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Les 50 joueurs qui ont écrit l’histoire de l’AS Monaco (1er)
Plus que des buts, des titres ou des records, Delio Onnis et l'AS Monaco, c'est avant tout une grande et belle histoire d'amour. Entretien avec la légende qui se classe premier du Top 50 Monaco.
#1 - Delio Onnis
Enfant, vous aviez une idole ?
Oui, j’ai une idole, mais on ne connaît pas ce joueur ici. Un avant-centre argentin qui s’appelait Luis Artime. Il était dans le même style que moi, il marquait beaucoup de buts et j’ai eu l’occasion de le connaître, mais c’était mon idole bien avant ça. Il a joué à River Plate, mais aussi dans un petit club, le CA Atlanta. C’est là que j’allais le voir jouer.
Avant d’arriver en France, vous aviez déjà une petite réputation dans le championnat argentin ?
J’étais dans les meilleurs buteurs, avec Bianchi. J’étais un peu connu au bout de trois ans parce que je marquais quelques buts dans un petit club comme Gimnasia. Beaucoup de clubs de première division me voulaient : Boca, River et compagnie.
Vous choisissez finalement le Stade de Reims, où vous passez deux saisons avant de vous engager avec l’AS Monaco. Vous vous souvenez des circonstances ?
Très bien. Déjà, à mon arrivée en France, je ne parlais pas un mot de français. Mais j’avais un pied-noir qui parlait espagnol dans mon équipe, Robert Rico. Et puis je logeais dans l’hôtel qui appartenait à Raymond Kopa, je parlais souvent avec lui.
Mais le soir, je dépensais tout mon pognon dans le téléphone pour appeler en Argentine (rires). Et donc, après deux années à Reims, le coach a dû prendre une décision par rapport au nombre d’étrangers. Nous étions quatre étrangers et il n’y avait de la place que pour trois. Il y avait Bianchi, Laraignée… On a fait toute la préparation ensemble avec Bianchi. Mais au bout de trois ou quatre matchs de championnat, je suis parti à Monaco. L’entraîneur nous a alignés ensemble pour la Coupe des Alpes et les matchs amicaux, mais pas en championnat. Il fallait prendre une décision. Monaco venait de monter en première division et cherchait un avant-centre. Ils m’ont choisi, je n’ai pas hésité. Avec Reims, j’étais venu jouer à Monaco. J’aimais beaucoup la région. J’avais envoyé une carte postale à mes parents où je leur disais que si jamais un jour Monaco me voulait, j’irais à pied. Je l’ai toujours la carte postale, en Argentine.
En 1974, vous jouez une première finale de Coupe de France avec Monaco.
C’était contre Saint-Étienne au Parc des Princes. On perd 2-1. On s’est fait voler, évidemment. Nous, on n’était rien. Je marque un but, on revient à 2-1, on aurait dû égaliser toute la vie, mais bon. C’était une joie quand même. On était un club qui se battait pour ne pas descendre. On venait de se sauver à la dernière journée. C’était un match fou où Reims ne jouait plus rien, décontracté. Nous, on avait la peur au ventre. Ils ont joué pour nous fracasser, nous marquer beaucoup de buts et on a profité de l’espace qu’ils laissaient. Il fallait marquer trois buts pour se sauver. Parce que quand on marquait trois buts à l’époque, ça donnait un point de bonus. Reims menait largement, ils se sont laissés aller un peu, c’était un match décousu à la fin. C’était une des plus belles défaites de ma vie (Reims l’a emporté 8-4, ndlr) car on a sauvé notre peau. Alors jouer la finale de la Coupe derrière, c’était pas mal, même si on perd. En plus, on se qualifie pour la Coupe des coupes parce que Saint-Étienne est aussi champion.
Lors de la saison 1975-1976, à la veille d’un Monaco-Nice, Vlado Marković, alors coach de Nice, déclare : « Delio Onnis ? Je ne le voudrais pas dans mon équipe, même pour un empire ! »
Oui, il a dit ça. Je me souviens très bien. Imagine-toi, comment je peux ne pas me souvenir de ça ? Mais je le comprends quand même. Il avait un avant-centre extraordinaire, un très bon joueur de ballon et grand buteur : Bjeković. Malheureusement pour lui, j’étais inspiré ce match-là. On gagne 4-1 et je marque les quatre buts. Mais je n’étais pas particulièrement motivé. Pas plus qu’un autre match.
Cette même année, vous descendez en seconde division.
C’était très, très dur. Des matchs au couteau. Ce n’était pas comme la seconde division d’aujourd’hui. C’était vraiment la guerre, on ne savait pas trop où on allait, mais on a quand même réussi à remonter tout de suite. On me chambrait parce que je ne mettais que des buts dans la surface. Un jour, on jouait contre un club qui a disparu (US Tavaux-Damparys, ndlr). J’ai annoncé avant le match : « OK, aujourd’hui, je vais marquer en dehors de la surface… » Je me suis vengé de mes amis et ennemis qui me chambraient. Mais j’ai annoncé d’autres choses !
Oui, avant le début de la saison 1977-1978, vous faites un rêve…
Ça se passe comme ça. Le tirage au sort nous donne un match à Bastia pour l’ouverture de la saison. On fait la sieste, le quatre heures… On part pour Furiani, tous les mauvais élèves sont au fond du bus, comme d’habitude. Je dis : « Écoutez les gars, pendant la sieste, j’ai rêvé qu’on allait gagner les cinq premiers matchs de championnat. » Ils m’ont regardé un peu : « Celui-là… » Mais ce n’était pas un mensonge, je l’avais vraiment rêvé. C’était un gros calendrier en plus et puis, pour un club qui montait, il n’y avait pas de petit match. Aller gagner à Bastia, c’était un exploit. Après, Reims, Bordeaux… Et pour être champion, on gagne aussi les cinq derniers matchs de la saison. Dernier match, contre Bastia encore. Le grand Bastia : Johnny Rep, Felix et compagnie. On menait 2-0, je rate un penalty et ils reviennent à 2-1… On savait que Nantes battait Nice 6-1 et passait devant à la différence de buts en cas de nul. Ouh là là… C’était une belle histoire.
On a toujours cru en nous, mais je n’ai cru au titre qu’au coup de sifflet final contre Bastia. Imagine-toi, il fallait gagner les cinq derniers matchs, on ne pouvait être sûr de rien. Je pense que c’est le plus grand moment de ma carrière. Tu me fais choisir entre gagner le championnat et une Coupe de France, je choisis le championnat, toute ma vie. Parce que tu bats toutes les équipes de première division. En Coupe, tu tombes contre n’importe qui, c’est « n’importe quoi » . Enfin n’importe quoi, tu vois ce que je veux dire. Et je préférais aussi le championnat à la Coupe d’Europe. Pour nous, ça n’existait pas la Coupe d’Europe. Maintenant, il y a tellement d’argent en jeu, ça a changé. De toute façon, moi, je m’en foutais du nom de la compétition, je voulais jouer chaque match et le gagner. Parfois, j’entends l’expression « match de coupe » , je l’encaisse, j’écoute. Un match, c’est un match, c’est tout. « Oui, mais tu vas pas comparer une finale de Ligue des champions entre la Juventus et le Real avec un match de championnat… » Évidemment, je ne suis pas con à ce point-là. Mais, en général, un match est un match, il faut les gagner tous.
Monaco a toujours marqué des buts avec vous dans les années 1970. La révolution de 1978, c’est la défense ?
Il y a quelques jours, j’en ai parlé avec Rolland Courbis. On a mangé ensemble. C’est la grande vision ou chance des dirigeants de l’AS Monaco, dont monsieur Campora. Parce que faire venir Vitalis, Rolland, Gardon, Moizan…
Moizan, il était inconnu au bataillon, il venait de seconde division. Vitalis aussi. Ils sont devenus ce qu’ils sont devenus : de très grands joueurs. Même s’ils n’ont pas touché la sélection, on s’en fout de ça. Dans cette année-là, on avait le petit Chaussin dont personne ne parle, Michel Rouquette. Il ne faut pas toujours parler d’Onnis parce qu’il a marqué le but. C’est important. L’effectif était court, on a fait la saison avec treize joueurs. Ettori faisait des miracles à tous les matchs ! Je crois qu’on était un des plus beaux champions de l’histoire de Monaco. Entre le Monaco qui vient de gagner cette année et celui de 1978, il y a photo, il y a match. Je pense qu’on n’était pas loin d’eux.
Quel est le défenseur le plus difficile à jouer que vous ayez rencontré ?
Celui qui m’a fait chier le plus, c’est un Yougoslave qui jouait à Sochaux. Il s’appelait Laszlo Seleš. Ce n’est pas juste qu’il donnait des coups parce que pour ça, j’ai eu d’autres clients avec qui je suis devenu ami. Lui, il était fort de la tête, difficile à passer en un contre un, il savait jouer au ballon. Lui et Oswaldo Piazza.
Et le joueur avec qui vous avez préféré jouer ?
Il y en a eu quelques-uns, mais celui qui me connaissait le plus, c’était Christian Dalger. Il me faisait des passes et des centres millimétriques, comme un fusil avec la lunette, tu sais ! Albert Emon m’a beaucoup aidé aussi. Je parle des attaquants bien sûr, ceux qui jouaient devant avec moi, mais les milieux comptent aussi. Ce n’est pas politique, je le pense vraiment. J’aimerais remercier tous mes ex-partenaires qui m’ont aidé à marquer tous ces buts. Sans eux, je n’aurais pas pu, je le ressens vraiment. J’ai de la reconnaissance pour eux. Et puis le public de mes quatre clubs. Tout le monde connaît mon histoire avec Monaco, j’habite ici, mais je n’oublie pas les autres qui ont aussi été merveilleux avec moi. Qu’est-ce que je peux dire de plus que ça ? Les partenaires et les supporters.
Vous avez joué avec un Argentin un peu oublié parce qu’il n’était pas présent dans une des périodes fastes du club : Omar Pastoriza. Il paraît qu’il était extraordinaire.
C’était un peu plus qu’extraordinaire. C’était incroyable ! Un très grand joueur de ballon, un numéro dix. J’ai eu la chance de jouer avec lui trois ans, tout comme j’ai eu la chance de jouer avec Jeannot Petit, Christian Dalger…
Quel est l’entraîneur qui vous a le plus marqué à Monaco ?
J’ai peur de vexer quelqu’un, mais je vais le dire quand même : monsieur Banide. J’aimais comment il travaillait et c’était un bon bonhomme, droit. C’était le meilleur. Je veux en profiter pour lui envoyer un petit bonjour. Bonjour Gérard !
Avec Gérard Banide justement, il y a cette victoire en finale de Coupe de France contre Orléans en 1980, et ce but rusé sur un coup franc…
Légal, valable ! C’était l’époque où on pouvait tirer les coups francs rapidement. Ce que je sais, c’est que je n’étais pas content de ce match. J’étais catastrophique, j’aurais dû marquer trois, quatre ou cinq buts. J’étais mal. Heureusement qu’on a gagné. J’étais vraiment pas bon, comme d’habitude. Mais il y en a un qui est rentré quand même.
Si vous ne deviez retenir qu’un but, ce serait lequel ?
C’était le dernier match de championnat en deuxième division, dans les forges, comment il s’appelait ce club ? Gueugnon ! Il fallait gagner pour assurer la montée. Pluie battante, la boue jusqu’aux chevilles… Catastrophique, on ne pouvait pas jouer. 90e ou 91e minute, il y a une balle là, qui ne sait pas où aller, à droite, à gauche, il tapait à l’un, il tapait à l’autre… Ça me revient et pim, je mets un pointu et ça va dedans. C’était le but le plus moche de ma vie, mais c’était l’un des plus importants.
Après votre carrière de joueur, vous avez longtemps travaillé en tant que recruteur pour l’AS Monaco.
Le problème, c’est qu’il y a eu beaucoup de coupures. Au début, on m’écoutait avec monsieur Campora. J’ai ramené Gallardo… Mais on ne m’a pas souvent écouté. Tévez, Mascherano… « Non, c’est trop cher. » Higuaín ! Mon Dieu, mon Dieu… Un jour, on m’a dit : « Oui, mais il n’a fait que six matchs en première division… » Mais c’est là qu’il faut le recruter ! Après, évidemment, on me dit : « Qui est-ce que t’as ramené, toi ? » Les bons, vous ne les avez pas pris !
Ça ne vous fait pas un pincement au cœur de ne plus travailler au sein de l’AS Monaco ? Vu votre attachement au club et ce que vous représentez dans son histoire, ça aurait du sens de vous voir dans un rôle d’ambassadeur.
Oui. J’ai été invité à voir Marseille-Monaco en Coupe de France, il y a quelques mois. J’ai vu Boli se balader, il salue les invités… Je me disais : « Tiens, c’est vraiment bien ce qu’ils font Marseille. » Je ne serais peut-être pas le seul à mériter ça, mais je rêverais d’être l’ambassadeur de l’AS Monaco.
Propos recueillis par Christophe Depincé