmontée ?
C’est vrai, je suis très jeune et j’arrive d’un championnat étranger. Je suis à des années-lumière de savoir ce qu’il faut faire pour être très performant au plus haut niveau. Il me fallait cette année d’adaptation. Les critiques font partie du jeu, il faut savoir assumer quand on est bon et quand on ne l’est pas. La chance que j’ai eue, c’est que j’avais autour de moi des grands joueurs. Je pense à Alain Giresse qui m’a appris beaucoup à ce moment-là. C’était comme un grand frère, il savait parler aux jeunes. Ses conseils pour bien gérer sa carrière et devenir un vrai professionnel étaient très précieux. Il m’a donné une approche que je ne connaissais pas. Il m’a fait comprendre que pour durer, il fallait faire des efforts. Je n’ai pas écouté avec beaucoup de monde, mais avec lui j’ai écouté.
À partir de là, vous faites de l’OM un grand de France. Mais le club peine encore à s’imposer en Europe. Quand a eu lieu le déclic ?
Je pense que le déclic, c’est le Marseille-Ajax en demi-finale de Coupe des coupes en 1988. On a eu une campagne européenne cette année-là qui n’a pas spécialement été compliquée. Mais, en demi-finale, là où ça commence à être important, on joue contre les gros. On joue l’Ajax, on perd 3-0 chez nous. On n’a pas encore la grande équipe de l’OM, mais après on se parle beaucoup, on fait le bilan, et au match retour on va gagner 2-1 là-bas. De ce match-là, il est ressorti quelque chose de très fort. Derrière on est champion, on fait la Ligue des champions et contre les gros, on n’avait plus de complexes.
L’ère Tapie est sujette à beaucoup de fantasmes. Où se situe la part de vérité et que faut-il retenir de son passage à l’OM ?
Pour moi, il n’y a que les titres à retenir de l’ère Tapie. C’est un président qui est arrivé dans un club qui n’avait pas gagné depuis dix ans et derrière tu enchaînes avec six trophées, et trois demi-finales de Coupe d’Europe. L’histoire de Marseille de ma génération, c’est l’histoire du PSG aujourd’hui. C’est la même. En revanche, ce qui est dommage, c’est qu’on n’ait pas pu affronter cette équipe aujourd’hui (rires).
Avec qui vous avez pris le plus de plaisir à jouer ?
Il y a deux choses. Celui qui m’a le plus impressionné, je pense que c’est Dragan Stojković. Malheureusement, nous n’avons pas joué beaucoup ensemble, parce qu’il a été énormément blessé au genou. Mais celui avec qui je m’entendais le mieux, c’était Chris (Waddle, ndlr). Parce que la connexion s’était faite de suite lors de son arrivée. Pratiquement personne ne parlait anglais et il est venu habiter deux mois à la maison. Il y avait de l’affinité, on a appris à se connaître. On était de très, très bons amis. Et ça se ressentait sur le terrain, on adorait jouer ensemble.
En six ans à Marseille, avec tous les titres et les buts marqués, quel est votre meilleur souvenir ?
La finale de Coupe de France contre l’AS Monaco. Après, c’est compliqué.
Tu me demandes un seul souvenir, mais je pense qu’à Marseille, c’est dur de n’en retenir qu’un. Moi, ce que je retiens de Marseille, ce sont les six ans, où tu arrives jeune joueur professionnel et tu repars en star. Et je pense qu’on n’est pas beaucoup à l’avoir fait à Marseille. Il y a Josip (Skoblar), Magnusson, Chris (Waddle), Klaus (Allofs), et il y a moi. J’en oublie d’autres, sûrement. À partir du moment où Tapie est arrivé à Marseille, il a bâti une équipe de plus en plus forte chaque année et capable d’aller de plus en plus loin en Coupe d’Europe. Et d’ailleurs on l’a gagnée.
Et le pire souvenir, c’est l’élimination contre Benfica en 1990, ou la défaite en finale en 1991 ?
La finale contre l’Étoile rouge, indéniablement. Après, bien sûr, il y a ce but de la main de Vata en 1990. Mais ce n’est pas le but de la main qu’il faut blâmer. On doit gagner 6-1 chez nous et on ne gagne que 2-1. Seulement ce jour-là, les poteaux, il y en a eu trois, c’est le manque d’efficacité. Eux, ils ont juste un corner et une occasion derrière. Après tu prends un but de la main que personne n’a vu finalement. Moi, je ne l’ai même pas vu, je ne l’ai vu qu’à la télé après. Le football, ça se joue toujours à des détails. En ce qui me concerne, c’est encore plus dur en 1991 bien évidemment, car c’est le seul match où on n’a pas vraiment joué du tournoi, et c’est le seul match qu’on a perdu.
Comment expliquer cet échec ?
On était peut-être supérieurs, mais de pas grand-chose. Quand tu regardes l’équipe de l’Étoile rouge, il y avait de gros, gros joueurs. Simplement, je pense qu’on s’est vu beaux, on s’est vu champions d’Europe avant. En cherchant à annihiler cette équipe, on s’est annihilé nous-mêmes. On a trois ou quatre occasions quand même. Mais là aussi, quand tu as des occasions dans ce genre de matchs et que tu ne les mets pas, à un moment tu le paies cash. Mais, c’est aussi ça le football. On pense qu’on est meilleur, et je pense qu’on l’était, mais parfois les meilleurs ne gagnent pas toujours.
Beaucoup de gens pensent que l’équipe de Marseille de 1991 était plus forte que celle de 1993 qui a remporté la C1. Vous êtes d’accord avec ça ?
Moi, je pense que l’équipe la plus forte de l’OM, c’était en 1990. Je pense que sur tous les points, on était plus forts. C’est juste mon ressenti. Moi, je le vois comme ça, après sur les résultats, ça ne se voit pas spécialement. Cette équipe-là était aussi championne. Et le Marseille-Benfica où on gagne 2-1 est pour moi le plus grand match de Ligue des champions que j’ai joué à l’OM. Mais ça n’a pas été suffisant.
Aujourd’hui, avec le recul, vous regrettez votre départ à l’AC Milan, juste avant la victoire de l’OM en C1 ?
On ne peut pas regretter. S’il n’y avait pas des choix à faire, ce serait facile de parler. Non, je ne regrette pas. En revanche, ça m’a particulièrement fait chier de jouer contre mes anciens coéquipiers en finale. Je suis parti parce que j’avais peur de ne pas faire aussi bien que ce que j’avais fait avant. Et j’étais curieux de connaître les grands clubs italiens. Ça faisait deux ans que le Milan me faisait de l’œil. J’ai fait un choix et je ne le regrette pas. C’est la vie d’une carrière.
Quelle part occupe l’OM dans votre vie aujourd’hui ?
Que des souvenirs, car je ne partage rien avec le club sur ce qu’il se passe aujourd’hui. Alors je ne peux vivre que de souvenirs. J’aime aller dans ce stade, j’aime aller dans cette ville. J’y ai construit une grande partie de moi.
L’année dernière, on vous annonçait avec insistance de retour dans l’organigramme du club. Jusqu’où sont allés les contacts ?
Que des annonces. Les contacts sont restés à l’état de pourparlers.
C’est encore dans un coin de votre tête de revenir au club ?
À voir.
Même si vous ne faites pas partie de l’équipe de 93, on vous a classé premier de ce top. Vous avez l’impression d’être le joueur le plus emblématique de l’OM ?
Vous savez, le livre de l’OM, c’est comme un dictionnaire. C’est un club qui a une grande histoire, où il y a de très, très grands joueurs qui sont passés. Après, je pense que dans ma génération, cette place est méritée parce que j’ai fait beaucoup de sacrifices. J’ai écrit ma page, même si je ne l’ai pas fait seul, et j’ai le sentiment d’avoir fait les choses comme il le fallait. Voilà, moi j’ai fait ma part du travail. Après, je pense que si l’on faisait le même classement il y a vingt ans, ce serait Josip Skoblar à ma place. En tout cas, c’est quelque chose qui me rend très fier, car j’ai aimé cette ville et j’ai aimé ses supporters.
Propos recueillis par Kevin Charnay, avec Steven Oliveira