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L’équipe de France de foot-fauteuil à la conquête de la Coupe du monde
Bras croisés, polo rouge sur le dos, jogging à trois bandes, cheveux poivre et sel : sur le bord de la touche, Bernard Berthouloux, 56 ans, ressemble à des milliers d’entraîneurs et d’éducateurs qui sévissent chaque week-end partout dans l’Hexagone. Ses poulains n’utilisent pourtant pas leurs pompes de foot pour planter des pions, mais le châssis de leurs chaises roulantes. Depuis 2008, le coach breton a pris en main l’équipe de France de foot-fauteuil, et le moins qu’on puisse dire, c’est que Bernard s’en sort plutôt pas mal. Depuis 2014 et leur sacre en Irlande face aux Anglais, les Bleus sont champions d’Europe en titre de la spécialité. Eh ouais, Didier…
Le 7 mai dernier, du côté de Bernard et de la salle omnisports du Moustoir, c’est plutôt la soupe à la grimace juste avant l’heure du déjeuner. Championne de France en 2013, l’Association sportive Lorient Foot-Fauteuil, l’équipe que le coach a créée en 1995 et reprise cette année, galère dans les bas-fonds de la première division. « C’est une catastrophe ce match, on le gagne certes, mais c’est notre plus mauvais de la saison. On n’a pas le droit de jouer comme ça » , reproche-t-il à ses protégés. Ne vous méprenez pas, les Merlus viennent, pourtant, de l’emporter 1-0 face à Douai…
Cruyff, Denoueix, Suaudeau…
Pour le technicien morbihannais marchant dans les traces que Christian Gourcuff, l’important n’est pas forcément le résultat, c’est surtout le plaisir de créer du jeu. Quoi de plus normal pour ce quinqua biberonné à la vista de Johann Cruyff… « C’était mon idole. C’était vraiment plaisant de voir évoluer la grande Ajax, les Pays-Bas de 1974. Tout le monde faisait le boulot pour l’ensemble. Il m’a donné ce goût du jeu vers l’avant. Moi, je n’aime pas fermer. Comme l’a dit Pelé, le football, c’est marquer plus de buts que l’adversaire » , philosophe le tacticien également influencé par les Canaris de Raynald Denoueix et de Coco Suaudeau.
Pour élaborer son jeu, Bernard mise donc, à l’instar de ses mentors, sur la rapidité et les déplacements pour désarçonner ses opposants. Un plaisir pour Anthony Bastien, attaquant lorientais déjà sélectionné en Bleus. « Ce week-end, il y a des gens qui vont venir découvrir le foot-fauteuil, c’est important de proposer un jeu de qualité pour populariser notre sport. Il veut jouer à une touche de balle. Et puis, il a de l’imagination, dans les exercices. Cette année, on n’est pas assez pour faire des oppositions à l’entraînement, il va trouver des jeux pour pallier ce défaut, remplacer ces petits matchs. Durant les séances vidéo, il nous apprend aussi à jouer sans le ballon. Ça fait des années qu’il coache, ce n’est pas un hasard s’il est sélectionneur » , argue-t-il, un maillot du PSG sur le dos.
Plus loin, Franck Crouillère, directeur sportif du foot-fauteuil à la Fédération, acquiesce : « C’est pour son amour du beau jeu que j’ai nommé Bernard en 2008 en tant qu’entraîneur national. Il était adjoint du sélectionneur précédent. C’était le plus à même de reprendre l’équipe. Il a aussi un très bon relationnel auprès de la majorité des joueurs en France. J’ai été séduit par tout cela. »
« À 15 ans, je voulais bosser avec les personnes handicapées »
Blessé au dos en 1977 par une « frappe de mule » d’Yvon Le Roux (champion d’Europe avec les Bleus en 84), Bernard a vu ses rêves de carrière pro s’évaporer lors d’un match de détection à 17 ans avec le Stade brestois. Le menhir breton avait eu la sale idée de lui fracturer une vertèbre… Véridique. Comme beaucoup, Bernard s’est donc rabattu vers le coaching. Comme une évidence, il a choisi de s’investir dans le handisport. « J’ai passé un BEP sanitaire et social dès la troisième, à 15 ans je savais que je voulais bosser avec les personnes handicapées. Cela fait 36 ans maintenant que je travaille avec eux. »
Expérimenté, très proche de ses joueurs, l’entraîneur lorientais n’hésite pourtant pas à brusquer ses poulains. Pas question de les ménager. Lors des regroupements en équipe de France, le rythme est intensif : 6 heures par jour d’entraînement pendant une semaine. « Ils sont venus pour faire du foot, alors je leur fais rapidement comprendre que sur un terrain, le handicap, c’est terminé. Il est important de rappeler que si on veut s’améliorer, il faut être exigent, travailler, répéter des choses. C’est aussi comme ça qu’on arrive à normaliser le handicap. » Pas question non plus pour Bernard, qui a déjà vu dans sa carrière des gars débarquer sur le terrain après une soirée arrosée, de prendre des trublions qui pourraient foutre le souk. Les joueurs et les membres de son staff sont choisis, aussi, en fonction de leur mentalité. « Les gars sont très pros. Je sais qu’à la place de Didier Deschamps, je n’aurais jamais pris Benzema. »
Un objectif : le titre de champion du monde
Les Bleus devront mettre le paquet dans les prochains mois jusqu’en 2017, date de la prochaine Coupe du monde. Un challenge d’autant plus intéressant que la compétition se déroulera chez les Américains, les tenants du titre. Vice-champions en 2007, troisièmes en 2011, les Français et leur gardien de but Sylvain Malard espèrent cette fois empocher le trophée sous l’égide de leur entraîneur. « Le niveau est plus élevé avec l’équipe de France. Bernard nous apporte son expérience, sa vision du jeu… Je suis sûr qu’avec lui, on peut aller décrocher la Coupe du monde, il y a moyen. »
(Vidéo Jérôme Durand alias « Pika » )
Mais plus que les lignes du palmarès, c’est l’aventure humaine que retiendra Bernard de toutes ses années passées à entraîner. « En Irlande, quand on avait été champions d’Europe, on était 15 jours tous ensemble, on avait un groupe fabuleux. J’ai rencontré des gens formidables. Je pense notamment à Jérôme Durand champion d’Europe en 2014. Il était décédé juste après la compétition. Jérôme était parti jouer aux États-Unis grâce à son sport. Même handicapé, tu peux avoir des belles opportunités dans la vie. Le foot-fauteuil leur permet ça. »
Par Jacques Besnard