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Léonard Aggoune : « Nous, les gardiens, on doit être des chiens »

Propos recueillis par Jérémie Baron

Après avoir sorti Toulouse en 16es, le FC Rouen (National) s'est offert Monaco ce jeudi en 8es. Le héros du soir a été le portier Léonard Aggoune, qui a fait son show, sorti deux tirs au but, et remarquablement saisi la chance qu'on lui a enfin donnée.

Aggoune : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Nous, les gardiens, on doit être des chiens<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Que s’est-il passé dans ta tête, avant cette séance de tirs au but ?

La deuxième période, on a été monstrueux, dans la détermination, dans tous les domaines. On a été des monstres sur le terrain. Je voyais le compteur défiler et je savais qu’il fallait que je me mette dans ma bulle pour essayer de sauver les miens, tout simplement. Dès que l’arbitre a sifflé, j’ai pris ma bouteille d’eau, je me suis essuyé le visage avec ma serviette, je me suis concentré. Pendant deux ou trois minutes, je suis resté seul, je ne suis pas allé avec le groupe. Après, je suis allé chercher mon coach des gardiens, il m’a parlé, on s’est mis dedans, pas de pression, et puis il a fallu y aller.

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Il paraît que tu avais une bouteille, avec les habitudes de chaque joueur notées dessus.

À Toulouse, on avait mis un papier collé à la bouteille, mais là, il faut croire qu’on n’avait plus de bouteille, donc je n’avais que le papier. Et comme il pleuvait beaucoup, j’ai dû le cacher sous ma serviette, donc c’était compliqué à déplier avec les gants. J’avais un papier avec le nom des tireurs et où est-ce qu’ils tiraient en général.

Ça a marché ?

Comme au tour d’avant, non ça n’a pas marché. Contre Toulouse, on m’a mis le numéro des joueurs et je ne connaissais pas leurs noms. Et en Coupe de France, il n’y a pas le numéro sur le short et sur le devant du maillot. Donc je n’ai jamais réussi à voir les numéros des joueurs. À Monaco, je connais un peu plus de joueurs, donc quand j’ai vu Golovin arriver, il y avait écrit qu’il tirait à droite du gardien, donc à gauche pour lui. J’ai essayé d’aller à fond en bas à ma droite, et je crois qu’il me prend à contre-pied. Ça n’a absolument pas marché, et je me suis dit qu’ils avaient sûrement cramé que j’avais ce petit papier, donc j’ai oublié ce papier et fait marcher mon instinct.

Je suis désolé, t’es trop jeune, c’est trop pour toi, c’est terminé.

À Akliouche, avant le dernier tir au but

Tu as une technique particulière sur peno ?

Ma technique, c’est de déstabiliser l’adversaire, le faire douter le plus possible. À chaque tir au but, jeudi, je laissais le joueur adverse venir au point de peno et je mettais 10, 15, 20 secondes à aller dans le but pour défier le tireur adverse. Je laissais du temps pour qu’il réfléchisse. En général, quand on ne se pose pas de question, ça marche mieux. C’est mon entraîneur des gardiens qui m’a dit de faire ça, quand on bossait les penos à l’entraînement. J’ai bossé les penaltys pendant trois, quatre jours avant le match. Certains joueurs attendaient au point de penalty avec le ballon dans les mains, sans le poser, et attendaient que l’arbitre vienne me chercher. À ce moment-là, j’essayais de voir comment le joueur posait son ballon, quelle était sa gestuelle, etc.

Avant le dernier tir au but, celui d’Akliouche, tu as fait ton show.

Ce n’est pas du tout du manque de respect, c’est vraiment de la déstabilisation, je ne lance pas de nom d’oiseau ni quoi que ce soit. Moi, j’essaie juste de le déconcentrer, de lui mettre la pression. Akliouche, je connaissais de nom, je savais qu’il était jeune. J’ai vu sa tête, je me suis vraiment dit qu’il était super jeune, ce gamin. Et j’ai joué sur sa jeunesse, car ça n’est pas facile quand on est jeune, d’aller tirer un tir au but en 8es de finale de Coupe de France, même quand on est Monaco et que c’est contre une National. Je ne me rappelle plus exactement ce que je lui ai dit, mais c’était quelque chose du style : « Je suis désolé, t’es trop jeune, c’est trop pour toi, c’est terminé. » Je ne me vantais pas, c’est juste de la déstabilisation.

Ton entraîneur dit de toi que tu es « une tête brûlée ».

C’est quoi exactement, la définition de « tête brûlée » ? Dans la vie, en dehors des terrains, je suis quelqu’un de très gentil qui aime énormément rire, faire des blagues tout le temps. Par contre, sur un terrain de football, je suis un chien. Je suis là pour gagner, sans manquer de respect à l’adversaire. Quand j’étais jeune, je faisais du judo, mon père m’accompagnait à chaque combat et il m’a toujours appris à avoir la gnaque, à être déterminé, à avoir plus envie que l’adversaire. Je pense que j’avais déjà ça dans les gènes. Et au centre de formation au PSG, j’avais un entraîneur des gardiens – Alfred Dossou-Yovo – qui me disait que sur un terrain, on devait être des chiens, nous les gardiens. C’est dans ma nature aussi. C’est ce qui fait que je ressors mes émotions quand j’arrête un penalty ; quand on marque, je vais sauter partout. Si c’est la définition d’une tête brûlée, alors oui j’en suis une.

Après chaque tir au but que tu arrêtes, tu es en transe.

Contre Toulouse, j’ai entendu beaucoup de gens me critiquer, je m’en fiche complètement, ça me galvanise. Je prends 11 penaltys, j’ai pris beaucoup de contre-pieds, c’est vrai, mais ça ne veut pas dire pour autant que je suis mauvais sur les penaltys, et ce n’est pas parce que j’ai sorti deux penaltys contre Monaco que je suis un monstre. Ça n’a rien à voir. Là j’ai réussi, contre Toulouse ils tiraient très bien, sans vouloir me défendre. Quand je sors un peno… Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir bien tué, c’est tout. Et puis la sensation de sortir un penalty de Balogun, c’est incroyable.

Tu es le gardien en Coupe, mais pas en championnat. Ça n’est pas forcément commun, en National.

Au départ, le coach voulait que son numéro 1 joue tous les matchs. Il recherchait un numéro 2 qui soit bien avec le numéro 1, qui l’accompagne, qui ne lui mette pas de bâton dans les roues. C’est ce que j’ai montré. J’ai essayé de montrer que j’avais le niveau aussi. Je pense que le coach a essayé de me faire plaisir, peut-être que le coach des gardiens a aussi négocié ça pour moi, à l’arrivée il a été décidé qu’Axel Maraval jouerait en championnat et que je jouerais la Coupe, quoi qu’il arrive. Même si on va jusqu’en finale. Je remercie beaucoup le coach, j’ai de la chance, on fait un beau parcours, je peux montrer ce que je vaux et je prends ce qu’il y a à prendre.

Tu es passé par le PSG, où tu as côtoyé bon nombre de mecs qui ont percé(1).

C’est génial de les voir maintenant en Ligue 1, en Coupe du monde, en Ligue des champions… Des mecs avec qui j’ai grandi ! Ça me donne envie de réussir, de me dire que moi aussi, je peux le faire ! Moi aussi, j’ai été formé avec ces mecs-là, j’ai évolué au même niveau qu’eux. Je ne dis pas que je veux jouer la Ligue des champions, mais j’ai l’ambition d’aller plus haut. Et je compte tout faire pour.

Tu faisais des entraînements avec les pros, à Paris ?

J’en ai fait quelques-uns, une dizaine, une quinzaine. S’entraîner avec Zlatan, Cavani, Di María, etc., c’est incroyable. Un jour, les pros faisaient des frappes à la fin de la séance. Ce jour-là, je faisais quelques arrêts, je n’étais pas trop mal dans le but. Zlatan parlait avec Nkunku, qui est un 1997 comme moi et était déjà avec les pros. Moi, j’avais 17 ans, je montais de temps en temps. Zlatan dit à Nkunku : « Il a quel âge le gardien ? » Nkunku lui répond « 17 ans. » J’avais fait quelques arrêts, je pensais qu’il allait me faire un compliment, et en fait, il a dit : « Moi à son âge, j’étais déjà une star. » C’était incroyable. On avait beaucoup rigolé avec Nkunku après l’entraînement, c’était génial.

Je sais que j’ai le niveau pour être titulaire en National, je n’ai pas peur. Je veux jouer au-dessus, bien au-dessus, mais il ne faut pas brûler les étapes.

Il y a des gars de ta génération avec qui tu es encore en contact ?

Il y a un an ou deux, on s’était réunis avec la génération 1997, on avait mangé au restaurant. C’était cool, on avait pu voir ceux qui sont tout en haut comme Nkunku, Ballo-Touré, etc., et ceux qui ont carrément arrêté, qui travaillent à l’aéroport, en CDI, qui ont des vies complètement différentes de nous ; et puis il y a ceux comme moi qui sont entre les deux, qui jouent en National, N2, N3 ou Ligue 2. Mais la personne avec qui je m’entends le mieux, c’est Harold Voyer, c’est comme mon frère. On était dans la même chambre au centre. Il joue au Mans, cette année.

Tu as aussi eu une expérience à Chypre. Comment tu t’es retrouvé là-bas ?

Je sortais de huit ans au PSG : préformation, formation, stagiaire pro. Ils ne m’ont pas proposé de contrat pro malheureusement, j’étais très déçu. Je voyais des gardiens signer en Ligue 1, Ligue 2, en tant que numéro 3 ou 4, de mon côté ça n’est jamais arrivé. Je sortais d’un cocon au PSG, je m’entraînais avec Zlatan, etc., c’était très difficile mentalement. Au dernier moment, un agent m’a demandé si je voulais aller à Chypre, à Paphos, en D1. Il m’a envoyé un billet, j’ai fait l’essai, et au bout de trois jours, j’ai signé là-bas. J’étais pro, j’étais la doublure, avec Luka Elsner. J’ai joué quelques matchs. C’était incroyable. Le pays est magnifique, le club était bien, c’était super, j’ai beaucoup aimé.

Mais tu es vite revenu en France.

Malheureusement, je n’avais signé qu’un an là-bas, j’étais en fin de contrat. Ils m’ont fait la promesse de prolongation, quand je suis rentré en France pour les vacances. J’étais naïf, j’étais jeune, j’y ai cru. Tant que ça n’est pas signé, ça n’est pas signé. Finalement, ils ne m’ont rien proposé, et j’ai dû signer à Créteil en N2. Je n’avais rien d’autre. Alors que j’avais refusé une autre offre là-bas, parce que mon club était censé me garder.

Tu as signé cet été en National, même en sachant que tu serais n°2 ?

J’ai attendu mes 25 ans pour être titulaire en N2. Aucun club ne m’a donné de l’expérience. Soit j’étais trop jeune, soit il fallait que le n°1 se pète ou prenne un rouge. De temps en temps, j’ai eu ma chance, mais je ne l’ai pas bien saisie. Là, je descendais en N3 malheureusement, et je savais que je ne trouverais pas de poste de n°1 en National. Alors que, sans être arrogant, je sais que j’ai le niveau pour être titulaire en National, je n’ai pas peur. Je me suis engagé avec Rouen parce que je savais que c’était l’étape à franchir, step by step. Moi, je veux jouer au-dessus, bien au-dessus, mais il ne faut pas brûler les étapes. Je dois passer par être n°2, c’est comme ça.

Un duo de Nordistes prend la tête du National

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(1) Jean-Kévin Augustin, Christopher Nkunku, Fodé Ballo-Touré, Kingsley Coman, Moussa Dembélé, Jonathan Ikoné...

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