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Les 10 dates de Julio Grondona
Julio Grondona, président de la Fédération argentine et vice-président de la FIFA, s'est éteint hier, à 82 ans, sur une table d'opération d'un hôpital de Buenos Aires. En 35 ans à la tête de l'AFA, celui qu'on appelait « Don Julio » a tout connu, et tout décidé. Les sélections, les joueurs, l'arbitrage, la violence, les retransmissions télé, les journalistes, les hommes politiques, les dérapages, les accusations, puis la mort. Tout, sauf la prison. Retour en 10 dates sur la vie du Parrain du football argentin.
18 septembre 1931, Avellaneda
Il est évidemment descendant d’Italiens, évidemment d’une famille génoise. Né dans la banlieue sud de Buenos Aires, à Avellaneda, Julio Grondona est un fils d’immigré : aîné d’une tribu de six frères et sœurs, mère au foyer, père qui tient une quincaillerie avec son ami, la « ferreteria Lombardi-Grondona » , inaugurée en 1923. Dans ce quartier ouvrier proche du port, Julio Grondona apprend à tenir un livre de compte avec son père, et à jouer au football sur les terrains vagues. Il n’est pas encore « Don Julio » , mais se comporte comme tel. « J’étais un 10 avec un peu de talent et assez fainéant qui n’aimait pas du tout courir, confiera-t-il plus tard. Chaque fois qu’on me mettait une passe un peu longue, j’insultais mes camarades. En plus, je fumais et je buvais. » À 20 ans, alors qu’il est dans la troisième année de ses études d’ingénieur, il abandonne tout. Son père subit une attaque cardiaque, Julio est le fils aîné et ne déconne pas avec la famille : il reprend la quincaillerie. L’employée Nélida Pariani deviendra la seule femme de sa vie, et Julio Grondona ne vivra jamais ailleurs qu’à Sarandi.
11 janvier 56, création d’Arsenal de Sarandi
Julio Grondona a 24 ans. Avec un groupe d’amis, ceux avec lesquels il va au bar, Grondona fonde le club de football de l’Arsenal de Sarandi, dont il prend immédiatement les commandes. Julio est pour la première fois président de quelque chose, et ne cessera de l’être pendant les 58 années suivantes. À la question de savoir s’il avait créé Arsenal, un club qui restera longtemps sans supporter et sans tribune, parce qu’il aimait son quartier ou parce qu’il aimait diriger, Julio Grondona répondait en montrant les poings. « Tous les week-ends, on se cognait dessus comme à la guerre, et après, moi, je me retrouvais derrière le guichet, à la quincaillerie, à devoir servir le type avec lequel on s’était tapé dessus. Ça ne pouvait pas continuer comme ça, alors j’ai proposé aux gars de nous affilier à l’AFA, et on s’est inscrit en « Aficionados », la plus basse division. » 56 ans plus tard, en 2012, Arsenal sera pour la première fois champion d’Argentine. Le président ? Julio Ricardo Grondona, le fils.
1969 : Premier dérapage
Les polémiques, ce fut la vie de Julio Grondona. Polémiques politiques, polémiques avec Maradona, polémiques avec les journalistes, accusations de corruption, de blanchiment d’argent, de fraude électorale, suspicions de clientélisme. Le président de l’AFA a trop été attaqué pour ne pas aimer le combat, l’heure où l’ennemi frappe à la porte et où il faut sortir l’arme sous le bras. Le dernier scandale en date remonte à seulement quelques semaines avant sa mort, au Brésil, quand éclate une affaire de revente illégale de places portant le sigle de l’AFA et le nom d’un de ses fils, Humberto Grondona. Mais c’est en 1969 que Don Julio goûte le sang pour la première fois, quand il est suspendu pendant un an par la FIFA pour avoir frappé un arbitre, Filaccione. Des remords ? Pas de remords. « J’ai purgé mon année comme il convenait : je suis allé au stade comme un petit monsieur, sans utiliser mon abonnement et en payant l’entrée. »
1973 : l’enlèvement du fils
À la fin d’un entraînement d’Arsenal, des hommes sortent en courant d’une auto, et posent l’acier de leurs flingues sur la tête d’Humberto Grondona, 14 ans. L’adolescent est séquestré pendant neuf jours, le temps de mener les négociations pour le montant et la remise de la rançon. Qui est aux manettes ? Julio Grondona lui-même, le Parrain, celui qui ne délègue rien à personne dans son travail, encore moins quand il s’agit de son fils. L’année suivante, il encaisse le coup : rupture d’anévrisme qui le loupe de peu. Il arrête de fumer.
16 avril 1979 : le président de la dictature
L’Argentine est championne du monde, l’Argentine connaît les heures les plus sombres d’une dictature violente qui traque ses adversaires la nuit, les torture et les largue par hélicoptère dans le Rio de la Plata. Le 16 avril 1979, Carlos Lacoste, le militaire qui avait organisé la Coupe du monde 1978, nomme Grondona à la tête de la Fédération. Il est le président de la dictature. Une tâche brune dont Don Julio se défendra jusqu’à la fin, répétant la même formule : « Ce sont les clubs qui m’ont élu, pas l’amiral Lacoste. » Cette année-là, Grondona prend donc ses quartiers au 1366 rue Viamonte, où il se rendra chaque jour pendant 35 ans entre 15h et 16h, dans son bureau du troisième étage sans ordinateur, sans internet, et qu’il quittera comme il l’avait annoncé un jour : « De l’AFA, on ne me sortira que les pieds devant. » Il fut réélu six fois, et un seul homme osa s’opposer à lui, en 1995 : l’arbitre Teodoro Nitti. Sa candidature reçut un vote.
1983 : le refus de la politique
Au cours de sa présidence à la Fédération argentine, Julio Grondona a connu 15 présidents, 4 monnaies différentes, d’innombrables dévaluations, 9 Coupes du monde, 3 papes. En Argentine, très peu de choses ont échappé à Grondona. Il connaissait les journalistes, les chefs d’entreprises, les présidents, les voisins de son quartier, les juges et toutes les personnes qui, un jour, ont croisé son chemin. Il était taillé pour la politique argentine, ses scandales, ses crises, ses clientélismes. Il aurait pu être le grand caudillo, il a dit non. Affilié au Parti radical, il refuse la proposition du parti qui, au retour de la démocratie en 1983, lui offre le poste de gouverneur d’Avellaneda. « Je n’échange l’AFA pour rien au monde » , répond-il. Pas candidat, Grondona saura en revanche naviguer avec les hommes politiques de tout bord. Celui qui a admis avoir voté l’ultra-libéral Menem en 1995, comme Maradona, comprit il y a quelques années son intérêt de s’associer à l’État Kirchner pour nationaliser les retransmissions télé. « Futbol Para Todos » . « Le foot pour tous » . Et toujours avec Grondona.
Coupe du monde 1986 : Grondona sélectionneur ?
Il se disait une chose en Argentine : le sélectionneur propose, Grondona décide. En 1986, le président de la Fédération fait le forcing pour maintenir à son poste Carlos Bilardo, attaqué de toute part. Coïncidence ou non, Bilardo veut emmener Sabella, Grondona souhaite Bochini : c’est Bochini qui part. Au Mexique, Grondona est dans le stade pour voir Maradona marquer le but du siècle, et fête le titre de « son » Argentine. Pendant son règne, Grondona aura connu 10 sélectionneurs – proche de Pékerman, haï cordialement par Marcelo Bielsa – et le football argentin son âge d’or : la Coupe du monde 86, deux finales en 90 et 2014, deux médailles d’or aux J.O 2004 et 2008, les Copa América 91 et 93, et six championnats du monde des – de 20 ans. En 2006, le Grafico a posé une question à Julio Grondona. Y a-t-il un joueur que vous avez voulu emmener au Mondial et qui n’y soit pas allé ? « Non. Si un joueur me plaît et que je le dis, et que l’entraîneur, pour démontrer sa supposée autorité, ne l’emmène pas, je crois que ce n’est pas bien. »
1988 : nomination à la vice-présidence de la FIFA
Julio Grondona ne savait parler qu’une seule langue, la sienne, l’espagnol, il a été mêlé à de multiples affaires, il est tombé dans une fontaine du château de Versailles lors d’une réunion de la FIFA, il détestait les Anglais (déclarant lors de l’élection du pays organisateur de la Coupe du monde 2018 : « Je n’ai jamais rien demandé de ma vie. Mais aux Anglais, si je l’ai fait. Je leur ai dit: « C’est bientôt la fin. Vous avez mon vote si vous me rendez les Malouines, qui nous appartiennent. » » ), et pourtant Julio Grondona a été vice-président de la FIFA pendant 26 ans. Pourquoi ? Parce qu’il a été l’homme le plus proche de João Havelange, puis de Joseph Blatter. Les rois se reconnaissent entre eux.
2003 : Julio, l’idiot
En 35 ans, Julio la grande gueule a beaucoup parlé, et dit pas mal de conneries. La plus moche d’entre elles, en 2003 : « Les juifs ne parviennent pas à être arbitres en première division argentine parce que le monde du football est quelque chose de difficile, de travailleur, et que les juifs n’aiment pas les choses difficiles. »
30 juillet 2014 : la fin
Pendant de très longues années, Julio Grondona a fièrement porté, à l’annulaire de sa main gauche, une bague en or sur laquelle était inscrite sa devise : « Todo pasa » . Tout passe. Il n’y avait pas plus concis et pas plus juste pour définir le boss du football argentin. Pendant 35 ans, tout est passé par lui. Les décisions importantes, les décisions moins importantes. Tous sont venus dans son bureau de la rue Viamonte, où Julio Grondona recevait les mains croisées. « Il avait le style des caudillos, confiait il y a quelques années un dirigeant de Boca, anonymement bien entendu. Grondona, il t’accueille et te dit : « Qu’est-ce qui se passe ? Je vais régler ça, je vais t’aider. » Après tu as une dette envers lui, tu es dépendant, c’est comme ça qu’il a construit son pouvoir. » Comme le fils d’une famille génoise devenu Parrain. Sous son commandement, la Fédération a été perquisitionnée à plus de 30 reprises. La justice l’a eu dans son viseur jusqu’à hier soir. Des hommes politiques, des journalistes ont passé leur carrière à essayer de le faire tomber. Il est mort sans tomber. Tout passe. Même Julio Grondona.
Par Pierre Boisson