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L’épopée du Maroc lors de la Coupe du Monde 1970

Chérif Ghemmour
L’épopée du Maroc lors de la Coupe du Monde 1970

Au Mexique 1970, la présence des Lions de l’Atlas a redonné tout son sens aux mots « coupe du Monde », en dignes représentants du continent africain. Dans les cœurs, mais aussi sur le terrain, ils ont magnifiquement rendu à la compétition-reine sa vocation universaliste.

On l’oublie trop souvent mais le meilleur buteur de l’histoire de la Coupe du monde est marocain… Just Fontaine est né le 18 août 1933 à Marrakech. Lol ! Ceci-dit, Justo entrainera bien les Lions de l’Atlas (1979-81), avec à la clé une troisième place à la CAN 1980. Dix ans le plus tôt, la sélection marocaine disputait le Mundial 70, devenant le deuxième pays africain à y concourir après l’Egypte en 1934. Mais comme à l’époque la quasi totalité de l’Afrique était sous colonisation européenne, la présence du Maroc au Mexique peut bien être considérée comme une véritable « première » .

Rabat-Mexico, via Marseille !

En 1970, la longue marche du football africain, semée d’embûches, posait un jalon historique. Après les indépendances du Continent Noir (fin des années 50 et début des années 60) qui actent réellement la première participation de ses nations aux qualifs du Mondial chilien 1962, le Maroc, sorti vainqueur de la Zone Afrique, doit affronter en barrage un pays européen. Et c’est la grande Espagne de Di Stefano et Gento… Les Lions de l’Atlas s’inclinent 1-0 à Casablanca puis 3-2 à Madrid lors du match retour. Pas mal pour une fédé marocaine créée en 1956, un an après l’indépendance du Royaume chérifien, et affiliée à la Fifa en 1959. Mieux ! Le Maroc dispute les JO de Tokyo 1964. Mais sans y briller… Arrivent le Mondial 1966 et le boycott massif des pays africains qui protestent contre le système de qualifs qui ne réserve qu’une unique place en coupe du monde à trois confédérations réunies, l’Asie, l’Afrique et Océanie ! Il faut dire que la Fifa est présidée par l’Anglais Sir Stanley Rous aux convictions très « ethno-centrées » . En plus de son soutien à l’Apartheid sud-africain, il justifie le refus d’accorder une place automatique aux sélections africaines au motif que leur niveau « est trop faible au plan international ». Et comment progresser si elles ne peuvent pas se mesurer aux plus grands ? Mais l’Afrique obtient gain de cause pour le Mundial 70 et c’est le Maroc qui va la représenter après une autre très « longue marche » de qualifs de novembre 1968 à novembre 1969. Les héritiers du grand Larbi Ben Barek qui, lui, avait joué pour la France, ont d’abord sorti le Sénégal (1-0, 1-2 et 2-0 en math d’appui), puis la Tunisie par tirage au sort à la suite de trois matchs nuls : 0-0, 0-0 et 2-2 en match d’appui à Marseille ! Enfin, les Lions ont écarté le Soudan et le Nigeria en tournoi final. « C’était un sentiment incroyable parce que c’était la première fois que le Maroc se qualifiait pour la coupe du monde », se souviendra Allal Ben-Kassou, le grand gardien des Lions durant treize ans.

Hassan II, le Roi Lion

Avant le tirage de janvier 70, le Maroc fait savoir qu’il refusera d’affronter Israël pour motifs politiques comme il l’avait déjà fait pour les JO de 68, laissant la place libre pour le Ghana. La Fifa agira dans ce sens avec des chapeaux qui conduiront Israël dans le Groupe 1 et le Maroc dans le Groupe 4, avec la RFA (vice-championne du monde 1966), le Pérou et la Bulgarie. Du très lourd ! Seuls 19 joueurs sont appelés au Mexique. Ils sont « officiellement » coachés par un géant yougoslave, Blagoje Vidinic, ancien gardien de but, 1 m 98, 36 ans, gros fumeur, médaillé d’or aux JO 1960 puis passé par des clubs US (L.A, San Diego, St-Louis). Officiellement, car au Maroc, lorsqu’il s’agit de foot le Roi Hassan II n’est jamais très loin… Despote très éclairé en matière de ballon rond, le souverain chérifien, fan incognito du Wydad des années 50, fondateur de la fédé marocaine avant de créer lui même le club royal des FAR de Rabat en 1958, a instrumentalisé le football en en faisant un vecteur d’unité de son jeune pays. Pareille subordination du football au pouvoir politique est alors observable avec le FLN en Algérie, le président Nkrumah au Ghana ou avec Mobutu et ses Léopards du Zaïre ! Hassan II intervient à l’africaine ! Pour So Foot (décembre 2017), un ancien international marocain avait témoigné anonymement : « Sur le banc de l’équipe nationale, il y avait un téléphone et un standardiste, chargé de prendre les appels du Roi et de transmettre ses consignes au coach ou aux joueurs ». Ou bien cette fois où le King himself avait débarqué à la fin d’un entraînement des Lions de l’Atlas : « Il a exigé que l’on pratique quelques minutes avec des minerves, car il trouvait qu’on jouait trop en regardant nos pieds pendant les matches. »

« La RFA, c’était comme Goliath »

Le Groupe 4 joue à l’Estadio Nou Camp de León et c’est la Mannschaft en entrée ! Saïd Ghandi, 22 ans et grand milieu offensif du Raja Casablanca, avait raconté le complexe légitime de l’équipe marocaine :« La RFA, c’était comme Goliath. Ils avaient des stars comme Franz Beckenbauer, Gerd Müller ou Sepp Maier ». La presse allemande pronostique une balade de santé pour une RFA coachée par Helmut « casquette » Schön. Après tout, en matchs amicaux, la Mannschaft avait écrasé le Maroc 4-1 à Casablanca en décembre 1963 puis 5-1 à Karlsruhe en février 1967. Mais les Lions de l’Atlas ne sont pas venus au Mexique pour se faire déchiqueter par l’Aigle Noir : « Si vous n’avez pas confiance en vous-même, alors ce n’est pas la peine de jouer,rappellera plus tard Allal Ben-Kassou.Nous étions confiants et n’avions pas peur, même si on savait que notre entrée en matière serait un match difficile. L’équipe d’Allemagne du début des années 70 avait une immense réputation, avec des très grands noms. » Le bon Allal évoquera la pression très particulière qui saisit toujours les équipes africaines à la coupe du monde : « Nous représentions le Maroc mais aussi l’Afrique entière ! Donc c’était un match à prendre avec un sérieux extrême. Ce serait donc un match très difficile mais nous voulions essayer du plus fort de nous-mêmes d’obtenir un résultat qui nous satisfasse, nous, et les supporters marocains. » A 16h, dans la touffeur de l’Estadio Nou Camp maigrement garni de 13 000 spectateurs, les Marocains pénètrent dans l’arène avec leur beau maillot rouge aux lisérés verts, couleurs de la monarchie…

Les Lions de León

Sûre de sa supériorité, la RFA aligne tout de même son équipe-type avec huit finalistes du Mondial 66. Le Maroc, disposé en 4-4-2, peut compter sur son ossature articulée autour des FAR de Rabat : le gardien Ben-Kassou, le défenseur Abdallah Lamrani, l’attaquant Maouhoub Ghazouani et surtout l’excellent milieu, meneur et capitaine Driss Bamous. FAR contre RFA : Bamous rayonne autant qu’Overath et il éclipse même un Beckenbauer décevant. C’est justement sur une montée énergique de Bamous à la 21ème que le Maroc créé l’impensable : l’ouverture du score de Mohamed « Houmane » Jarir, sur une mésentente entre Maier et Schultz ! Feu Houmane vient d’entrer dans l’histoire. Ben Kassou n’en revient pas :« Honnêtement, on ne pensait pas pouvoir battre la RFA. Ils ont attaqué fort dès le début et j’ai eu à faire quelques arrêts importants. On sentait qu’ils allaient marquer alors que nous étions dos au mur. Mais quand nous avons marqué, tout a changé. Notre confiance s’est élevée et en étant plus rassurés on s’est employé à garder notre avance. » Et le Maroc ne plaisante pas ! Les Lions ratent le 2-0 de peu quand Maier sort en corner d’une détente salvatrice une tête de Ghandi : « Notre premier but a vraiment choqué les Allemands. Dieu seul sait ce qui leur est passé par la tête quand on a pris l’avantage », déclara-t-il à la BBC. Tout au long de cette mi-temps, les Atlassiens guidés par Bamous décident de ne pas fermer le jeu. Mais la machine allemande s’est mise en marche et Ben Kassou, très sûr mais de plus en plus sollicité, est sauvé par sa barre sur une reprise de Gerd Müller avant de claquer au-dessus une mine d’Overath ! Sur le banc, Blagoje Vidinic allume clope sur clope. Mi-temps, toujours 1-0 pour le Maroc…

Séisme péruvien

En seconde période, la Mannschaft dynamisée par ses deux ailiers entrants Löhr et Grabowski va imposer sa puissance et sa vitesse. A la 56ème un jeu en triangle Held-Müller-Seeler permet au troisième d’égaliser et à la 78ème, Der Bomber signe son premier but du tournoi en reprenant à bout portant de la tête un ballon renvoyé par la transversale : 2-1 ! Il semble que Ben Kassou ne soit plus si impérial : « Notre gardien était blessé mais on ne l’a pas remplacé. Ca a été une erreur majeure », révélera Ghandi. Trop tard ! Les Marocains ne reviendront pas au score. « Personne n’aime la défaite mais quand vous perdez contre une des meilleures équipes au monde, qui en plus a sorti le grand jeu, ce 2-1 n’était pas un si mauvais résultat », philosophera Ben Kassou. Le 6 juin, il faudra enquiller avec le Pérou, formidable vainqueur de la Bulgarie (3-2). Mais un grand flou s’installe… Le 31 mai 70, un tremblement de terre a ravagé le Pérou, créant la plus grande catastrophe naturelle du pays : « Touchés par ce séisme, les joueurs péruviens avaient décidé de quitter le Mexique et de rentrer chez eux, raconte Ghandi. Ce qui nous aurait offert une victoire sur tapis vert. Notre coach nous a alors offerts un break d’une journée. Mais les Péruviens ont décidé de rester et ce break d’une journée sans entrainement a rompu notre focalisation psychologique pour la suite de notre parcours. Résultat : contre le Pérou, on a été à la rue. » Et comme souvent avec ces Lions, c’est à l’heure de jeu qu’ils ont craqué. En dix minutes, Cubillas (65ème et 75ème) et Challe (2-0, 67ème) les tabassent et les éliminent du tournoi devant 13 000 spectateurs devenus fans de Los Incas… L’épopée marocaine s’achèvera le 11 juin par un bon nul face à la Bulgarie (1-1), grâce à l’égalisation de Ghazouani, qui offre au Maroc son premier point en coupe du monde.

Au Maroc, l’Afrique reconnaissante

Le Maroc finit dernier du Groupe 4, mais sans avoir démériter. Le manque d’expérience au plus haut niveau lui a été évidemment fatal. Mais on est loin de la médiocrité africaine supposée soulevée par Sir Stanley Rous, comme l’affirme Ben Kassou : « Nous ne nous sommes pas qualifiés pour les quarts mais nous avons pratiqué du beau jeu et montré au reste du monde que le football africain devait dès lors être pris au sérieux. Nous avons d’ailleurs obtenu une vraie reconnaissance. Quand nous sommes rentrés au pays, il y avait des milliers de fans venus nous ovationner à l’aéroport ». « Nous avons laissé une trace au Mexique et nous en sommes fiers », renchérira Ghandi. Driss Bamous, capitaine et futur président de la Fédération Royale Marocaine, pointera Mexico 70 comme une étape cruciale : « Ce Mundial a servi de rampe de lancement à tout le football marocain ». Exact ! En 1972, les Lions de l’Atlas participeront à leur première CAN et parviendront au deuxième tour des JO de Munich. En 1976, ils dérocheront surtout leur première (et unique) CAN en Ethiopie. Le Maroc reviendra en coupe du monde 1986… au Mexique ! En se souvenant de la déconvenue de 1970, Hassan II ne lésinera pas sur les moyens en offrant à « ses » Lions trois mois de stage en Suisse, en Écosse et au Brésil. Et bingo ! Le Maroc accèdera aux 8èmes, une première pour l’Afrique. Une belle aventure achevée de justesse face à la RFA sur un but de Matthäus à la 89ème. Même pour les Lions de l’Atlas, c’est toujours l’Allemagne qui gagne à la fin…

Tchouaméni : un brassard et après ?

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